L’Encyclopédie/1re édition/SERGE

SERGE, dans le Commerce, est une étoffe de laine piquée ou croisée, manufacturée sur le métier à quatre marches ou pédales, de la même maniere que l’on fabrique les ratines & autres étoffes.

La bonté des serges se connoît à la croisure, & celle des draps à la filure. Voyez Drap.

Il y a des serges de différentes especes, qui prennent leur nom de leurs différentes qualités, ou des endroits dans lesquels on les fabrique. Celle qui a le plus de réputation, est la serge de Londres ; elle est maintenant très-estimée dans les pays étrangers, particulierement en France, où l’on a établi avec beaucoup de succès une manufacture de cette espece sous le titre de serge façon de Londres.

Manufacture de serge de Londres. Quant à la laine, on choisit la plus longue pour la chaine, & la plus courte pour la trame : avant que de faire usage de l’une & de l’autre, on doit premierement la dégraisser, en la mettant dans une chaudiere de liqueur, un peu plus que tiede, composée de trois quarts d’eau bien nette, & un quart d’urine ; après qu’on l’y a laissée assez long-temps pour s’y dissoudre, & avoir ôté la graisse, &c. on la remue brusquement avec un bâton ; on l’ôte ensuite de la liqueur ; on la laisse égouter, & après l’avoir lavée dans de l’eau courante, & sechée à l’ombre ; on la bat avec des bâtons sur un ratelier de bois, pour en chasser l’ordure & la plus grosse poussiere. Après quoi on l’épluche bien proprement avec les mains. Quand elle est ainsi préparée, on la graisse ou on l’imbibe d’huile d’olive, & l’on peigne avec de grands peignes la partie la plus longue, destinée à la chaine ; on la fait chauffer dans un petit fourneau pour cet usage pour la dégraisser une seconde fois, ou pour lui ôter son huile ; on la met dans de l’eau de savon très-chaude ; après l’en avoir retirée, on la tord, on la seche & on la file au rouet. Quant à la laine la plus courte, dont on veut faire trame, on la carde seulement sur le genou, avec de petites cardes très-fines ; on la file ensuite au rouet sans en ôter l’huile. Remarquez que le fil destiné à la chaine doit être toujours beaucoup plus fin & plus retors que celui de la trame.

Quand la laine est filée, tant celle qui est pour la chaine que celle qui est pour la trame, & que l’on a mis le fil en écheveaux, la laine destinée à la trame est mise sur des espolins (à moins qu’elle n’ait été filée dessus) proportionnés à la cavité ou à l’œil de la navette ; & sa laine, qui est pour la chaine, est dévidée sur une espece de bobines de bois, afin de la préparer à être employée : quand elle est montée, on lui donne de la consistance, c’est-à-dire, qu’on la rend ferme moyennant une espece de colle, dont celle qui est réputée la meilleure, est faite de coupures de parchemin : quand elle est seche, on la met sur le métier.

Quand elle est montée sur le métier, l’ouvrier élevant & abaissant les fils (que l’on passe à-travers une canne ou un réseau), par le moyen de quatre pédales, situées dans la partie inférieure du métier, qu’il fait agir transversalement, également & alternativement l’une après l’autre, avec ses piés, à proportion que les fils sont élevés & abaissés, il jette la navette à-travers d’un côté à l’autre ; & à chaque fois qu’il jette la navette, & que le fil de la trame est croisé entre les fils de la chaine, il le frappe avec le chassis, auquel est attachée la canne, à-travers les dents de laquelle les fils de la chaine sont placés, & il répete ce coup deux ou trois fois, ou même plus, jusqu’à ce qu’il juge que la croisure de la serge est suffisamment serrée ; & ainsi de suite, jusqu’à ce que la chaine soit entierement remplie de la trame.

Aussitôt que l’on a ôté la serge de dessus le métier, on la porte chez le foulon, qui la foule ou qui l’écure dans l’auge ou le baquet de son moulin, avec une espece de terre grasse qui sert à cet usage, dont on a eu soin d’abord d’ôter les pierres & les ordures. Après qu’on l’a écurée pendant trois ou quatre heures, on ôte la terre à foulon, en lavant la serge avec de l’eau nette, que l’on met petit-à-petit dans l’auge, d’où on la retire quand elle est entierement nettoyée de la terre ; ensuite avec une espece de pinces de fer, on arrache tous les nœuds, les bouts, les pailles, &c. qui s’attachent sur la surface de la serge des deux côtés : après cela on la reporte dans l’auge à foulon, où on la repasse avec de l’eau de savon un peu plus que tiede, pendant environ deux heures : on la lave alors jusqu’à ce que l’eau vienne parfaitement claire, & qu’il n’y ait plus aucune apparence de savon : après quoi on l’ôte de l’auge, on arrache les nœuds, &c. on la met à des crocs ou crochets, afin qu’elle seche ; en prenant bien garde à mesure qu’elle seche, de l’étendre en long & en large, jusqu’à ce qu’elle ait ses justes dimensions ; quand elle est bien seche, on l’ôte des crochets, on la teint, on la tord, & enfin on la presse. Voyez Teinture, Presse, Tente.

Serge, étoffe de soie. Cette étoffe est un tissu dont le grain se fait obliquement au moyen du remettage & de l’armure ; elle se fait avec une seule chaîne & la trame dont on met le nombre de bouts proportionné à la force dont on la veut. Cette étoffe a toujours à Lyon 11 vingt-quatriemes d’aune. Voyez Etoffe de soie.

Les serges sont un diminutif du satin, voyez Satin. Elles ont six lisses & six marches ; chaque marche fait lever & baisser trois lisses. Voici l’armure d’une serge à six lisses.

Les fils sont passés dans ces lisses dessous & dessus la marche, de façon que la même lisse qui fait lever le fil, le baisse aussi. Toutes les étoffes unies sont passées de même ; ce qui ne peut avoir lieu aux étoffes façonnées. Les fils ainsi disposés, ne pourroient être levés par la tire, arrêtés qu’ils seroient par la lisse.

On donne le nom de petites serges à celles qui n’ont que 50 à 60 portées ; de moyennes à celles qui en ont depuis 70 jusqu’à 80 ; & de fortes, celles auxquelles on en donne de 110 à 120.

Armure d’une serge à quatre lisses.