L’Encyclopédie/1re édition/SOMMERSET-SHIRE

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SOMMERSET-SHIRE, (Géog. mod.) province maritime d’Angleterre au couchant, dans le diocèse de Bath & de Wells, avec titre de duché. Elle est bornée au nord par le duché de Glocester, au nord-ouest par la baie de la Saverne, à l’orient par le comté de Wilt, au sud-est par le comté de Dorset, & au sud-ouest par Devonshire.

Elle a 55 milles de long, 40 de large, & 204 de circuit. On y compte 42 quartiers, 35 villes ou bourgs à marchés, & 385 églises paroissiales. Elle est abondamment arrosée de rivieres qui la rendent fertile en grains & en fruits, & riche en prairies, en pâturages & en troupeaux.

On y trouve plusieurs mines d’excellens charbons de terre, & des fontaines médicinales qui sont renommées ; Bristol est la capitale de cette province. Le plomb qui se tire des montagnes de Mendip, est un des meilleurs du royaume, & il s’en fait un grand commerce.

Les anciens habitans de ce pays portoient le nom de Belges, & possédoient outre cette province, celles de Wight & de Southampton. Plusieurs seigneurs y ont leurs terres, & de belles maisons de campagne ; mais ce qui fait sur-tout la gloire de cette belle province, ce sont les illustres gens de lettres qu’elle a produits : il faut nommer ici les principaux.

Beckington (Thomas), est le premier dans cette province qui se soit distingué dans les lettres. Il fit ses études à Oxford, dans le college neuf dont il étoit membre en 1408, & dont il fut dans la suite le bienfaiteur. Il devint évêque de Bath & Wells, & favorisa si généreusement les sciences, qu’il en a été regardé comme le plus grand protecteur dans son siecle. Il publia un ouvrage latin : de jure regum anglorum ad regnum Franciæ. On disputoit alors fort vivement sur cette matiere, & Beckington tâcha de prouver dans son livre, la nullité de la loi salique, & le droit héréditaire des rois d’Angleterre à la couronne de France. Il mourut en 1464.

Bond (Jean), se montra un critique utile pour la jeunesse, par ses notes sur Perse & sur Horace, qui sont toujours fort estimées à cause de leur briéveté ; on y remarque pourtant des obmissions considérables, particulierement touchant les points historiques & philologiques, qui sont absolument nécessaires pour l’intelligence des auteurs. Bond mourut recteur de l’école publique de Taunton en 1612, âgé de 62 ans.

Bennet (Christophle), né en 1614, s’attacha à la Médecine, & se rendit fameux dans sa pratique & par ses écrits. Son ouvrage intitulé : theatri tabidorum vestibulum, &c. Londres 1654 in-8°. est un ouvrage admirable. L’auteur mourut en 1655, âgé de 41 ans, de la maladie même sur laquelle il a fait un chef-d’œuvre.

Charlton (Gautier), autre médecin célebre, naquit en 1619 ; après avoir long-tems pratiqué à Londres, se retira en 1691 dans l’île de Jersey où il mourut fort âgé. Il a publié un grand nombre d’ouvrages. Les principaux sont : 1°. Œconomia animalis, Londres 1658, Amsterdam 1659, Leyde 1678, la Haye 1681 in-12. 2°. Exercitationes physico-anatomicoe, de Œconomiâ animali, Londres 1659 in-8°. réimprimées depuis plusieurs fois au-delà la mer : 3°. les Femmes éphésiennes & simmériennes, ou deux exemples remarquables de la puissance de l’amour, & de la force de l’esprit, Londres 1653 in 8°. 4°. Exercitationes pathologicæ, Londres 1660 in-4°. 5°. Onomasticon zoicon, &c. Londres 1668 & 1671 in-4°. Oxon 1677 in-fol. 6°. De scorbuto liber singularis, cui accessit epiphonema in medicastros, London 1671 in-8°. Leyde 1672 in-12. 7°. Leçons anatomiques sur le mouvement du sang, & la structure du cœur, Londres 1683 in-4°. 8°. Inquisitio de causis catameniorum, & uteri rhumatismo, London 1685 in-8°. 9°. La vie de Marcellus, traduite de Plutarque en anglois, Londres 1684 in-8°. 10°. Discours sur les défauts du vin, & sur les manieres d’y remédier, London 1668, 1675 & 1692 in-8°.

Ajoutons son livre intitulé, Chorea gigantum, ou la plus fameuse antiquité de la Grande Bretagne, vulgairement appellée Stone-hinge, qui se trouve dans la plaine de Salisbury, rendue aux Danois ; Londres 1663, en neuf feuilles in 4°.

Inigo (Jones), inspecteur-général des bâtimens de Jacques I. de la reine Anne, du prince Henri, & de Chrétien IV. roi de Danemarck, & ensuite du roi Charles I. composa en 1620, par ordre de Jacques I. un ouvrage, où il prétend que Stone-hinge sont les restes d’un temple bâti par les Romains, pendant leur séjour dans la Grande Bretagne, & dédié à Cœlus dont les anciens dérivoient l’origine de toutes choses. Ayant laissé cet ouvrage imparfait, lorsqu’il mourut en 1652, il tomba entre les mains de M. Jean Webb de Burleigh dans le comté de Sommerset, qui y mit la derniere main & le publia sous ce titre : La plus notable antiquité de la Grande Bretagne, vulgairement appellée Stone-hinge, dans la plaine de Salisbury, rétablie ; Lond. 1655, en quinze feuilles in-fol.

Charlton, peu content de ce livre, l’envoya à Olaüs Wormius, fameux antiquaire danois. Ce savant lui écrivit plusieurs lettres sur cette matiere, & ce sont ces lettres, avec les ouvrages de quelques autres écrivains danois, qui ont servi de fonds à Charlton pour composer son traité sur ce sujet. Cet ouvrage, dit M. Wood, quoique peu favorablement reçu de plusieurs personnes lorsqu’il parut, n’a pas laissé d’être fort estimé de nos plus célebres antiquaires, & sur-tout du chevalier Guillaume Dugdale, qui croyoit que le docteur Charlton avoit rencontré juste dans sa Chorea gigantum. Cependant M. Webb entreprit la défense du traité d’Inigo Jones, par un livre intitulé : Défense de Stone-hinge rétabli, où l’on examine les ordres & les regles de l’architecture des Romains, &c. Lond. 1665 in-fol.

Baker (Thomas), né en 1625, & mort en 1690, a mis au jour à Londres 1684 in-4°. en latin & en anglois, un ouvrage intitulé la Clé de la Géométrie, dont on trouve un extrait dans les Trans. phil. du 20 Mars n°. 154.

Godwin (Thomas), enseigna avec réputation à Abingdon, & mourut en 1643 à 55 ans. On a de lui plusieurs ouvrages en latin, remplis d’érudition ; les plus estimés sont : 1°. Romanæ historiæ anthologia, Oxford 1613 in-4°. 1623, & Londres 1658 : 2°. Synopsis antiquitatum hebraicarum, libri tres, Oxford 1616 in-4°. 3°. Moses & Aaron, ou les Usages civils & ecclésiastiques des Hébreux, Londres 1625 in-4°. la septieme édition est aussi de Londres en 1655 in-4°. Cet ouvrage a été traduit en latin, & publié à Utrecht en 1690 in-4°. avec des remarques de Jean-Henri Reyzius : on y a ajouté deux dissertations de Witsius ; l’une sur la théocratie des Israélites, & l’autre sur les Réchabites.

Cudworth (Rodolphe), naquit en 1617, & cultiva de bonne heure toutes les parties de la Théologie, des Belles-lettres & de la Philosophie. En 1647 il prononça un sermon en présence de la chambre des communes, dans lequel il la sollicite de contribuer à faire fleurir l’érudition. « Je ne parle pas seulement, dit-il, de celle qui est propre pour la chaire, vous y veillez suffisamment ; mais je parle du l’érudition qui est d’un usage moins ordinaire, prise dans ses différentes branches, lesquelles toutes réunies, ne laissent pas d’être utiles à la religion & à la société. C’est une chose digne de vous, messieurs, en qualité de personnes publiques, d’encourager le savoir, qui ne peut que réflechir sur vos personnes, & vous couvrir d’honneur & de gloire ».

En 1654 il fut nommé principal du college de Christ à Cambridge, poste dans lequel il passa le reste de ses jours, & mourut en 1688, âgé de 71 ans.

Cudworth réunissoit de grandes connoissances ; il étoit très-versé dans la Théologie, dans les langues savantes & dans les antiquités. Il prouva par ses ouvrages qu’il n’étoit pas moins philosophe subtil, que profond métaphysicien. Il fit choix de la philosophie méchanique & corpusculaire ; & dans la métaphysique, il adopta les idées & les opinions de Platon.

Il publia en 1678 son système intellectuel de l’univers, in-fol. Il combat dans cet ouvrage l’Athéisme (qui est la nécessité de Démocrite), dont il réfute les raisons & la philosophie. Thomas Wise a publié en 1706, un abrégé fort estimé de ce bel ouvrage, en deux volumes in-4°. & cet abrégé étoit nécessaire, parce que le livre du docteur Cudworth est un si vaste recueil de raisons & d’érudition, que le fil du discours est perpétuellement interrompu par des citations grecques & latines. M. le Clerc avoit cependant desiré que quelque savant entreprît de traduire en latin le grand ouvrage de Cudworth ; ce projet a été finalement exécuté en 1733, par le docteur Mosheim, & sa traduction a paru à Iene en 2 vol. in-fol. avec des notes & des dissertations.

Cudworth a laissé plusieurs ouvrages manuscrits, entr’autres 1°. un Traité du bien & du mal moral, contenant près de mille pages : 2°. un Traité qui n’est pas moins considérable sur la liberté & sur la nécessité : 3°. un Commentaire sur la prophétie de Daniel touchant les septante semaines, en 2 volumes in-fol. 4°. un Traité sur l’éternité & l’immutabilité du juste & de l’injuste ; ce traité a été publié en anglois à Londres en 1731 in-8°. avec une préface du docteur Chandler, évêque de Durham : 5°. un Traité de l’immortalité de l’ame, en un vol. in 8°. 6°. un Traité de l’érudition des Hébreux, &c.

Il laissa une fille nommée Damaris, qui fut intimement liée avec M. Locke, dont il est tems de parler.

En effet, la province de Sommerset doit sur-tout se vanter d’avoir produit ce grand homme. Il naquit à Whrington, à 7 ou 8 milles de Bristol, en 1632. Après avoir commencé à étudier sérieusement, il s’attacha à la Médecine ; & quoiqu’il ne l’ait jamais pratiquée, il l’entendoit à fond au jugement de Sydenham. Le lord Ashley, depuis comte de Shaftesbury, qui reconnoissoit devoir la vie à un des conseils de Locke, disoit cependant que sa science médicinale étoit la moindre partie de ses talens. Il avoit pour lui la plus grande estime, le combla de bienfaits, & le mit en liaison avec le duc de Buckingham, le lord Halifax, & autres seigneurs de ses amis, pleins d’esprit & de savoir, & qui tous étoient charmés de la conversation de Lock.

Un jour trois ou quatre de ces seigneurs s’étant donné rendez-vous chez le lord Ashley, pour s’entretenir ensemble, s’aviserent en causant de demander des cartes. Locke les regarda jouer pendant quelque tems, & se mit à écrire sur ses tablettes avec beaucoup d’attention. Un de ces seigneurs y ayant pris garde, lui demanda ce qu’il écrivoit. « Mylord, dit-il, je tâche de profiter de mon mieux dans votre compagnie ; car ayant attendu avec impatience, l’honneur d’être présent à une assemblée des plus spirituels hommes du royaume, & ayant eu finalement cet avantage, j’ai cru que je ne pouvois mieux faire que d’écrire votre conversation ; & je viens de mettre en substance le précis de ce qui s’est dit ici depuis une heure ou deux ». Il ne fut pas besoin que M. Locke lût beaucoup de ce dialogue, ces illustres seigneurs en sentirent le ridicule ; & après s’être amusés pendant quelques momens à le retoucher, & à l’augmenter avec esprit, ils quitterent le jeu, & entamerent une conversation sérieuse, & y employerent le reste du jour.

Locke éprouva la fortune & les revers du comte Shaftesbury, qui lui avoit donné une commission de cinq cent livres sterling, qu’on supprima. Après la mort du roi Charles II. M. Penn employa son crédit auprès du roi Jacques II. pour obtenir le pardon de M. Locke ; & la chose eût réussi si M. Locke n’avoit répondu, qu’il n’avoit que faire de pardon, puisqu’il n’avoit commis aucun crime.

En 1695 il fut nommé commissaire du commerce & des colonies, emploi qui vaut mille livres sterling de rente ; mais il le résigna quelques années après, à cause de l’air de Londres qui étoit contraire à sa santé ; & quoique le roi même voulût lui conserver ce poste sans résidence, M. Locke se retira dans la province d’Essex, chez le chevalier Marsham son ami, avec lequel il passa les quinze dernieres années de sa vie, & mourut en 1704 âgé de 73 ans.

Il fit lui-même son épitaphe, dont voici le précis : Hîc situs est Joannes Locke. Si qualis fuerit rogas, mediocritate suâ contertum se vixisse respondet. Litteris eò usque tantum profecit, ut veritati uni se litaret ; morum exemplar si quoeras, in Evangelio habes. Vitiorum utinàm nusquam ; mortalitatis certè (quod profit) hîc, & ubique.

Il avoit une grande connoissance du monde, & des affaires. Prudent sans être fin, il gagnoit l’estime des hommes par sa probité, & étoit toujours à couvert d’un faux ami, ou d’un lâche flatteur. Son expérience & ses mœurs honnêtes, le faisoient respecter de ses inférieurs, lui attiroient l’estime de ses égaux, l’amitié & la confiance des grands, Quoiqu’il aimât sur-tout les vérités utiles, & qu’il fût bien-aise de s’en entretenir, il se prêtoit aussi dans l’occasion aux douceurs d’une conversation libre & enjouée. Il savoit plusieurs jolis contes, & les rendoit encore plus agréables, par la maniere fine & aisée dont il les racontoit. Il avoit acquis beaucoup de lumieres dans les arts, & disoit que la connoissance des arts contenoit plus de véritable philosophie, que toutes les belles & savantes hypothèses, qui n’ayant aucun rapport à la nature des choses, ne servent qu’à faire perdre du tems à les inventer, ou à les comprendre. Comme il avoit toujours l’utilité en vue dans ses recherches, il n’estimoit les occupations des hommes qu’à proportion du bien qu’elles sont capables de produire, c’est pourquoi, il faisoit peu de cas des purs grammairiens, & moins encore des disputeurs de profession.

Ses ouvrages rendent son nom immortel. Ils sont trop connus, pour que j’en donne la liste ; c’est assez de dire, qu’ils ont été recueillis & imprimés à Londres en 1714, en 3 vol. in-fol. & que depuis ce tems-là, on en a fait dans la même ville huit ou dix éditions. Il a seul plus approfondi la nature & l’étendue de l’entendement humain, qu’aucun mortel n’avoit fait avant lui. Depuis Platon jusqu’à nos jours, personne dans un si long intervalle de siecles, n’a dévoilé les opérations de notre ame, comme ce grand homme les développe dans son livre, où l’on ne trouve que des vérités. Personne n’a tracé une méthode de raisonner plus claire & plus belle ; & personne n’a mieux réussi que lui à rappeller la philosophie de la barbarie, à l’usage du monde & des personnes polies qui pouvoient avec raison la mépriser, telle qu’elle étoit auparavant.

Je joins à ma liste des hommes illustres de la province de Sommerset, un courtisan célebre, que la fortune, par un exemple des plus rares, daigna constamment favoriser jusqu’à la fin de ses jours ; je veux parler du lord Pawlet, marquis de Winchester, grand trésorier d’Angleterre, mort dans ce poste en 1572, âgé de 97 ans. Il laissa une postérité plus nombreuse que celle d’Abraham, qui ne comptoit que soixante & dix descendans, au lieu que le lord Pawlet en vit jusqu’à cent trois. Pendant le cours d’une si longue carriere, passée sous des regnes si opposés, tels que ceux d’Henri VIII. d’Edouard VI. de Marie & d’Elisabeth, il posséda toujours leur faveur & leurs bonnes graces. Il échappa à tous les dangers, & s’endormit tranquillement avec ses peres, comblé d’années, d’honneurs, & de richesses. On rapporte qu’ayant été interrogé, comment il avoit fait pour se maintenir parmi tant de troubles & de révolutions dans l’état & dans l’église, il répondit, en étant un saule, & non pas un chêne. Cette réponse peint à merveille le caractere d’un ministre d’état, qui ne chérit que lui, se prête à tout, & s’embarrasse peu du bien public. (Le Chevalier de Jaucourt.)