L’Encyclopédie/1re édition/SUFFOLK

SUFFRAGANT  ►

SUFFOLK, (Géog. mod.) province maritime d’Angleterre, au diocèse de Norwich. Elle est bornée au nord par le duché de Norfolck, au midi par le comté d’Essex, au levant par le Norfolck encore, & au couchant par la province de Cambridge.

La province de Suffolk est d’une figure approchante d’une demi-lune. Elle a vingt-cinq milles dans sa plus grande largeur du nord au sud, quarante-cinq de longueur de l’orient à l’occident, & cent quarante de circuit. Les anciens icéniens habitoient cette province, ainsi que celle de Norfolck & de Cambridge. Les Saxons firent de tout cela un royaume, auquel ils donnerent le nom d’Est-Angle.

On compte dans la province de Suffolk vingt-deux hundreds ou centaines ; vingt-huit villes ou bourgs à marché ; cinq cens soixante & quinze paroisses, & environ un million d’arpens de terre. Il s’y trouve sept villes ou bourgs à marché, qui ont droit de députer au parlement, savoir Ipswich capitale, S. Edmondbury, Dunwich, Orford, Alborough, Eye & Sudbury.

L’air de cette province est fort doux & fort sain. Son terroir est très-fertile, étant pour la plupart & d’argile & de marne. Il produit le meilleur beurre d’Angleterre. Les manufactures de drap & de toile de cette province, contribuent encore à y entretenir l’abondance. Elle a le titre de comté, érigé par Jacques I. en faveur de Thomas Howard, second fils du duc de Norfolck.

Je n’épuiserai point ici la liste des hommes de lettres qu’a produit cette province ; mais dans cette liste j’en choisirai quelques-uns qui ont fait du bruit par leurs écrits, & d’autres que leurs ouvrages ont rendu célebres.

Robert Grosse-tête, en latin Capito, l’un des plus grands théologiens, des plus illustres philosophes, & des plus savans hommes du xiij. siecle, tems d’ignorance & de barbarie, naquit de pauvres parens dans le comté de Suffolk Il devint par sa science le premier docteur d’Oxford, puis archidiacre de Leicester, & enfin évêque de Lincoln, en 1235. Il remplit dignement les fonctions de l’épiscopat, employant tout son tems au bien de son troupeau, à l’avancement des lettres & à composer des ouvrages. Il défendit avec zele la jurisdiction des ordinaires, tantôt contre les moines, tantôt contre le pape Innocent IV. & mourut en 1253 ; mais ses écrits ont conservé son nom. Il en a fait de profanes & de sacrés. Son Abregé de la sphere a paru à Venise en 1504, & son Commentaire sur les analytiques d’Aristote, a été imprimé dans la même ville en 1537 & en 1552. On a publié à Londres en 1652, un ouvrage de ce prélat touchant les observations légales ; & M. Brown a fait imprimer pareillement à Londres en 1690, quelques-unes de ses lettres dans le second volume du Fasciculus rerum expectundarum.

Alabaster (Guillaume), accompagna le comte d’Essex en qualité de son chapelain, à l’expédition de Cadix. Ebloui par la pompe des églises, il se fit catholique ; cependant, bientôt après, ne trouvant point ce qu’il avoit espéré dans ce changement, il reprit sa premiere religion. Il entendoit fort bien la langue hébraïque, comme le prouve son Lexicon hebraicum ; mais il se gâta l’esprit par l’étude de la cabale. Il étoit poëte, & fit une tragédie latine intitulée Roxama, dont la représentation dans un college de Canibridge, sut accompagnée d’un accident remarquable. Il y eut une dame à cette piece qui fut tellement épouvantée du dernier mot de la tragédie sequar, sequar, prononcé par l’acteur d’un air furieux, qu’elle en perdit l’esprit pour toute sa vie.

Bale (Jean), en latin Balœus, historien du xvj. siecle, quitta la religion romaine par les soins de mylord Wentworth, & peut-être aussi, dit Nicholson, par ceux de la belle Dorothée qu’il épousa. Le roi Edouard VI. le nomma évêque d’Ossory en Irlande ; mais la reine Marie étant montée sur le thrône, il s’embarqua en 1553, pour passer la mer, & fut pris par des corsaires qui le vendirent. Ayant été racheté, il choisit Basle pour sa demeure. Cependant sous le regne d’Elisabeth il revint en Angleterre, où il mourut en 1565, âgé de 68 ans.

Il a publié plusieurs centuries latines des illustres écrivains de la Grande Bretagne : Scriptorum illustrium Majoris Britanniæ, &c. Catalogus, continens xiv. centurias, Basileæ, 1557 & 1559. Cet ouvrage a été proscrit d’une façon très-particuliere dans l’Indice, imprimé in-fol. à Madrid en 1667, & c’est avec justice ; car l’auteur fait l’histoire de la religion catholique d’un style amer, caustique, plein d’invectives, & a inventé cent faussetés pour multiplier les ennemis de l’église romaine. Tous les habiles & honnêtes gens qui se sont attachés à l’étude de l’antiquité étant dans les mêmes vûes, quoique de religion différente, ont toujours respecté la vérité, & n’ont jamais accommodé leurs histoires à leurs opinions particulieres, comme Balaeus & Pitseus Si l’on compare les odieuses centuries de ces deux écrivains avec les excellens ouvrages de Leland & de Cambden, on s’appercevra bientôt de l’union intime qui se trouve entre le faux zele & l’ignorance, & entre l’érudition & la modération.

Boys (Jean), naquit en 1560 & mourut en 1643, âgé de 83 ans. Son premier dessein étoit d’apprendre la médecine, & dans cette vûe il acheta quantité de livres sur cet art ; mais comme en les lisant, il s’imaginoit quelquefois être atteint des unes ou des autres maladies dont ses lectures lui présentoient la description, cette crainte l’allarma, & lui fit abandonner une si triste étude. Il se tourna donc vers d’autres études, & devint par son application continuelle, bon grammairien, habile grec & savant théologien. Il fut nommé par son mérite pour être un des traducteurs de la Bible, dont le roi Jacques I. ordonna la version en anglois, au commencement de son regne ; & les livres apocryphes qui n’étoient pas les plus aisés à traduire, tomberent en partage à Boys. Il aida aussi de ses lumieres le chevalier Saville, pour l’exécution de sa belle édition des œuvres de S. Chrysostome.

Messieurs Echard (Jean & Laurent), tous deux de la province de Suffolk, & tous deux théologiens, ont publié des ouvrages ; mais dans un genre différent. Le premier naquit en 1635, & mourut vers l’an 1696. Il abusa de son esprit par un écrit anonyme & satyrique intitulé : Recherches des causes du mépris qu’on a pour le clergé de la Grande Bretagne, & pour la religion. On lui répondit avec beaucoup de bon sens & de vérité, 1°. que dans un royaume où il y avoit huit ou neuf mille paroisses, & peut-être autant d’ecclésiastiques, il étoit mal de s’attacher à recueillir les fautes qui avoient pu échapper pendant soixante ans, & dans des tems d’anarchie, à quelques membres d’un corps si nombreux, & d’en faire un ouvrage peu propre à plaire aux honnêtes gens, & seulement amusant pour de jeunes libertins. 2°. qu’il abusoit le lecteur, en attribuant à tout un corps les idées extravagantes de quelques fanatiques, sans caractere. 3°. qu’il avoit confondu malicieusement les tems d’ignorance & de licence avec ceux de lumiere & de vertu.

En effet, la bonne morale & la théologie pratique, semblent aujourd’hui, pour ainsi dire, particulieres au clergé de la Grande Bretagne. Les ouvrages d’érudition & de piété sortis depuis un siecle de la plume des ecclésiastiques de ce royaume, font l’admiration de toute l’Europe. Les choses étoient différentes avant le regne de la reine Elisabeth. Alors les universités mêmes étoient si dépourvues de clercs qui pussent prêcher d’une maniere édifiante, & la barbarie étoit si grande, qu’un sherif du comté d’Oxford, qui passoit pour un génie à cause de ses pointes, monta en chaire, & fit au défaut du prédicateur qui étoit malade, un sermon qu’on imprima, & dont voici le début.

« Arrivant au mont de Ste Marie, sur le théatre graveleux où je suis à-présent, je vous apporte, mes freres, quelques biscuits qui sont cuits au four de la charité, & que je réservois pour les poulets de l’Eglise, les moineaux de l’esprit & les hirondelles du salut, &c. » Fuller Church, history of Britan. lib. IX. p. 65. Cet exorde ridicule enchanta ses auditeurs.

Echard (Laurent), étoit dans les ordres. Il s’est fait connoitre avantageusement dans ce siecle, par des traductions de Plaute & de Térence ; par une histoire ecclésiastique universelle, & par l’histoire d’Angleterre, en trois vol. in-fol. Ce dernier ouvrage est louable pour le style & la méthode, ainsi que pour plusieurs choses qui sont agréables & nouvelles ; mais il a mérité, à d’autres égards, la juste censure du docteur Edmund Calamy & de M. Jean Odlmixon. Laurent Echard est mort en 1730, dans sa voiture, en allant prendre les eaux de Scarborough.

Calamy (Benjamin), théologien non-conformiste, naquit en 1638 & mourut en 1685, à 47 ans. On a deux volumes de ses sermons, dont il s’est fait sept ou huit éditions depuis sa mort.

Wotton (Guillaume), un des illustres savans de notre siecle, naquit en 1666, & mourut en 1726 dans la 61e. année de son âge. Ses ouvrages montrent qu’il étoit profondément versé dans la connoissance des langues, & dans celle de la plupart des sciences. Son livre sur le savoir des anciens & des modernes, imprimé à Londres en 1694 in-8°. est plein de jugement & d’érudition. Il publia en 1701 in-8°. son Histoire de Rome, depuis la mort d’Antonin le Pieux, jusqu’à la mort de Sévere Alexandre ; c’est une histoire estimée, parce que l’auteur a eu partout beaucoup d’égard à l’autorité des médailles, pour fixer l’époque des événemens les plus considérables du regne de chaque empereur. Ses discours sur les traditions & les usages des Scribes & des Pharisiens, parurent en 1718 en 2 vol. in-8°. Le but du docteur Wotton dans ce livre, est de donner aux jeunes étudians en théologie, une idée de la littérature judaïque, d’en faire connoître l’autorité & l’usage qu’on peut en tirer. Ceux qui ne sont pas en état de lire les grands ouvrages de Selden & de Lightfoot, en trouveront ici le précis.

Le même Wotton a traduit en latin, & publié les anciennes lois ecclésiastiques & civiles du pays de Galles, qu’il a illustrées de notes & d’un glossaire. Enfin il avoit conçu le dessein de publier l’Oraison dominicale en cent cinquante langues ; projet plus curieux qu’utile, mais projet qu’il pouvoit mieux exécuter que personne, parce qu’il entendoit lui-même la plupart des langues de l’orient & de l’occident. (Le Chevalier de Jaucourt.)