L’Encyclopédie/1re édition/SUSSEX

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SUSSEX, (Géog. mod.) province maritime d’Angleterre, dans la partie méridionale de ce royaume, avec titre de comté. Cette province nommée anciennement Suth-sex, a retenu le nom des Saxons méridionaux, dont le royaume comprenoit ce comté avec le province de Surreq. Le Sussex s’étend en long du levant au couchant le long de l’Océan, qui le borne au midi & au sud-est. Du côté du nord, il fait face au comté de Southampton ; sa longueur est de 64 milles, sa largeur de 20 milles, & son circuit de 58 milles.

Il est partagé en six grands quartiers, que les habitans du pays appellent rapes ; savoir, Hastings, Pevensey, Lewes, Bramber, Arundel & Chichester. Chaque quartier ou rape a une forêt, une riviere & un château, dont il a pris le nom. Ils sont subdivisés en cinquante-deux hundreds ou centaines, composées de trois cens douze églises paroissiales, dans lesquels se trouvent dix-neuf villes ou bourgs à marché, entre lesquels il y en a neuf qui ont droit de députer au parlement ; savoir, Chichester, capitale de la province, Horsham, Midhurst, Lewes, New. Shoreham, Bramber, Steyning, Est-Grinsted & Arundel.

Il y en faut joindre quatre autres, qui sont des places maritimes & des ports fameux, & qui avec quatre autres places du comté de Kent, font une espece de corps à part, & envoient ensemble seize députés au parlement, qu’on appelle par honneur les barons des cinq ports. Les quatre places du comté de Sussex, sont Hastings, Winchelsey, la Rye & Séaford. Les quatre autres de la province de Kent, sont Douvre, Romney, Sandwich & Hyeth.

Le terroir de cette province abonde en tout ce qui est nécessaire à la vie. La mer fournit quantité de poisson. Les Dunes rapportent du blé abondamment. Le milieu du pays est tapisse de champs, de prés & de riches pâturages. La partie la plus avancée au nord est presque toute couverte de bois, qui procurent l’avantage de pouvoir travailler le fer, dont on trouve des mines dans ce comté.

Enfin cette province est féconde en hommes, qui ont rendu leurs noms célébres dans la poésie, dans les mathématiques & dans les autres sciences. Je me hâte d’en citer quelques-uns de la liste de M. Fuller, The Worthies, in Sussex.

Dorset (Thomas Sackville, comte de) homme d’une naissance illustre, grand trésorier d’Angleterre, sous la reine Elisabeth, & pour dire quelque chose de plus, beau génie, & excellent poëte. Il naquit dans le comté de Sussex en 1556, fit d’excellentes études à Oxford, à Cambridge & au temple.

Après ses études, il voyagea en France & en Italie où il se perfectionna dans les langues, l’histoire & la politique. A son retour en Angleterre, il prit possession des grands biens que son pere mort en 1566 lui avoit laissé, dont il dissipa en peu de tems la meilleure partie par la splendeur avec laquelle il vivoit, ou plutôt par ses magnifiques prodigalités. Il avoit à son service les plus habiles musiciens de l’Europe, & donnoit souvent des festins à la reine & aux ministres étrangers.

Distingué par sa naissance & par ses qualités, tant naturelles qu’acquises, sa maison fut toujours sur un pié honorable, & consista pendant vingt ans en plus de deux cens vingt personnes, sans compter les ouvriers & autres gens à gage ; en même tems il recevoit, par sa noble façon de penser, un tiers de moins de relief que les autres seigneurs ; charitable envers les pauvres dans les années de disette, il distribuoit du blé gratuitement à plusieurs paroisses du comté de Sussex, & en tiroit aussi de ses greniers qu’il faisoit vendre au marché fort au-dessous du prix courant.

Il fut créé baron de Buckhurst en 1567, & bientôt après envoyé en ambassade vers Charles IX. roi de France, pour des affaires importantes qui regardoient les deux royaumes. En 1589, il fut fait chevalier de l’ordre de la Jarretiere ; & en 1591, chancelier de l’université d’Oxford.

En 1598, la reine Elisabeth voyant que ses exhortations & les conseils de l’âge avoient modéré le cours des profusions dont une certaine grandeur d’ame héréditaire à sa maison avoit été la principale cause, le nomma grand trésorier d’Angleterre. Alors cette princesse en agit en maîtresse judicieuse & indulgente, elle lui tendit la main pour qu’il pût réparer sa fortune, prouvant par-là qu’elle le regardoit comme un enfant qui avoit part à ses bonnes graces. Il mourut subitement d’apoplexie étant au conseil le 19 d’Avril 1608, âgé de 62 ans. Le lord Sackville descend de lui en ligne directe.

On a loué beaucoup l’éloquence du comte de Dorset, mais encore davantage l’excellence de sa plume. On dit que ses secrétaires ne faisoient pas grande chose pour lui, lorsqu’il s’agissoit de dresser des pieces, parce qu’il étoit fort délicat pour le style & le choix des expressions. Il avoit une maniere peu ordinaire de dépêcher ses affaires. Son secrétaire de confiance, qui l’accompagnoit, prenoit par écrit les noms de ceux qui poursuivoient quelque demande, & y joignoit la date du tems où ils s’adressoient au grand trésorier pour la premiere fois, ensorte que le nouveau-venu ne pouvoit passer devant un autre plus ancien en date, à-moins que son affaire particuliere ne pût souffrir aucun délai, ou qu’il ne fût question d’affaires d’état pressantes.

Entre ses ouvrages poétiques, on doit mettre 1°. son Ferrex & Porrex, fils de Gorboduc, roi de Bretagne, tragédie réimprimée à Londres en 1736, in-8°. 2°. le miroir des magistrats, où l’on prouve par des exemples avec quelle séverité le vice est puni. A la suite de l’épître au lecteur vient l’introduction en vers de mylord Sackville. Cette introduction est une descente dans les enfers, à l’imitation du Dante. Comme c’est un morceau très-rare & entierement inconnu en France, nous en rapporterons quelques traits qui feront connoître par le pinceau du lord Sackeville les élémens de la poésie pittoresque en Angleterre, sous le regne d’Elisabeth. L’auteur commence par peindre la Tristesse, dont la demeure tenoit toute l’enceinte du ténare.

« Son corps semblable à une tige brûlée par l’ardeur du soleil étoit entierement flétri ; son visage étoit défait & vieilli ; elle ne trouvoit de consolation que dans les gémissemens. Telle qu’une glace inondée de gouttes d’eau, ainsi ses joues ruisseloient de larmes. Ses yeux gros de pleurs auroient excité la compassion des cœurs les plus durs. Elle joignoit souvent ses débiles mains, en jettant des cris douloureux qui se perdoient dans les airs. Les plaintes qu’elle faisoit en conduisant l’auteur aux enfers étoient accompagnées de tant de fréquens soupirs, que jamais objet si pitoyable ne s’est offert à la vue des mortels.

« A l’entrée de l’affreux séjour de Pluton étoit assis le sombre Remords, se maudissant lui-même, & ne cessant de pousser d’affreux sanglots. Il étoit dévoré de soucis rongeans, & se consumoit en vain de peines & de regrets. Ses yeux inquiets rouloient de côté & d’autre, comme si les furies le poursuivoient de toutes parts. Son ame étoit perpétuellement désolée de l’accablant souvenir des crimes odieux qu’il avoit commis. Il lançoit ses regards vers le ciel, & la terreur étoit gravée sur son visage. Il désiroit toujours la fin de ses tourmens, mais tous ses desirs étoient infructueux.

« Après du Remords étoit la Frayeur have, pâle & tremblante, courant à l’avanture d’un pas chancelant, la parole embarrassée & le regard tout effaré. Ses cheveux hérissés faisoient relever sa coëffure. Epouvantée à la vue de son ombre même, on s’appercevoit qu’elle craignoit mille dangers imaginaires.

« La cruelle Vengeance grinçoit les dents de colere, méditant les moyens d’assouvir sa rage, & de faire périr son ennemi avant que de prendre aucun repos.

« La Misere se faisoit aussi remarquer par son visage décharné, par son corps, sur lequel il n’y avoit que quelques lambeaux pendans, & par ses bras consumés jusqu’aux os. Elle tenoit un bâton à la main, & portoit la besace sur l’épaule ; c’étoit sa seule couverture dans les rigueurs de l’hiver. Elle se nourrissoit de fruits sauvages, amers ou pourris. L’eau des ruisseaux fangeux lui servoit de boisson, le creux de la main de coupe, & la terre froide de lit.

« Le Souci, qu’on reconnoissoit distinctement par ses agitations, faisoit sur l’ame un autre genre de pitié. Il avoit les doigts noués & chargés de rides. A peine l’aurore a-t-elle entr’ouvert nos yeux par les premiers rayons de la lumiere, qu’il est debout, ou plutôt ses paupieres desséchées ne se ferment jamais. La nuit a beau faire disparoître le jour & répandre ses voiles sombres, il prolonge sa tâche à la faveur d’une lumiere artificielle.

« Il admiroit d’un œil inquiet le Sommeil immobile, étendu par terre, respirant profondément, également insensible aux disgraces de ceux que maltraite la fortune, & à la prospérité de ceux qu’elle éleve. C’est lui qui donne le repos au corps, le délassement au laboureur, la paix & la tranquillité à l’ame. Il est le compagnon de la nuit, & fait la meilleure partie de notre vie sur la terre. Quelquefois il nous rappelle le passé par des songes, nous annonce les événemens prochains, & plus souvent encore ceux qui ne seront jamais.

« A la porte de la Mort étoit son messager, vieillard décrépit, courbé sous le poids des années, sans dents, & presque aveugle. Il marchoit sur trois piés, & se traînoit quelquefois sur quatre. A chaque pas qu’il faisoit, on entendoit le cliquetis de ses os desséchés. La tête chauve, le corps décharné, il heurtoit de son poing sec à la porte de la Mort, hâletant, toussant, & ne respirant qu’avec peine.

« « Aux côtés du vieillard étoit la pâle Maladie accablée dans un lit, sans pouls, sans voix, sans goût, & rendant une haleine infecte, objet d’horreur à ceux qui la regardent.

« Un spectacle non moins déplorable s’offroit près d’elle ; c’étoit la Famine qui, jettant d’affreux regards, demandoit de la nourriture, comme étant prête à expirer. Sa force est si grande, que les murailles même ne sauroient lui résister. Ses ongles crochus arrachent & déchirent tout ce qui se présente ; elle se dévore elle-même, rongeant sa carcasse hideuse, dont on peut compter les os, les nerfs & les veines. Tandis que le poëte avoit sur elle les yeux fixés & mouillés de larmes de sang à la vue d’un pareil objet, elle jette tout-d’un-coup un cri dont l’enfer même retentit. On vit à l’instant un dard enfoncé au milieu de sa poitrine, & ce dard venoit ouvrir un passage à sa vie.

« Enfin parut la Mort elle-même, divinité terrible qui, la faulx à la main, moissonne indistinctement tout ce qui respire sur la terre, sans que les prieres, les larmes, la beauté, le mérite, la grandeur, la puissance, les royaumes, les empires, les forces réunies des mortels & des dieux puissent soustraire personne à son pouvoir irrésistible. Tout est contraint de subir ses lois inexorables ».

Kidder (Richard), savant évêque de Bath & Wells, naquit en 1649, & publia plusieurs ouvrages théologiques. Il fut tué dans son lit à Wells avec sa femme, par la chûte d’une rangée de cheminée que renversa sur sa maison la violente tempête du 26 Novembre 1703. On a fait plusieurs éditions de son livre intitulé, les devoirs de la jeunesse. Sa démonstration du Messie parut à Londres en 1684, 1699 & 1700, en trois volumes in-8°. Son commentaire sur les cinq livres de Moïse, avec une dissertation sur l’auteur du Pentateuque, a été imprimé à Londres en 1694, deux volumes in-8°.

May (Thomas), poëte & historien, naquit sous le regne de la reine Elisabeth, & mourut subitement dans une nuit de l’année 1652. Il a donné 1°. cinq pieces de théâtre. 2°. Un poëme sur le roi Edouard III. imprimé à Londres en 1635, in-8°. Ce poëme commence ainsi : « Je chante les hauts faits du troisieme & du plus grand des Edouards, qui, par ses exploits, éleva tant de trophées dans la France vaincue, s’orna le premier de ses fleurs de lis, & porta ses armes victorieuses jusqu’au rivage occidental, où le Tage roulant sur un sable d’or, se précipite dans l’Océan ». 3°. Une traduction en vers anglois, de la Pharsale de Lucain, imprimée à Londres en 1630, in-8°. 4°. Histoire du parlement d’Angleterre de l’année 1640, Londres 1647, in-fol. Il dit dans la préface de cette histoire : Quod plura de patriæ defensorum, quàm de partis adversæ rebus gestis exposuerim, mirùm non est, quoniàm plus familiaritatis mihi cum ipsis, & major indagandi opportunitas fuit. Si pars adversa idem tali probitate ediderit, posteritas omnia gesta magno cùm fructu, cognoscet.

Otvay (Thomas), fameux tragique anglois, naquit en 1651 ; il quitta l’université sans y avoir pris aucun degré, & vint à Londres, où il cultiva la poésie, & même monta quelquefois sur le théâtre, ce qui lui valut les bonnes graces du comte de Plimouth, un des fils naturels de Charles II. En 1677, il passa en Flandres en qualité de cornette dans les troupes angloises, mais il en revint en pauvre équipage, & se remit de nouveau à la poésie, & à écrire pour le théâtre. Il finit ses jours en 1685 à la fleur de son âge, n’ayant que 34 ans. Quoique royaliste ouvert, & dans la plus grande misere, il n’obtint jamais de Charles II. le moindre secours, & se vit réduit par un sort singulier, à mourir littéralement de faim.

M. Addison observe, qu’Otway a suivi la nature dans le style de la tragédie, & qu’il brille dans l’expression naturelle des passions, talent qui ne s’acquiert point par le travail ni par l’étude, mais avec lequel il faut être né ; c’est en cela que consiste la plus grande beauté de l’art ; il est vrai que quoique ce poëte ait admirablement réussi dans la partie tendre & touchante de ses tragédies, il y a quelque chose de trop familier dans les endroits qui auroient dû être soutenus par la dignité de l’expression. Ses deux meilleures pieces sont Venise sauvée, ou la conjuration découverte, & l’Orpheline, ou le malheureux mariage ; c’est dommage que cet auteur ait fondé sa tragédie de Venise sauvée sur une intrigue si vicieuse, que les plus grands caracteres qu’on y trouve, sont ceux de rébelles & de traitres. Si le héros de cette piece eût fait paroître autant de belles qualités pour la défense de son pays, qu’il en montre pour sa ruine, les lecteurs n’auroient pu trop l’admirer, ni être trop touchés de son sort. Mais à le considerer tel que l’auteur nous le dépeint, tout ce qu’on en peut dire, c’est ce que Saluste dit de Catilina, que sa mort auroit été glorieuse, s’il eût péri pour le service de sa patrie : si pro patriâ sic concidisset.

Sa tragédie l’Orpheline, quoique toute fictive, peint la passion au naturel, & telle qu’elle a son siege dans le cœur. Mademoiselle Barry, fameuse actrice, avoit coutume de dire, qu’en jouant le rôle de Monime dans cette piece, elle ne prononçoit jamais sans verser des larmes, ces trois mots, ha ! pauvre Castalio ! qui par leur simplicité font un effet d’un pathétique sublime.

Pell (Jean), mathématicien du xvij. siecle, naquit en 1611. Il fut nommé professeur en mathématiques à Amsterdam, & en 1646 à Breda ; en 1654 Cromwell alors protecteur, l’envoya pour résider auprès des cantons protestans. Il revint à Londres en 1658, prit la prêtrise, & fut nommé un des chapelains domestiques de l’archevêque de Cantorbery. Il mourut en 1685. Il a publié quelques livres de mathématiques, & entr’autres, 1. celui qui est intitulé, de verâ circuli mensurâ ; 2. table de dix mille nombres quarrés ; savoir, de tous les nombres quarrés, entre o & cent millions, de leurs côtés & de leurs racines. Londres 1672, in-fol.

Sadler (Jean) naquit en 1615, & mourut en 1674. Son ouvrage intitulé les droits du royaume, parut en 1646, in-4°. dans le tems que l’auteur étoit secrétaire de la ville de Londres. Cet ouvrage fut fort estimé dans ce tems-là, & ne l’a pas été moins depuis.

Olivier Cromwel faisoit grand cas de M. Sadlerd, & lui offrit par une lettre du 31 Décembre 1649 la place de premier juge de Mounster en Irlande, avec mille livres sterling d’appointemens ; mais il s’excusa de l’accepter. Voici le précis de la lettre de Cromwell, qui peint son caractere, sa conduite, & son attention à nommer les meilleurs sujets à toutes les places du gouvernement, & à les nommer avec des graces irrésistibles. Il n’étoit pas possible qu’un homme de cette vigilance & de cette habileté ne vînt à triompher au-dedans & au-dehors. Lisons sa lettre à Sadler.

« Vous proposer, monsieur, à l’improviste une charge importante, c’est peut-être s’exposer à vous prévenir de maniere à vous empêcher d’y penser du tout, ou à prendre le parti de la négative, quand il s’agira de vous déterminer. Nous avons murement réfléchi à ce que nous vous offrons, comme vous vous en appercevrez par les raisons dont nous appuyons notre demande, & nous vous l’offrons de bon cœur, souhaitant que ce soit Dieu, & non pas vous qui nous réponde.

» Que Dieu nous ait visiblement assisté dans les grandes révolutions arrivées depuis peu parmi nous, c’est une chose que tous les gens de bien sentent, & dont ils lui rendent graces, persuadés qu’il a de plus grandes vues encore : & que comme il a manifesté, par tout ce qui s’est passé, sa sévérité & sa justice, il viendra aussi un tems, où il fera éclater sa grace & sa miséricorde.

» Quant à nous, dont il s’est servi comme d’instrument pour cette œuvre, ce qui cause notre joie, c’est que nous faisons l’œuvre de notre maître ; qu’il nous honore de sa protection ; & que nous vivons dans l’espérance qu’il ramenera la paix, & qu’il nous introduira dans le royaume glorieux & pacifique qu’il a promis.

» Si cette espérance nous console, nous ne sommes pas moins réjouis de voir que les affaires prennent un tour qui donne lieu de croire que l’éternel a dessein de faire sentir à cette pauvre île les effets de sa miséricorde. Nous ne pouvons donc nous dispenser de faire tout ce qui dépend de nous, (en qualité de foible instrument), pour répondre aux vues de Dieu, quand l’occasion s’en présente.

» On avoit coutume d’avoir dans la province de Mounster un premier juge, qui, conjointement avec quelques assesseurs, décidoit des affaires ; c’est cet emploi que je vous prie d’accepter. Comme je crois que rien ne vous conviendra mieux que d’avoir des appointemens fixes, j’ose vous promettre mille livres sterling par an, payables tous les six mois. J’ignore jusqu’où vous regarderez cet emploi comme une vocation ; ce dont je suis sûr, c’est que je n’ai jamais rien fait avec plus de plaisir. Informez-moi cependant le plutôt que vous pourrez de votre résolution. Je me recommande à vos prieres, & suis votre affectionné ami & serviteur ».

O. Cromwell.
Corke, le 31 Décembre 1649.

Selden (Jean) est regardé des étrangers pour un des savans hommes de l’Europe ; mais ils ignorent en général la gloire qu’il s’est acquise dans son pays, en qualité de membre du parlement, & le rôle qu’il y a joué, sans pour cela discontinuer la culture des lettres, & sans que les traverses qu’il essuya en défendant les droits de la nation, aient eu le pouvoir d’ébranler la force de son ame. Il avoit pris pour sa devise ces mots grecs, περὶ παντὸς τὴν ἐλευθερίαν, la liberté sur toutes choses.

Il naquit en 1584, étudia à Oxford, s’y distingua, & se fit bientôt une grande réputation par les écrits qu’il mit au jour, consécutivement sur divers sujets. En 1621 le roi Jacques I. mécontent du parlement, fit arrêter Selden, avec quelques-uns des membres de la chambre des communes. En 1625, il fut élu député au premier parlement qui se tint sous Charles I. & alors il se déclara nettement contre le duc de Buckingham. Il s’opposa encore fort vivement au parti de la cour en 1627 & 1628.

« Je ne prens pas la parole, dit-il, dans les débats qu’il y eut touchant la liberté des sujets ; je ne prens pas la parole pour alléguer des raisons sur ce point, le plus important qu’on ait jamais agité. Cette liberté, qui est reconnue, je me flatte de tout le monde, aussi bien que des jurisconsultes, a été violée, non sans qu’on se soit plaint ; mais je ne crois pas, que jamais on en ait légitimé la violation, sinon en dernier lieu. Le privilege du habeas corpus a été réclamé ; la cause a été rapportée par ordre du roi ; signification s’est faite de la part du conseil. On a plaidé, on a allégué sept actes parlementaires : tout cela n’a servi de rien ; l’autorité seule a agi, on a décidé, que quiconque est emprisonné par ordre du roi ou du conseil, ne peut être élargi. J’ai toujours vu que dans les affaires graves, on a coutume d’alléguer publiquement les raisons qu’on a d’agir : il s’agit ici d’une affaire où sa majesté & son conseil sont intéressés. Je desire seulement que quelques-uns du conseil nous instruisent de ce qui peut fonder un pouvoir si étendu ».

L’an 1629 Selden se signala de nouveau contre la cour, lorsqu’on agita dans la chambre-basse de Votter, si la saisie des effets des membres du parlement par les officiers de la douane, n’étoit pas une violation de leurs privileges ? L’orateur refusa de proposer la question, en conséquence de la défense du roi. Selden lui dit : « il est étonnant, M. l’orateur, que vous n’osiez faire une proposition lorsque la chambre vous l’ordonne. Ceux qui vous succéderont, pourront ainsi déclarer dans tous les cas, qu’ils ont ordre du roi de ne point faire une proposition ; mais sachez, monsieur, que ce n’est point là remplir votre charge ; nous sommes assemblés ici pour le bien public par ordre du roi, & sous le grand sceau ; & c’est le roi lui-même, qui, séant sur son trone, & en présence des deux chambres, vous a nommé notre orateur ».

Le roi ayant dissout le parlement, Selden fut arrêté, & emprisonné dans la prison du banc du roi, où il courut risque de la vie, à cause de la peste qui regnoit dans le quartier. Il recouvra la liberté quelque tems après ; & le parlement lui donna cinq mille livres sterling pour le dédommager des pertes qu’il avoit faites dans cette occasion.

En 1630, il fut encore emprisonné avec quelques seigneurs, ayant été accusé d’avoir répandu un libelle intitulé propositions pour le service du roi, de brider l’impertinence des parlemens. La naissance de Charles, prince de Galles, engagea le roi à ordonner qu’on mît Selden, & les autres prisonniers, en liberté.

En 1634, il survint une querelle entre l’Angleterre & la Hollande, pour la pêche du hareng sur les côtes de la grande-Bretagne ; Grotius ayant publié en faveur des Hollandois son mare liberum, Selden lui répondit par son mare clausum, seu de dominio maris, libri duo, Londres 1636, in-8°. Cet ouvrage le mit si bien avec la cour, qu’il ne tint qu’à lui de s’élever aux premiers emplois, mais il leur préfera le plaisir de s’appliquer tout entier à l’étude. Le roi lui-même ayant résolut d’ôter les sceaux à M. Littleton, eut quelqu’envie de les donner à Selden ; mais les lords Claredon & Falkland déclarerent à sa majesté, que Selden refuseroit ce poste. Il accepta seulement la garde des archives de la tour, que le parlement lui confia ; & quelque tems après, il fut mis du nombre des douze commissaires établis pour l’administration de l’amirauté.

En 1654, sa santé s’affoiblit au commencement de cette année, & il mourut le 16 Décembre suivant. Ses exécuteurs testamentaires se désaisirent généreusement de sa bibliotheque, pour en faire présent à l’université d’Oxfort. Le docteur Burnet dit que cette bibliotheque étoit estimée quelque mille livres sterling, & qu’on la regardoit comme une des plus curieuses de l’Europe.

Tous les ouvrages de Selden, ont été recueillis par le docteur David Wilkins, en trois volumes in-folio, à Londres en 1726. Les deux premiers volumes contiennent les ouvrages latins, & le troisieme les anglois. L’éditeur a mis à la tête une vie fort étendue de Selden, & a ajouté à son édition quelques autres pieces du même auteur qui n’avoient pas encore paru, entre autres des lettres, des poésies, &c.

Il est assez surprenant, que l’éditeur n’ait point inséré dans sa collection l’ouvrage intitulé, recherches historiques & politiques sur les lois d’Angleterre, depuis les premiers tems jusqu’au regne de la reine Elisabeth. Cet ouvrage est de Selden, & a été publié sous son nom à Londres en 1739, in-fol. quatrieme édition. Le but principal est de prouver par des déductions historiques, que les rois d’Angleterre n’ont jamais été revêtus d’un pouvoir arbitraire. Ce livre fut imprimé pour la premiere fois in-4°. l’an 1649, peu de tems après la mort de Charles I.

Le savoir de Selden est connu de tout le monde. Le docteur Hicker observe néanmoins, qu’il ne possédoit pas à fond l’anglo-saxon. Son érudition étoit peu commune, toujours variée, & pleine d’observations utiles ; mais il manque à ses ouvrages la méthode & la clarté du style. Ses analecta anglo-britannica ne font pas connoître, autant qu’on le desireroit, la religion & le gouvernement des Saxons, ni les révolutions arrivées parmi eux.

Son fameux traité de diis Siriis, a trois grands défauts, qui lui sont communs avec la plupart de ceux qui ont écrit sur l’idolâtrie des peuples orientaux. 1°. Le peu de choix des citations ; 2°. c’est que dans ce nombre, la plûpart de ceux qui ont écrit des dieux de l’Orient, confondent perpétuellement les dieux des Grecs avec ceux des peuples barbares ; 3°. l’explication allégorique des fables, que Selden n’a pas toujours évitée.

Son histoire des dîmes choqua extrèmement le clergé, & fut attaquée de toutes parts. Le but de cet ouvrage est de prouver que les dîmes ne sont pas de droit divin, quoique l’auteur ne veuille pas en contester aux ecclésiastiques la possession qui est fondée sur les lois du pays.

Ses travaux sur les marbres d’Arundel, lui ont fait beaucoup d’honneur, & nous ont valu les belles éditions de Prideaux, en 1676, in-fol. & de Mattaire, en 1732.

Ses titres d’honneur ont été réimprimés trois ou quatre fois séparément. Nicholson dit, que pour ce qui regarde la haute & petite noblesse d’Angleterre, elle doit avouer qu’il faut lire cet ouvrage pour acquérir une idée générale de tous les différens degrés de distinction, depuis celui d’empereur, jusqu’à celui de gentilhomme campagnard.

Son mare clausum est extrèmement loué par les Anglois, qui soutiennent constamment que l’auteur a démontré contre Grotius par les anciens monumens historiques, l’empire des Anglois sur les quatre mers, & que les François, les Flamands & les Hollandois n’ont aucun droit d’y pêcher sans leur permission ; mais Grotius a pour lui le suffrage des étrangers. Quoi qu’il en soit, la nation angloise estima si fort l’ouvrage de Selden, que ce livre, par ordre exprès du roi & du conseil, fut remis publiquement aux barons de l’Echiquier, pour être déposé dans les archives, comme une piece inestimable, parmi celles qui regardent les droits de la couronne.

Son fleta, seu commentarius juris anglicani, parut à Londres, in-4°. & c’est un monument de prix pour la nation. On en a donné une seconde édition en 1685, dans laquelle on auroit dû corriger les fautes que Selden lui-même avoit indiquées.

Le livre de jure naturali, & gentium, a reçu de grandes louanges de Puffendorf ; mais messieurs le Clerc & Barbeyra, pensent différemment. Le premier lui reproche ses principes rabbiniques, bâtis sur une supposition incertaine de la tradition judaïque. Le second ajoute que Selden se contente de citer les décisions des rabbins, sans se donner la peine d’examiner si elles sont justes ou non. Il est certain que dans un ouvrage de cette nature, il falloit dériver ses principes des pures lumieres de la raison, & non pas uniquement des préceptes donnés à Noé, dont le nombre est fort incertain, & qui ne sont fondés que sur une tradition douteuse. Enfin, dans cet ouvrage de Selden il regne beaucoup de desordre, & sur-tout l’obscurité, qu’on remarque en général dans ses écrits. (Le chevalier de Jaucourt.)