L’Encyclopédie/1re édition/SINCÉRITÉ

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SINCÉRITÉ, s. f. (Morale.) La sincérité n’est autre chose que l’expression de la vérité. L’honnêteté & la sincérité dans les actions égarent les méchans, & leur sont perdre la voie par laquelle ils peuvent arriver à leurs fins : parce que les méchans croient d’ordinaire qu’on ne fait rien sans artifice.

La sincérité est une ouverture de cœur. On la trouve en fort peu de gens ; & celle que l’on voit d’ordinaire, n’est qu’une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres.

Si nos ames étoient de purs esprits, dégagés des liens du corps ; l’une liroit au fond de l’autre : les pensées seroient visibles, on se les communiqueroit sans le secours de la parole ; & il ne seroit pas nécessaire alors de faire un précepte de la sincérité ; c’est pour suppléer, autant qu’il en est besoin, à ce commerce de pensées, dont nos corps gênent la liberté, que la nature nous a donné le talent de proférer des sons articulés. La langue est un truchement, par le moyen duquel les ames s’entretiennent ensemble ; elle est coupable, si elle les sert infidelement, ainsi que le feroit un interprete imposteur, qui trahiroit son ministere.

La loi naturelle qui veut que la vérité regne dans tous nos discours, n’a pas excepté les cas où notre sincérité pourroit nous couter la vie. Mentir c’est offenser la vertu, c’est donc aussi blesser l’honneur : or on convient généralement que l’honneur est préférable à la vie ; il en faut donc dire autant de la sincérité.

Qu’on ne croie point ce sentiment outré : il est plus général qu’on ne pense. C’est un usage presque universel dans tous les tribunaux, de faire affirmer à un accusé, avant de l’interroger, qu’il répondra conformément à la vérité, & cela même, lorsqu’il s’agit d’un crime capital. On lui fait donc l’honneur de supposer, qu’il pourra, quoique coupable du fait qu’on lui impute, être encore assez homme de bien, pour déposer contre lui-même, au risque de perdre la vie, & & de la perdre ignominieusement. Or le supposeroit-on, si l’on jugeoit que la loi naturelle le dispensât de le faire ?

La morale de la plûpart des gens, en fait de sincérité, n’est pas rigide : on ne se fait point une affaire de trahir la vérité par intérêt, ou pour se disculper, ou pour excuser un autre : on appelle ces mensonges officieux ; on les fait pour avoir la paix, pour obliger quelqu’un, pour prévenir quelqu’accident. Misérables prétextes qu’un mot seul va pulvériser : il n’est jamais permis de faire un mal, pour qu’il en arrive un bien. La bonne intention sert à justifier les actions indifférentes ; mais n’autorise pas celles qui sont déterminément mauvaises.

Sincérité, franchise, naïveté, ingénuité, (Synonym.) La sincérité empêche de parler autrement qu’on ne pense, c’est une vertu. La franchise fait parler comme on pense ; c’est un effet du naturel. La naïveté fait dire librement ce qu’on pense ; cela vient quelquefois d’un défaut de réflexion. L’ingénuité fait avouer ce qu’on sait, & ce qu’on sent, c’est souvent une bétise.

Un homme sincere ne veut point tromper. Un homme franc ne sauroit dissimuler. Un homme naïf n’est guere propre à flatter. Un ingénu ne sait rien cacher.

La sincérité fait le plus grand mérite dans le commerce du cœur. La franchise facilite le commerce des affaires civiles. La naïveté fait souvent manquer à la politesse. L’ingénuité fait pécher contre la prudence.

Le sincere est toujours estimable. Le franc plaît à tout le monde. Le naïf offense quelquefois. L’ingénu se trahit.

Je n’ajouterai rien à ces remarques de l’auteur des synonymes françois, mais je renvoie pour les choses aux mots, Franchise, Ingénuité, Naïveté, Sincérité. (D. J.)