L’Encyclopédie/1re édition/TÉOS

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TÉOS, (Géog. anc.) ville de l’Asie mineure, dans l’Ionie, sur la côte méridionale d’une péninsule, vis-à-vis de l’île de Samos, entre Chalcis & Lebedus. Strabon, l. XIV. p. 644. lui donne un port ; mais du tems d’Anacréon, les habitans de Téos ne pouvant souffrir les insultes des Perses, abandonnerent leur ville, & se retirerent à Abdere ville de Thrace, ce qui donna lieu au proverbe :

Ἄβδηρα καλὴ Τηίων ἀποικία.
Abdera pulchra Teiorum colonia.

Cependant dans la suite quelques-uns d’entr’eux y retournerent. Hérodote, l. I. c. clxviij. loue ces peuples d’avoir mieux aimé abandonner leur ville, que de vivre dans l’esclavage. Ils furent traités plus doucement par les Romains que par les Perses. On en cite pour preuve le grand nombre de médailles que cette ville fit frapper à l’honneur de divers empereurs. Il nous en reste d’Auguste, de Néron, de Domitien, de Commode & de Valerion, sur lesquelles on lit ces mots ΤΗΙΩΝ, Teiorum.

Dans une de ces médailles, Auguste est dit fondateur de la ville de Téos, parce qu’il l’avoit fait réparer, ou parce qu’il l’avoit embellie Cellarius, Géogr. ant. l. III. c. iij. prétend qu’on ne doit avoir aucun égard à ce que dit Pline, lorsqu’il fait entendre que la ville de Téos étoit dans une île de même nom. Le P. Hardouin n’est pas de ce sentiment : il dit à la vérité avec Strabon & avec divers autres anciens, que la ville de Téos étoit dans une péninsule, mais de façon que cette péninsule devenoit une île, lorsque la mer étoit haute & agitée. C’est un tempérament que l’envie de sauver l’honneur de Pline lui a fait imaginer.

2°. Téos, ville de Scythie. Etienne le géographe la donne aux Dyrbœi.

C’est Téos de l’Ionie qui est la patrie d’Anacréon. Horace l’a peint en deux mots, Ode IX. l. IV. « Le tems n’a rien ôté de son prix à l’élégant badinage d’Anacréon ».

Nec, si quid olim lusit Anacreon
Delevit ætas.

C’est tout Anacréon peint d’un seul trait. Personne n’a su mieux que lui badiner avec légereté, avec délicatesse, avec naïveté. Ses poésies ne sont que des chansonnetes produites par sentiment plutôt que par réflexion. On voudroit seulement qu’il eût plus respecté la pudeur dans la peinture qu’il nous fait des plaisirs. Il fleurissoit, selon M. le Fevre, dans la lxxij. olympiade, vers l’année 263 de Rome, 489 avant Jesus-Christ ; mais c’est s’exprimer trop vaguement. Je ne saurois marquer d’olympiade précise pour un homme qui a vécu 85 ans, d’autant mieux qu’Eusebe a choisi la lxij. olympiade, & Suidas la lij. ce qu’il y a de sûr, c’est qu’Anacréon fleurissoit au tems que Polycrate regnoit à Samos, & qu’Hypparchus jouissoit à Athènes de la domination que son pere Pisistrate y avoit usurpée. Cambyses étoit alors roi de Perse ; & c’est ce qu’il est bon de remarquer, afin que les lecteurs puissent se représenter avec plus de facilité le tems auquel Anacréon a vécu.

On trouve dans ses poésies la passion dont il brûloit pour Bathyllus, & ce seul exemple refute l’excessive charité d’Elien, & celle de M. Lefevre pour le poëte de Téos. Valere Maxime, l. IX. c. xij. attribue sa mort à un pépin qui l’étrangla ; & il ajoute, qu’une fin si douce n’étoit dûe qu’à une faveur particuliere des dieux.

On connoit les éditions d’Anacréon données par Henri Etienne, Tannegui Lefevre, Barnes, Baxter, & Corneille de Pauw. L’édition de ce dernier littératteur a paru à Utrecht en 1732, in-4°. Non-seulement il y parle avec le dernier mépris de tous les commentateurs d’Anacréon qui l’ont précédé, mais même des poésies qu’il publie, déclarant nettement qu’il ne pense pas qu’il y en ait aucune qui soit d’Anacréon. Il prétend que comme il s’en trouve de mauvaises dans le recueil d’Henri Etienne, faussement attribuées à Anacréon, il pourroit en être autant de celles qui sont bonnes. Il remarque enfin, que Suidas avoit dit qu’Anacréon écrit en dialecte ionienne, très-différente de celle dans laquelle sont la plûpart des odes qui portent le nom d’Anacréon.

Le système de ce littérateur est aussi singulier que ridicule ; rien de plus aisé que de le détruire. Ce n’est pas uniquement parce que les odes dont il s’agit sont bonnes qu’on les a attribuées à Anacréon, mais sur le consentement des manuscrits, qui est décisif en ces sortes de matieres ; & s’il se rencontre quelques pieces, sur la legitimité desquelles les savans aient quelque doute, cela ne fait rien pour le corps même du recueil, qui, suivant toutes les regles d’une saine critique, restent toujours à celui que les manuscrits en désignent comme l’auteur.

On répond au raisonnement de M. Pauw, fondé sur le témoignage de Suidas, qu’indépendamment de la quantité de vers qu’on peut citer, qui sont remplis de mots uniquement employés par les auteurs qui on écrit en dialecte ionienne ; l’exemple d’Hérodote prouve que la conséquence de l’éditeur n’est pas juste. Le petit nombre d’ionismes qui se voyent dans cet historien, n’empêche pas qu’on ne le laisse dans une possession paisible de son histoire ; le petit nombre de ceux qu’on rencontre dans les odes d’Anacréon, ne doit pas non plus empêcher qu’on ne l’en reconnoisse l’auteur, d’autant plus que les poëtes se sont moins astreints que les écrivains en prose, à se servir de la même dialecte.

Mais voici trois raisons tranchantes contre M. Pauw ; on lui oppose, 1°. que les ouvrages d’Anacréon subsistoient du tems d’Horace & du tems d’Ovide : est-il difficile de concevoir que dans la haute réputation où ils étoient ils ont pu se conserver jusqu’à Aulugelle qui les cite ? 2°. Il se trouve dans l’anthologie & sous le nom d’Anacréon quelques-unes de ces mêmes odes qu’on retrouve dans le recueil qui nous reste. 3°. Alcyonius dans son premier livre de exilio, dit avoir entendu raconter dans sa jeunesse à Démétrius Chalcondyle, que les prêtres avoient si bien fait auprès des empereurs de Constantinople, qu’ils avoient obtenu d’eux qu’on brûleroit les exemplaires des anciens lyriques grecs, dont les ouvrages pouvoient nuire aux mœurs. Anacréon étoit du nombre ; il en restoit alors des copies.

Il seroit à souhaiter que les deux manuscrits sur lesquels Henri Etienne publia le premier Anacréon à Paris en 1554, in-4°. il seroit, dis-je, à souhaiter, que ces deux manuscrits, qui sont les seuls qu’on ait vus de ce poëte, eussent été conservés. Henri Etienne par malheur, étant tombé dans une espece d’aliénation d’esprit sur la fin de ses jours, laissa périr ces deux manuscrits avec quelques autres qu’il ne communiquoit à personne, pas même à son gendre Casaubon. Il avoit traduit en françois les mêmes odes d’Anacréon qu’il a mises en vers latins ; mais il n’osa publier sa traduction après avoir vû celle de Remi Belleau. Renvoisy mit en musique l’an 1558, la traduction de Belleau.

La traduction de Longepierre vit le jour à Paris l’an 1673 ; le grec est d’un côté, la traduction en vers françois de l’autre, & les observations critiques du traducteur sont à la fin de chaque piece.

L’édition de mademoiselle Lefevre parut à Paris l’an 1681, avec le texte grec d’un côté, la version en prose françoise de l’autre, & des remarques sur chaque poéme d’Anacréon.

M. Regnier Desmarais, secrétaire de l’académie Françoise, publia en 1693 la traduction d’Anacréon de Barthelemy Corsini en vers italiens avec des remarques ; mais il a paru dernierement une traduction italienne en vers, d’Anacréon, supérieure à toutes les précédentes ; elle est intitulée, le ode di Anacreonte, nuovamente da varii illustri poeti nella italiana favella tradotte, &c. 1732. Voici la premiere ode de cette traduction, qu’on pourra comparer avec celles que nous avons en vers françois, de diverses mains.

Degli atridi io canterei
E di cadmo i casi rei ;
Ma dal mio voler discorda
Dalla cetra ogni corda,
E l’ascolto a tutte l’ore
Solo dir cose d’amore.
Poco sa cetra cambiai,
Che di nuove corde armai,
E a narrare il cor s’accese
Del grand’ercole l’imprese,
Ma contraria a me rispose
Voci tenere e amorose.
Dunque gite in pace o eroi,
Che ingombrate i miei pensieri ;
Io non posso dir di voi
L’alte gesta e i nomi alteri,
Se la cetra a tutte l’ore
Sol risponde, amore, amore.

(Le chevalier de Jaucourt.)