L’Encyclopédie/1re édition/SYMPHONIE

◄  SYMPHONIA

SYMPHONIE, s. f. mot formé du grec syn, avec, & phoné, voix, signifie dans la musique ancienne, cette union de voix ou de sons qui forme un concert. C’est un sentiment reçu que les Grecs ne connoissoient pas l’harmonie, dans le sens que nous donnons aujourd’hui à ce mot. Ainsi leur symphonie ne formoit pas des accords ; mais elle résultoit du concours de plusieurs voix ou instrumens chantans & jouans la même partie. Cela se faisoit de deux manieres : ou tout concertoit à l’unisson, & alors la symphonie s’appelloit plus particulierement homophonie, ὁμοφωνία ; ou la moitié des parties étoit à l’octave, ou même à la double octave de l’autre, & cela se nommoit antiphonie, ἀντιφωνία. On trouve la preuve de tout cela dans les problèmes d’Aristote.

Aujourd’hui le mot de symphonie s’entend de toute musique instrumentale, tant des pieces qui ne sont destinées que pour les instrumens, comme les sonates & concerto, que de celles où les instrumens se trouvent mêlés avec les voix, comme dans nos opéra & dans plusieurs autres sortes de musiques. On distingue la musique vocale en musique sans symphonie, qui n’a d’autres accompagnemens que la basse continue, & musique avec symphonie, qui a au moins un dessus d’instrumens, violons, flûtes ou hautbois. On dit d’une piece qu’elle est grande symphonie, quand outre la basse & les dessus, elle a encore deux autres parties instrumentales ; savoir, taille & quinte de violon. La musique de la chapelle du roi, celle de plusieurs églises, & celle de nos opéra, sont presque toujours en grande symphonie.

A cet excellent article, je ne joindrai que quelques-unes des réflexions de M. l’abbé du Bos, après avoir indiqué le sens du mot symphonie chez les anciens. Ils attachoient trois significations principales à ce mot symphonie, σύμφωνον, qui veut dire consonnance.

1°. Ils désignoient par-là les rapports entre certains sons qui se succédoient les uns aux autres dans ce qu’on appelle mélodie, chant simple, modulation ; ainsi l’intervalle de la quarte, celui de la quinte, & celui de l’octave avec leur répétition, se nommoient symphoniques. Il n’en étoit pas de même des autres intervalles, quoique reçus dans le chant simple ou la mélodie, tels que le ton, la tierce, la sixte, &c. Ils ne formoient point, selon les anciens, une véritable symphonie, mais seulement emmelie, c’est-à-dire, concinnitas, convenance. 2°. On entendoit par ce terme symphonie, le concert de plusieurs voix, celui de plusieurs instrumens, ainsi que le mélange de ceux-ci avec les voix, soit que les uns & les autres fussent à l’unisson, soit qu’ils fussent à la tierce ou à la double octave, soit qu’ils jouassent ou chantassent un sujet, soutenu d’un simple bourdon. 3°. Enfin l’on employoit ce même mot, pour spécifier plus particulierement cette sorte de concert de plusieurs voix, ou de plusieurs instrumens, qui chantoient & jouoient à l’unisson ou à la tierce.

La musique, dit M. l’abbé du Bos, ne s’est pas contentée d’imiter dans ses chants le langage inarticulé de l’homme & tous les sons naturels dont il se sert par instinct. Cet art a voulu encore faire des imitations de tous les bruits qui sont les plus capables d’agir sur nous lorsque nous les entendons dans la nature. La musique ne se sert que des instrumens pour imiter ces bruits dans lesquels il n’y a rien d’articulé, & nous appellons communément ces imitations des symphonies.

La vérité de l’imitation d’une symphonie, consiste dans la ressemblance de cette symphonie avec le bruit qu’elle prétend imiter. Il y a une vérité dans une symphonie, composée pour imiter une tempête, lorsque le chant de la symphonie, son harmonie & son rithme nous font entendre un bruit pareil au fracas que les vents font dans l’air, & aux mugissemens des flots qui s’entrechoquent, ou qui se brisent contre les rochers.

Ainsi quoique ces symphonies ne nous fassent entendre aucun son articulé, elles ne laissent pas de pouvoir jouer des rôles dans des pieces dramatiques, parce qu’elles contribuent à nous intéresser à l’action, en faisant sur nous une impression approchante de celle que feroit le bruit même dont elles sont une imitation, si nous entendions ce bruit dans les mêmes circonstances que nous entendons la symphonie qui l’imite. Par exemple, l’imitation du bruit d’une tempête qui va submerger un personnage à qui le poëte nous fait prendre actuellement un grand intérêt, nous affecte comme nous affecteroit le bruit d’une tempête prête à submerger une personne pour laquelle nous nous intéresserions avec chaleur, si nous nous trouvions à portée d’entendre cette tempête véritable. Il seroit inutile d’ajouter ici que l’impression de la symphonie ne sauroit être aussi sérieuse que l’impression que la tempête véritable feroit sur nous ; car on sait que l’impression qu’une imitation fait sur nous, est bien moins forte que l’impression faite par la chose imitée.

Il n’est donc pas surprenant que les symphonies nous touchent beaucoup, quoique leurs sons, comme le dit Longin, ne soient que de simples imitations d’un bruit inarticulé, &, s’il faut parler ainsi, des sons qui n’ont que la moitié de leur être & une demi-vie.

Voilà pourquoi l’on s’est servi dans tous les pays & dans tous les tems du chant inarticulé des instrumens pour remuer le cœur des hommes, & pour mettre certains sentimens en eux, principalement dans les occasions où l’on ne sauroit leur inspirer ces sentimens en se servant du pouvoir de la parole. Les peuples civilisés ont toujours fait usage de la musique instrumentale dans leur culte religieux. Tous les peuples ont eu des instrumens propres à la guerre, & ils s’y sont servi de leur chant inarticulé, non seulement pour faire entendre à ceux qui devoient obéir, les ordres de leurs commandans, mais encore pour animer le courage des combattans, & même quelquefois pour le retenir. On a touché ces instrumens différemment suivant l’effet qu’on vouloit qu’ils fissent, & on a cherché à rendre leur bruit convenable à l’usage auquel on le destinoit.

Peut-être aurions-nous étudié l’art de toucher les instrumens militaires autant que les anciens l’avoient étudié, si le fracas des armes à feu laissoit nos combattans en état d’entendre distinctement le son de ces instrumens. Mais quoique nous n’ayons pas travaillé beaucoup à perfectionner nos instrumens militaires, & quoique nous ayons si fort négligé l’art de les toucher qui donnoit tant de considération parmi les anciens, que nous regardons ceux qui exercent cet art aujourd’hui comme la partie la plus vile d’une armée, nous ne laissons pas de trouver les premiers principes de cet art dans nos camps : nos trompettes ne sonnent point la charge comme ils sonnent la retraite : nos tambours ne battent point la chamade du même mouvement dont ils battent la charge. (D. J.)