L’Encyclopédie/1re édition/SUZANNE sainte

SUZANNE sainte, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Maine, à dix lieues du Mans, au bord de la petite riviere d’Hervé ; c’étoit autrefois une place forte. Long. 17. 14. latit. 48. 9. (D. J.)

Suzanne, (Critiq. sacrée.) l’histoire intéressante de Suzanne se trouve dans le xiij. chap. de Daniel ; c’est dommage qu’il y ait lieu de douter de son authenticité ; mais l’amour de la vérité doit l’emporter sur tout.

On sait qu’une partie du livre de Daniel, savoir depuis le 4 v. du ij. chap. jusqu’à la fin du chap. vij. a été écrit originairement en langue chaldaïque. Comme le prophete y parle des affaires de Babylone, il les écrivit en chaldéen, ou langue babylonienne ; tout le reste est en hébreu. La version greque de ce livre dont les églises greques se servoient, étoit celle de Théodotion. C’est seulement dans cette version greque & dans la vulgate, que se trouve l’histoire de Suzanne, chap. i. j. & celle de l’idole Bel & du dragon, ch. xiv.

Ces deux histoires n’ont jamais été reçues dans le canon des saintes Ecritures par l’église judaïque, comme l’observe S. Jérôme. Elles ne sont point écrites ni en hébreu, ni en chaldaïque ; les hébraïsmes qu’on y remarque, prouvent tout au plus qu’elles ont été écrites en grec par un juif qui transportoit les manieres de parler de sa propre langue, dans celle dans laquelle il écrivoit, comme il arrive d’ordinaire dans ces occasions.

Une preuve démonstrative qu’elles ont été écrites originairement en grec par quelque juif helléniste, sans avoir été tirées d’une source plus éloignée, c’est que dans l’histoire de Suzanne, Daniel dans ses réponses aux vieillards fait allusion aux noms grecs des arbres sous lesquels ces calomniateurs de la chaste Suzanne disoient qu’elle avoit commis adultere : allusions qui ne peuvent avoir lieu dans les autres langues.

En effet, quand Daniel interroge séparément les deux anciens, l’un d’eux ayant dit qu’il avoit vu Suzanne commettre l’adultere ὑπὸ σχῖνον, c’est-à-dire sous un lentisque, Daniel lui répond par allusion à σχῖνον, l’ange de Dieu a reçu ordre, σχίσαι σε μέσον, c’est-à-dire, de te couper par le milieu ; & l’autre ayant répondu qu’il l’avoit vue ὑπὸ πρῖνον, c’est-à-dire sous un chêne verd, Daniel faisant allusion au mot πρῖνον, lui répond : l’ange du seigneur est prêt avec l’épée, πρίσαι σε μέσον, c’est-à-dire, de te couper en deux.

Après ces réflexions, il est difficile de comprendre pourquoi l’église romaine a cru devoir attribuer à cette histoire de Suzanne la même autorité qu’au reste du livre de Daniel ; car le concile des Trente le range également parmi les livres canoniques ; mais les anciens n’ont rien fait de semblable. Africanus, Eusebe & Apollinaire rejettent ces pieces non seulement comme non canoniques, mais encore comme fabuleuses. S. Jérôme n’appelle pas autrement l’histoire de Bel & du dragon ; enfin ceux qui se sont contentés de les admettre comme des instructions pour les mœurs, les ont rejettées comme parties des écritures canoniques ; en quoi ils ont été suivis par les églises protestantes qui les placent dans leurs bibles parmi les livres apocryphes, sans les reconnoitre pour canoniques. (D. J.)