L’Encyclopédie/1re édition/SYPHON

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SYPHON, s. m. en Hydraulique, est un tube recourbé, dont une jambe ou branche est ordinairement plus longue que l’autre, & dont on se sert pour faire monter les liqueurs, pour vuider les vases, & pour différentes expériences hydrostatiques.

Ce terme qui tire son origine du grec, signifie tuyau, tube ; c’est pourquoi on l’applique quelquefois aux tuyaux ou tubes ordinaires.

Le syphon le plus ordinaire est celui dont voici la description. On prend un tube recourbé ABC, (Pl. hydraulique, fig. 2.) dont la longueur & l’angle soit telle, que quand l’orifice A est posé sur un plan horisontal, la hauteur DB n’excede pas 30 piés. Pour l’usage ordinaire il suffit qu’il ait un pié & demi ; alors si on trempe la branche la plus courte dans l’eau ou dans tout autre liquide, & que l’on suce l’air par l’ouverture C, jusqu’à ce que la liqueur monte par A, la liqueur continuera de couler hors du vase par le tuyau BC, tant que l’ouverture A se trouvera sous la surface de la liqueur.

Remarquez que la même chose arrivera, si au lieu de sucer l’air, on remplit d’abord le syphon de quelque fluide, & que l’on bouche avec le doigt l’ouverture C, jusqu’à ce que l’ouverture A soit plongée dans le vase.

Ce phénomene est confirmé par quantité d’expériences ; la raison n’en est pas difficile à trouver, du moins en partie. En suçant, l’air qui est dans le tube est raréfié, & l’équilibre est détruit ; par conséquent, il faut que l’eau monte dans la branche la plus courte AB, à cause de la pression prépondérante de l’atmosphere. Le syphon étant rempli, l’atmosphere presse également sur chacune de ses extrémités, de façon qu’elle pourroit soutenir une quantité égale d’eau dans chaque branche ; mais l’air qui pese sur l’orifice de la seconde branche, c’est-à-dire sur la branche la plus longue, ayant un plus grand poids d’eau à soutenir que l’air qui pese sur l’orifice de la branche la plus courte ; ce dernier air sera donc prépondérant ; il fera donc monter de nouvelle eau dans la branche la plus courte ; mais cette eau nouvelle ne sauroit monter, qu’elle ne chasse devant elle celle qui y étoit auparavant ; au moyen de quoi l’eau est continuellement chassée dans la branche la plus longue, à proportion qu’il en monte toujours dans la branche la plus courte.

L’air qui tend à rentrer dans la plus longue branche, a dans cette tendance ou action toute la force du poids de l’atmosphere, moins celle de la colonne d’eau contenue dans cette branche : d’un autre côté, l’air qui tend à entrer dans la plus courte branche a dans cette action toute la force du poids de l’athmosphere, moins celle de la colonne d’eau contenue dans cette branche. Ainsi voilà deux forces égales en elles-mêmes, mais affoiblies toutes deux par les circonstances, & qui agissent l’une contre l’autre. Si elles sont également affoiblies, c’est-à-dire, si les deux branches du syphon sont de la même longueur, il y aura équilibre ; & par conséquent dès qu’on aura cessé de sucer, l’eau cessera de monter dans la premiere branche, & de sortir par la seconde. A plus forte raison cet effet arrivera-t-il, si la seconde branche est la plus courte ; & par la raison contraire, l’eau continuera de sortir par la seconde branche, si elle est la plus longue, comme elle l’est toujours dans les syphons, qui ne sont destinés qu’à un usage. La pesanteur de l’air est donc la cause de l’effet des syphons, & aucun physicien ne le conteste. Aussi les syphons mis en mouvement dans l’air libre, rendent-ils l’eau plus lentement dans la machine pneumatique, à mesure qu’on en pompe l’air, & enfin s’arrêtent tout-à-fait quand l’air est pompé, autant qu’il peut l’être. Si on les remet à l’air libre, ils ne recommencent point de couler à-moins qu’on ne les suce de nouveau ; & il est évident que cela doit être ainsi, puisqu’ils sont dans le même cas que s’ils n’avoient jamais coulé.

Quelques-uns prétendent qu’il reste toujours assez d’air dans un récipient épuisé d’air pour faire monter l’eau à un pouce ou deux : mais comme on trouve que le mercure & l’eau tombent tout-à-fait hors du tube de Torricelli dans le vuide, il s’ensuit que la pression de l’air qui reste dans le récipient, ne peut jamais faire monter le mercure ni l’eau, dans la branche la plus courte du syphon.

Comme la hauteur du syphon est limitée à 32 piés, par la seule raison que l’air ne peut pas faire monter l’eau plus haut ; on peut juger par-là de la proposition de Heron, de transporter l’eau au moyen d’un syphon, par dessus le sommet des montagnes jusque dans les vallées opposées. Car Heron ne prescrit rien autre chose que de boucher les ouvertures du syphon, & de verser l’eau avec un entonnoir dans l’angle ou à la rencontre des branches, jusqu’à ce que le syphon soit plein ; ensuite bouchant le trou qui est à l’angle, & ouvrant les deux autres, l’eau coulera continuellement à ce qu’il prétend.

On doit remarquer que la figure du syphon peut être variée à volonté (voyez figure 3. &c.) pourvu seulement que l’orifice C soit plus bas que le niveau de la surface de l’eau qu’on veut y faire monter : mais que plus il en est éloigné, plus le fluide sortira promptement. Et si dans le cours de l’écoulement, on tire l’orifice A hors du fluide, toute la liqueur qui est dans le syphon sortira par l’orifice inférieur C : celle qui est dans la branche BC, entraînant pour ainsi dire, après elle celle qui est dans la branche la plus courte AB.

Enfin, il faut observer que l’eau coulera, quand même le syphon seroit interrompu, c’est-à-dire, quand même les branches AD & FB, (figure 4.) seroient jointes ensemble par un tube plus gros & rempli d’air.

Il y a certains syphons qui s’étant arrêtés dans le vuide, recommencent à couler d’eux-mêmes quand on les remet à l’air libre. Ce sont ceux qui ont un des petits diametres, comme d’un tiers de ligne ; remis à l’air libre, après s’être arrêtés dans le vuide, ils se remettent d’eux-mêmes en mouvement. Pour connoître la force qui produit cet effet, il faut faire les observations suivantes. Quand ces syphons sont d’abord en mouvement, ils ne rendent l’eau que goutte à goutte, & par des intervalles d’environ deux secondes, au lieu que les autres d’un plus grand diametre la rendent par filets continus d’un diametre égal à celui de la seconde branche. Cette différence vient de ce que les syphons sont menus, & en général les tuyaux capillaires sont pleins d’eau : dès qu’ils sont mouillés dans leur surface intérieure, une goutte d’eau qui mouille un petit endroit de cette sur face, se joint à la goutte d’eau qui est vis-à-vis d’elle, & s’y joint par une certaine viscosité que les Physiciens reconnoissent dans l’eau. Quand ces syphons sont à l’air libre, & qu’ils sont une fois mouillés par l’eau qui y a passé, il faut pour continuer leur mouvement, que la pesanteur de l’air, outre le poids qu’elle a à élever, en surmonte encore la viscosité ; ce qui ne se fait que par une certaine quantité d’eau amassée, & par conséquent avec un certain tems ; & de-là vient que ces syphons ne coulent que goutte à goutte, & par reprises. Chaque goutte qui sort tombe en partie, parce qu’elle est poussée par le poids des gouttes supérieures. Lorsqu’on met ces syphons dans le vuide, non seulement la pesanteur de l’air agit toujours de moins en moins, & enfin n’agit plus, mais encore l’air contenu dans l’eau s’étend, parce qu’il n’est plus pressé par l’air extérieur ; il se dégage de dedans l’eau, & forme de grosses bulles, qui interrompent la suite des gouttes d’eau dont les deux branches étoient mouillées & remplies, & celles qui sont à l’extrémité de la seconde, n’ont plus assez de poids, & ne sont plus assez pressées par les autres pour tomber. Si on remet les syphons à l’air libre, l’air qui s’étoit étendu est obligé de reprendre son premier volume ; les gouttes d’eau qu’il ne tient plus séparées retombent, les supérieures sur les inférieures, & le syphon recommence à couler tant qu’il est mouillé, mais toujours goutte à goutte, & toujours plus lentement, & ne cesse point que la seconde branche ne soit seche, au-moins jusqu’à un certain point. Il suit de cette explication, que si de l’eau étoit renfermée sans air dans ces interstices, un syphon capillaire continueroit de couler dans le vuide, tant qu’il seroit mouillé. Aussi est-ce ce que M. Homberg a éprouvé avec de l’eau purgée d’air, soit parce qu’on l’avoit bien fait bouillir, ou parce qu’elle avoit été mise dans la machine pneumatique ; & ce phénomene qui paroît d’abord si contraire au système de la pesanteur de l’air, s’y accorde cependant parfaitement, & est même une suite nécessaire du ressort de l’air bandé par sa pesanteur. Il est aisé de prévoir que si pour l’expérience des syphons capillaires, on employe des liqueurs qui contiennent plus d’air, ou de l’air qui se dégage plus facilement ; telles que sont les liqueurs fermentées, les syphons s’arrêteront plutôt dans le vuide. De même tout le reste étant égal, ils doivent s’arrêter plutôt en hiver qu’en été ; car en hiver l’air est plus disposé à se dégager, puisque dans les liqueurs qui se sont gelées tout est semé par grosses bulles. On jugera aussi par cette expérience, que les liqueurs grasses comme l’huile ou le lait, contiennent moins d’air, ou de l’air plus engagé ; car avec ces liqueurs les syphons ne s’arrêtent point dans le vuide dans quelque tems que ce soit. Hist. de l’acad. année 1714. p. 108. & suiv. article de M. Formey.

Voici une difficulté que propose Reiselius contre la théorie des syphons. Ce savant fait voir que l’eau s’écoule par un syphon dont les deux branches E, C, (fig. 5. hydraul.) sont égales ; si la branche E, par exemple, est plongée dans un vase plein d’eau, M. Musschenbroek, §. 1375, de son Essai de physique, explique cette expérience, & remarque que si on y fait attention, le syphon cesse d’avoir ses branches égales, lorsque l’on présente l’eau à l’ouverture E. (O)

Si on prend un syphon dont les jambes soient égales ou inégales, tant en hauteur qu’en grosseur, & qu’on place ce syphon de maniere que les deux ouvertures A, C, soient en-haut, & la partie B en-bas, qu’ensuite on remplisse ce syphon d’un fluide, comme d’eau, ce fluide se mettra à la même hauteur dans les deux branches, quelques inégales qu’elles soient.

Si on met dans les deux branches deux différens fluides, par exemple du mercure dans l’une, & de l’eau dans l’autre, l’eau s’élevera beaucoup plus haut que le mercure, & la hauteur de la colonne d’eau sera à celle du mercure, comme la pesanteur du mercure est à celle de l’eau. Voyez Fluide.

Si on verse d’abord du mercure dans un syphon, ensorte qu’il s’y mette de niveau, & qu’on verse ensuite de l’eau par une des branches, ensorte qu’elle tombe sur le mercure, cette eau repoussera le mercure peu-à-peu, & l’obligera de monter dans l’autre branche ; & lorsqu’on aura versé assez d’eau pour que le mercure passe tout entier dans l’autre branche, l’eau se glissera dans cette seconde branche entre les parois du verre & le mercure, & une partie de cette eau viendra se mettre au-dessus du mercure, qui occupera toujours la partie inférieure de la branche, & se trouvera, pour ainsi dire, alors entre deux eaux.

Syphon de Wirtemberg, (Hydraul.) c’est un syphon à deux jambes égales, un peu courbées par-dessous ; dans lequel syphon, 1°. les ouvertures de ses deux branches étant mises de niveau, l’eau montoit par l’une, & descendoit par l’autre : 2°. les ouvertures ne se remplissant d’eau qu’en partie, ou même à-demi, l’eau ne laissoit pas que de monter : 3°. quoique le syphon demeurât à sec pendant long-tems, il pouvoit également produire le même effet : 4°. l’une des ouvertures quelle qu’elle fût étant ouverte, & l’autre demeurant fermée pendant quelques heures, puis étant ouverte, l’eau couloit comme à l’ordinaire : 5°. l’eau montoit ou descendoit indifféremment par l’une ou l’autre des deux branches : 6°. chaque branche avoit la hauteur de 20 piés, & étoit éloignée de 18 piés l’une de l’autre.

Jean Jordan bourgeois de Stutgard, inventa ce syphon, que Fréderic Charles, duc de Wirtemberg, regarda comme une merveille, & dont Salomon Reisel son médecin, publia par son ordre quelques-uns des effets en 1684. A cette nouvelle, la société royale de Londres chargea M. Dionis Papin de tâcher de développer le principe de cette machine hydraulique ; & ce savant méchanicien non seulement le découvrit, mais il exécuta un syphon qui avoit toutes les propriétés de celui de Wirtemberg, & dont il donna une description fort claire dans ses Transact. philos. ann. 1685. n°. 167. On ne douta point alors que ce savant n’eût découvert toute la méchanique du syphon de Jordan. Reisel lui-même confirma cette conjecture ; car comme il vit que le secret du syphon d’Allemagne étoit connu, il n’hésita plus de le rendre public, dans un ouvrage intitulé Sypho Wirtermbergicus, per majora experimenta firmatus. Stutgardiæ, 1690. in-4°. (D. J.)