L’Encyclopédie/1re édition/SIECLE

SIECLE, s. m. (Chronolog.) c’est dans la chronologie un espace de cent ans : les anciens poëtes divisoient le tems en quatre siecles. Le premier, nommé le siecle d’or, désigne l’innocence d’Adam & d’Eve dans le paradis terrestre, où ils trouvoient sans peine & sans travail ce qui leur étoit nécessaire. Le second, appellé siecle d’argent, marque le fruit de leur péché, qui est le travail & les douleurs. Le troisieme, dit le siecle d’airain, est pour le tems de la corruption des hommes jusque au déluge. Et le quatrieme, connu sous le nom de siecle de fer, marque le tems de la guerre que les hommes se firent les uns aux autres, & les suites de leur division. (D. J.)

Siecles des poetes, (Mythol.) ce sont les quatre âges du monde, qui, selon les poëtes, suivirent la formation de l’homme. A l’âge d’or succéderent l’âge d’argent, l’âge d’airain, & l’âge ou le siecle de fer. Voyez-en les articles, & joignez-y ce beau passage d’Hésiode. « Les habitans du siecle d’or, dit ce poëte ingénieux, devinrent autant de bons génies & d’anges tutélaires. Les hommes de l’âge d’argent furent changés en génies souterrains bienheureux, mais mortels, comme s’il pouvoit y avoir de vrai bonheur sans l’immortalité. Les hommes du siecle d’airain sont descendus aux enfers, & morts sans ressource. Enfin ceux de l’âge héroïque, sont allés habiter les champs élisées, ou les îles fortunées situées aux extrémités du monde ». (D. J.)

Siecle de fer, (Mythol.) les tems rapides & innocens, d’où les poëtes fabuleux ont tiré leur âge d’or, ont fait place au siecle de fer. Les premiers hommes goûtoient le nectar de la vie, nous en épuisons aujourd’hui la lie. Les esprits languissans n’ont plus cet accord & cette harmonie qui fait l’ame du bonheur ; les passions ont franchi leurs barrieres ; la raison à demi-éteinte, impuissante ou corrompue, ne s’oppose point à cet affreux desordre ; la colere convulsive se répand en fureur, ou pâle & sombre, elle engendre la vengeance. La basse envie seche de la joie d’autrui ; joie qu’elle hait, parce qu’il n’en fut jamais pour elle. La crainte découragée, se fait mille fantômes effrayans qui lui ravissent toutes les ressources. L’amour même est l’amertume de l’ame ; il n’est plus qu’une angoisse triste & languissante au fond du cœur ; ou bien guidé par un sordide intérêt, il ne sent plus ce noble desir qui jamais ne se rassasie, & qui s’oubliant lui-même, met tout son bonheur à rendre heureux le cher objet de sa flamme. L’espérance flotte sans raison. La douleur, impatiente de la vie, se change en délire, passe les heures à pleurer, ou dans un silence d’accablement. Tous ces maux divers, & mille autres combinés de plusieurs d’entr’eux, provenant d’une vue toujours incertaine & changeante du bien & du mal, tourmentent l’esprit & l’agitent sans cesse. Tel est le principe de la vile partialité ; nous voyons d’abord avec froideur & indifférence l’avantage de notre semblable ; le dégoût & la sombre haine succedent & s’enveloppent de ruses, de lâches tromperies & de basses violences : tout sentiment sociable & réciproque s’éteint & se change en inhumanité qui pétrifie le cœur ; & la nature déconcertée, semble se venger d’avoir perdu son cours

Jadis le ciel s’en vengea par un déluge : un ébranlement universel sépara la voûte qui retenoit les eaux du firmament. Elles fondirent avec impétuosité ; tout retentit du bruit de leur chûte, l’Océan n’eut plus de rivage, tout fut Océan ; & les vagues agitées se rouloient avec fureur au-dessus des plus hautes montagnes, qui s’étoient formées du débris du globe.

Les saisons irritées depuis ont tyrannisé l’univers confondu. L’hiver piquant l’a couvert de neiges abondantes ; les chaleurs impures de l’été ont corrompu l’air. Avant ce tems un printems continuel regnoit sur l’année entiere ; les fleurs & les fruits ornoient à l’envi la même branche de leurs couleurs variées ; l’air étoit pur & dans un calme perpétuel. Maintenant notre vie est le jouet des élémens qui passent du tems serein à l’obscurité, du chaud au froid, du sec à l’humide, concentrant une chaleur maligne, qui sans cesse affoiblit nos jours, & tranche leur cours par une fin prématurée. (D. J.)

Siecles d’ignorance, (Hist. mod.) les neuf, dix & onzieme siecles sont les vrais siecles d’ignorance. Elle étoit si profonde dans ces tems-là, qu’à peine les rois, les princes, les seigneurs, encore moins le peuple, savoient lire ; ils connoissoient leurs possessions par l’usage, & n’avoient garde de les soutenir par des titres, parce qu’ils ignoroient la pratique de l’écriture ; c’est ce qui faisoit que les mariages d’alors étoient si souvent déclarés nuls. Comme ces traités de mariage se concluoient aux portes des églises, & ne subsistoient que dans la mémoire de ceux qui y avoient été présens, on ne pouvoit se souvenir ni des alliances, ni des degrés de parenté, & les parens se marioient sans avoir de dispense. De-là tant de prétextes ouverts au dégoût & à la politique pour se séparer d’une femme légitime : de-là vient aussi le crédit que prirent alors les clercs ou ecclésiastiques dans les affaires, parce qu’ils étoient les seuls qui eussent reçu quelque instruction. Dans tous les siecles, ce sont les habiles qui dominent sur les ignorans. (D. J.)

Siecles, les quatre, (Arts & sciences.) c’est ainsi qu’on nomme par excellence les quatre siecles célebres, dont les productions ont été admirées par la postérité. On sait que le mot de siecle se prend ici d’une maniere vague, pour signifier une durée de 60 ou 80 ans, plus ou moins.

Ces quatre siecles heureux, où les arts ont atteint une perfection à laquelle ils ne sont point parvenus dans les autres, sont celui qui commença dix années avant le regne de Philippe, pere d’Alexandre le grand ; celui de Jules-Cesar & d’Auguste ; celui de Jules II. & de Léon X. ; enfin celui de Louis XIV. Ce dernier a fini comme les autres, malgré les efforts qu’ont fait les causes morales & physiques pour soutenir les lettres & les arts au point d’élévation où ils avoient atteint rapidement. Ce tems ne se trouvera plus, dit M. de Voltaire, où un duc de la Rochefoucault, l’auteur des maximes, au sortir de la conversation d’un Pascal & d’un Arnauld, alloit au théâtre de Corneille. Ainsi disparoît le génie des arts & des sciences, jusqu’à ce que la révolution des siecles le vienne encore tirer une autre fois du tombeau, où il semble qu’il s’ensevelisse pour plusieurs générations, après s’être montré seulement durant quelques années. (D. J.)

Siecle, (Critiq. sacrée.) ce mot, qui se prend ordinairement pour une espace de cent ans, ne se trouve point en ce sens dans l’Ecriture, mais il signifie long-tems. Les géans sont des hommes fameux depuis long-tems, à sæculo, Gen. vj. 4. L’Ecriture donne aussi le nom de siecle, au tems qui s’écouloit d’un jubilé à l’autre. Il le servira jusqu’au siecle, Exod. xxj. 6. c’est-à-dire jusqu’au jubilé prochain. L’esclave hébreu qui ne vouloit pas profiter du privilege de l’année sabbatique, demeuroit esclave jusqu’à l’autre année sabbatique. Siecle se prend encore pour toujours dans ce monde ; ainsi fœdus sæculi est une alliance indissoluble, ou, comme nous disons, éternelle. Les enfans du siecle, οἱ υἱοὶ τοῦ αἰῶνος, désignent les hommes. Luc. xvj. 8. (D. J.)