L’Encyclopédie/1re édition/SIRMIUM

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SIRMIUM, (Géog. anc.) ville de la basse-Pannonie, sur la rive gauche de la Save, dans l’endroit où cette riviere reçoit celle que les anciens nomment Bacuntius. C’est-là sa position, selon Pline, liv. III. ch. xxv. & Ptolomée, liv. II. ch. xvj.

C’étoit une très-grande ville, au rapport d’Hérodien, liv. VII. ch. ij. & la métropole de la Pannonie. On voit dans Gudius, pag. 146. une ancienne inscription, avec ces mots : natione Pannonius domu flavia Sirmio ; & on lit dans la notice des dignités de l’empire, flavia Augusta Sirmium, ce qui nous apprend que Sirmium fut redevable de quelques bienfaits à la maison flavienne. Peut-être les empereurs de cette maison y envoyerent-ils une colonie ; du moins M. le comte de Marsilly rapporte, dans son danube, une inscription, qui justifie que cette ville étoit une colonie romaine. Dec. col. Sirmiens. Les Huns la détruisirent vers l’an 460, & ce n’est plus aujourd’hui qu’un bourg de l’Esclavonie, nommé Sirmich.

Mais Sirmium, dans le tems de son lustre, a été la résidence, la patrie, ou le lieu du tombeau de plusieurs empereurs romains, ce qui lui valut le titre de ville impériale.

Je remarque d’abord que c’est à Sirmium que mourut Marc-Aurele, le 17 Mars de l’an 180 de Jesus-Christ, à l’âge de 59 ans, après en avoir regné 19. « On sent en soi-même un plaisir secret lorsqu’on parle de cet empereur, dit M. de Montesquieu. On ne peut lire sa vie sans une espece d’attendrissement. Tel est l’effet qu’elle produit, qu’on a meilleure opinion de soi-même, parce qu’on a meilleure opinion des hommes ». Il fit le bonheur de ses sujets, & l’on vit en lui l’accomplissement de cette ancienne maxime de Platon, que le monde seroit heureux si les philosophes étoient rois, ou si les rois étoient philosophes. Marc-Aurele faisoit profession ouverte de philosophie, mais de la plus belle, j’entends de celle des Stoïciens, dont il suivoit la secte & la morale. Il nous reste de ce prince douze livres de réflexions sur sa vie, ouvrage précieux, dont Madame Dacier a donné une traduction de grec en françois, avec des remarques.

L’empereur Claude finit aussi ses jours à Sirmium en 270, à 56 ans, d’une maladie pestilentielle qui s’étoit mise dans son armée, après de grandes batailles contre les Goths, les Scythes & les Sarmates.

Les empereurs nés à Sirmium sont Aurélien, Probus, Constance II. & Gratien. Rappellons briévement leur caractere.

Aurelianus (Lucius Domitius), l’un des plus grands guerriers de l’antiquité, étoit d’une naissance obscure, & parvint à l’empire par sa valeur, après la mort de Claude. Il aimoit le travail, le vin, la bonne-chere, & n’aimoit pas les femmes. Il fit observer la discipline avec la derniere sévérité ; & quoique d’un caractere des plus sanguinaires, sa libéralité, & le soin qu’il prit de maintenir l’abondance, firent oublier son extrême cruauté. Il battit les Perses, & s’acquit la plus haute réputation par la conquête des états de la reine Zénobie. Il traita les Palimyréniens avec une rigueur énorme, soumit l’Egypte à son obéissance, & triompha de Tetricus avec une pompe extraordinaire. Il alloit conduire en Thrace son armée contre les Perses, lorsqu’il fut tué par un de ses généraux au mois de Janvier 275. Il porta la guerre d’Orient en Occident, avec la même facilité que nos rois font marcher leurs armées d’Alsace en Flandres. On le déifia après sa mort, & l’on éleva un temple en son honneur. Il fut nommé dans une médaille le restaurateur de l’empire, orbis restitutor. C’est un bonheur que ce prince payen, attaché au culte du soleil, ne se soit pas mis dans l’esprit de persécuter les chrétiens, car un homme si sanguinaire n’en eût pas laissé subsister un seul.

Probus (Marcus Aurelius), parvint de bonne heure aux premieres dignités militaires. Gallien lui donna le commandement de l’Illyrie. Tacite y joignit celui de l’Orient ; & c’est là qu’il fut nommé par ses troupes à l’empire. Il vainquit Florien, frere de Tacite, qui avoit été son concurrent. Ensuite il remporta de grandes victoires sur les Vandales, les Gaulois, les Sarmates & les Goths. Il se préparoit à porter la guerre jusque dans la Perse, lorsqu’il fut tué en 282 par un parti de soldats séditieux, qu’il occupoit à des ouvrages publics auprès de Sirmium.

Constance II. (Flavius Julius Constantius), second fils de Constantin le grand, & de Fauste, naquit l’an 317 de Jesus-Christ, & fut déclaré César en 324. Après le décès de son pere, il fit mourir ses neveux & ses cousins. Il eut presque pendant tous le cours de son regne qui fut de 25 ans, une guerre désavantageuse à soutenir contre les Perses, au milieu de laquelle il se défit de plusieurs hommes illustres qui le servoient avec fidélité, entr’autres de Sylvain, capitaine habile, qui commandoit dans les Gaules, & de Gallus, qui avoit le département de l’Istrie. Enfin Julien, frere de Gallus, prit le titre d’empereur, & quitta les Gaules pour venger cette mort. Constance se préparoit à venir au-devant lui, lorsqu’il finit ses jours à Mopsueste, l’an 361, à l’âge de 45 ans. Saint Grégoire de Nazianze est le seul des écrivains originaux qui ait accusé Julien d’avoir fait empoisonner Constance. On s’apperçoit que ce pere de l’église charge sans preuves la mémoire de Julien, tandis qu’il fait de Constance le plus grand prince qui ait jamais été, & même un saint.

La vérité néanmoins est que Constance étoit un très-petit génie, qui d’ailleurs commit des cruautés inouies. Il fut paresseux & inappliqué ; vain & avide de louanges, sans se soucier de les mériter ; maître fier & tyran de ses sujets ; esclave de ses eunuques, qui conserverent toujours l’ascendant qu’ils avoient pris sur son enfance, & lui firent exercer en faveur de l’hérésie un pouvoir despotique sur l’église, sans qu’on puisse dire autre chose à sa décharge, sinon qu’il agit toujours par des impressions étrangeres.

Les payens même ont blâmé sa tyrannie dans les affaires de la religion. Voici ce qu’en dit Ammien. « Par bigoterie il mit le trouble & la confusion dans le christianisme, dont les dogmes sont simples & précis. Il s’occupa plus à les examiner avec une inquiétude scrupuleuse, qu’il ne travailla sérieusement à rétablir la paix. De-là naquirent une infinité de nouvelles divisions, qu’il eut soin de fomenter & de perpétuer par des disputes de mots. Il ruina les voitures publiques, en faisant aller & venir des troupes d’évêques pour les conciles, où il vouloit dominer sur la foi ».

Gratien, fils de Valentinien I. naquit en 359, & n’étoit âgé que de 16 ans lorsqu’il parvint à l’empire. Au lieu de rétablir l’ordre, la discipline & les finances, il donna des édits contre tous les hérétiques, & aliéna le cœur de ses sujets. Maxime en profita pour débaucher les légions, qui le nommerent empereur. Gratien obligé de fuir, fut assassiné à Lyon par Andragatius en 383, à l’âge de 24 ans. (Le chevalier de Jaucourt.)