L’Encyclopédie/1re édition/SECULAIRE

SECULAIRE, adj. (Gram.) qui s’exécute à la fin du siecle.

Séculaire, Poeme, (Poésie lyrique des Rom.) carmen sæculare, piece de vers qui se chantoit aux jeux séculaires des Romains dans le temple de quelque dieu. Voyez Séculaires jeux.

Le plus beau poëme séculaire que nous ayons, est celui d’Horace. Il fut glorieux à ce poëte d’avoir été choisi par Auguste pour chanter les jeux séculaires qu’il donna l’an 737 de Rome. Le poëme d’Horace fut chanté dans le temple d’Apollon palatin, que l’empereur avoit fait bâtir onze ans auparavant. De plus la piece du poëte est un monument curieux & unique des cérémonies qui s’observoient dans cette fête. Enfin c’est le premier exemple que nous ayons d’une composition lyrique aussi ancienne qu’elle est peu connue.

L’occasion pour laquelle Horace composa ce poëme, étoit surtout remarquable par la solemnité de trois grandes fêtes, qui après avoir été distinguées dans leur institution, se réunirent peu-à-peu pour n’en former plus qu’une, qui duroit trois jours & trois nuits de suite. On les appelloit jeux tarentins, ludi tarentini ; jeux apollinaires, ludi apollinares, & jeux séculaires, ludi sæculares. Voyez-en les articles.

Je viens de dire que la piece d’Horace est la plus ancienne qui nous reste sur les jeux séculaires, du moins c’est la plus complette. Celle que nous avons de Catulle, qui commence par ces mots : Dianæ sumus in fide, fut faite apparemment pour quelque fête particuliere d’Apollon & de Diane : ou si c’est une piece séculaire, ce n’est qu’un des trois chants qui entroient dans la composition du poëme. Peut-être Catulle l’avoit-il faite pour être chantée en 705 ; mais ce poëte mourut un an ou deux devant, & l’on manqua de représenter ces jeux, soit par la négligence des pontifes sibyllins, soit à cause de la guerre civile qui éclata cette année-là entre César & Pompée. On avoit déja manqué une fois ces jeux en 405 pour quelque raison semblable.

Les poëmes séculaires étoient chantés par cinquante-quatre jeunes gens que l’on partageoit en deux chœurs. dont l’un étoit formé par vingt-sept garçons, & l’autre par autant de filles ; voilà pourquoi Horace dit :

Carmina non priùs
Audita, musarum sacerdo,
Virginibus puerisque canto.

« Prêtre des muses, je prononce aux deux chœurs de jeunes garçons & de jeunes filles des vers qui n’ont jamais été entendus ». Ter novem illustres pueri, dit Zosime, cum totidem virginibus, hymnos & pœanas canunt. Tel étoit l’ordre prescrit par l’oracle. Cantantesque latini pæanas cum pueris puellisque in æde versentur immortalium, seorsùm autem puellæ ipsæ chorum habeant, & seorsùm puerorum masculus ordo. Tout cela se trouve dans le poëme séculaire d’Horace. Tantôt les deux chœurs chantent ensemble, tantôt ils se partagent, & tantôt ils se réunissent. La premiere & la derniere strophe sont des hymnes, la seconde & la troisieme sont des péans. Enfin l’érudition, l’abondance, la délicatesse, la variété, en un mot, tout ce qui peut faire le prix d’une piece de poésie, se rencontre dans celle-ci. Il nomme les jeunes filles virgines lectas, & les jeunes garçons pueros castos ; ce n’est pas que les deux épithetes ne fussent communes aux deux chœurs, mais le poëte s’est contenté de joindre castus avec puer, parce que la signification en est renfermée dans virgo.

Au reste les enfans qui chantoient le poëme séculaire, devoient être non-seulement choisis, c’est-à-dire, d’une qualité distinguée, mais il falloit encore qu’ils fussent patrimi & matrimi, c’est-à-dire, qu’ils eussent tous leurs pere & mere en vie, & de plus qu’ils fussent nés d’un mariage contracté avec cette cérémonie que les latins appelloient confarreatio, lequel mariage étoit indissoluble. Sanadon. (D. J.)

Séculaires jeux, (Ant. rom.) fête solemnelle que les Romains célébroient avec une grande pompe vers les approches de la moisson, pendant trois jours & trois nuits consécutives ; en voici l’origine.

Dans les premiers tems de Rome, c’est-à-dire, sous les rois, un certain Valesus Valesius, qui vivoit à la campagne dans une terre du pays des Sabins, proche du village d’Erête, eut deux fils & une fille qui furent frappés de la peste. Il reçut, dit-on, ordre de ses dieux domestiques de descendre le Tibre avec ses enfans, jusqu’à un lieu nommé Terentium, qui étoit au bout du champ de Mars, & de leur y faire boire de l’eau qu’il feroit chauffer sur l’autel de Pluton & de Proserpine. Les enfans en ayant bu, se trouverent parfaitement guéris. Le pere en actions de graces offrit au même endroit des sacrifices, célébra des jeux, & dressa aux dieux des lits de parade, lectisternia, pendant trois nuits ; & pour porter dans son nom même le souvenir d’un événement si singulier, il s’appella dans la suite Manius Valerius Terentinus ; Manius, à cause des divinités infernales à qui il avoit sacrifié ; Valerius, du verbe valere, parce que ses enfans avoient été rétablis en santé ; & Terentinus, du lieu où cela s’étoit passé.

En 245, c’est-à-dire, l’année d’après que les rois furent chassés de Rome, une peste violente accompagnée de plusieurs prodiges ayant jetté la consternation dans la ville, Publius Valerius Poplicola fit sur le même autel des sacrifices à Pluton & à Proserpine, & la contagion cessa. Soixante ans après, c’est-à-dire, en 305, on réitéra les mêmes sacrifices par ordre des prêtres des sibylles, en y ajoutant les cérémonies prescrites par les livres sibyllins ; & alors il fut réglé que ces fêtes se feroient toujours dans la suite à la fin de chaque siecle : ce qui leur fit donner le nom de jeux séculaires. Ce ne fut que long-tems après, c’est-à-dire pendant la seconde guerre de Carthage, qu’on institua les jeux apollinaires à l’honneur d’Apollon & de Latone. On les célébroit tous les ans ; mais ils n’étoient point distingués des jeux séculaires, l’année qu’on représentoit ceux-ci.

L’appareil de ces jeux étoit fort considérable ; on envoyoit par les provinces des hérauts, pour inviter tout le monde à la célébration d’une fête qu’ils n’avoient jamais vue, & qu’ils ne reverroient jamais.

On distribuoit au peuple certaines graines & certaines choses lustrales ou expiatoires. On sacrifioit la nuit à Pluton, à Proserpine, aux parques, aux pithies, à la Terre ; & le jour à Jupiter, à Junon, à Apollon, à Latone, à Diane & aux génies. On faisoit des veilles & des supplications ; on plaçoit les statues des dieux sur des coussins, où l’on leur servoit les mets les plus exquis. Enfin pendant les trois jours que duroit la fête, on chantoit trois cantiques différens, comme l’assure Zosime, & l’on donnoit au peuple divers spectacles. La scene de la fête changeoit chaque jour ; le premier jour on s’assembloit dans le champ de Mars ; le second au capitole, & le troisieme sur le mont Palatin.

Si vous voulez que l’on entre dans de plus grands détails de la célébration des jeux séculaires, vous sçaurez que peu de jours avant qu’on les commençât, les quinze prêtres sibyllins assis sur leurs sieges devant le temple d’Apollon palatin & de Jupiter capitolin, distribuoient à tout le peuple des flambeaux, du bitume, du soufre & autres choses lustrales ; c’est ce qui est exprimé dans les anciennes médailles, par ces mots : frug. ac fruges acceptæ ; & ils passoient là, & dans le temple de Diane sur le Mont-Aventin, des nuits entieres à l’honneur des parques avec beaucoup de dévotion.

Quand le tems de la fête étoit arrivé, le peuple s’assembloit dans le champ de Mars ; on immoloit des victimes à Jupiter, à Junon, à Apollon, à Latone, à Diane, aux Parques, à Cérès, à Pluton & à Proserpine.

La premiere nuit de la fête l’empereur à la tête des quinze pontifes, faisoit dresser sur le bord du Tibre trois autels qu’on arrosoit du sang de trois agneaux, & sur ces autels on brûloit les offrandes & les victimes. Il paroit que c’est à cette circonstance qu’il faut rapporter la médaille ou l’on voit la tête d’Auguste avec ces mots : Augustus tr. pot VII. & de l’autre côté, une colomne avec cette inscription : imp. coes. Aug. lud. sæc. A droite & à gauche de la colomne XV. S. F. c’est-à-dire, quindecim viri sacris faciendis, & autour, L. Mescinius Rufus III. vir, qui est le nom du trévir qui avoit fait frapper la médaille pour consacrer la mémoire d’un événement aussi remarquable que celui de la célébration des jeux.

Après cela on marquoit un certain espace dont on faisoit une espece de scene illuminée. On chantoit plusieurs hymnes faits exprès pour cette occasion ; on célébroit plusieurs sortes de jeux ; on jouoit plusieurs pieces de théatre. La fraîcheur de la nuit donnoit un nouvel agrément à ces spectacles, sans parler des illuminations qui non-seulement éclairoient la scene, mais qui se faisoient aussi dans les temples, dans les places publiques, & dans les jardins : lumina cum rogis accenduntur, dit Zosime. On peut même croire que la description des feux d’artifices dont parle Claudien dans le panégyrique du sixieme consulat d’Honorius, ne convenoit pas moins aux fêtes séculaires qu’aux jeux du cirque ; mais continuons.

Le lendemain, après qu’on étoit monté au Capitole pour y offrir des victimes, on s’en retournoit dans le champ de Mars, & l’on célébroit des jeux particuliers à l’honneur d’Apollon & de Diane. Ces cérémonies duroient jusqu’au matin que toutes les dames alloient au capitole à l’heure marquée par l’oracle, pour chanter des hymnes à Jupiter.

Le troisieme jour qui finissoit la fete, vingt-sept jeunes garçons, & autant de jeunes filles de qualité chantoient dans le temple d’Apollon Palatin, des cantiques en grec & en latin, pour attirer sur Rome la protection de tous ces dieux que l’on venoit d’honorer par des sacrifices. Enfin les prêtres sibyllins qui avoient ouvert la fête par des prieres aux dieux, la terminoient de la même maniere.

Auguste voulant donner un exemple de son attention aux réglement des mœurs, ordonna que les trois veillées se fissent avec retenue, que le mêlange de la joie ne souillât point la dévotion, & défendit que les jeunes gens de l’un & de l’autre sexe parussent aux cérémonies nocturnes, sans être accompagnés de quelqu’un de leur parens qui fût d’un âge à veiller sur eux & à répondre de leur conduite.

Les premiers jeux séculaires furent représentés l’an de Rome 245, les seconds en 305, les troisiemes en 505, les quatriemes en 605. Auguste fit célébrer les cinquiemes en 737.

Ce prince, persuadé qu’il étoit de conséquence pour l’état de ne pas obmettre la célébration de cette fête, à laquelle on ne pensoit plus, donna ordre aux prêtres sibyllins de consulter en quel tems du siecle courant on devoit les représenter. Ceux-ci s’étant apperçus qu’on les avoit manqués en 705 sous Jules-César, songerent aux moyens de couvrir leur faute, de peur qu’on ne les rendit responsables de toutes les calamnités qui avoient affligé l’empire pendant les gueres civiles.

Trois choses leur applanissoient la route de l’imposture. Ils étoient seuls dépositaires des livres sibyllins ; l’on ne convenoit pas généralement de l’année qui devoit servir de point fixe pour régler celle des jeux séculaires ; & l’on étoit partagé sur la date de ceux que l’on avoit représentés depuis la fondation de Rome. Il leur fut donc aisé de flatter la vanité d’Auguste, en déclarant que l’année séculaire tomboit à l’année 737.

Pour en persuader le public, ils mirent au jour des commentaires sur les livres sibyllins, afin de prouver par les paroles même de la sibylle, que le siecle devoit être de cent dix ans, & non de cent ans. Dans ce projet ils altérerent le texte du vers sibyllin qui portoit cent, hecatontada cuclon, & substituerent à hecatontada, le mot hecatondecas, qui signifie cent dix ans.

L’autorité de ces prêtres infiniment respectée, mit tout-à-coup le mensonge à la place de la vérité, sans que personne pût les démentir, puisqu’il étoit défendu sous peine de la vie de communiquer les livres des sibylles à quiconque ne seroit pas du college des quinze pontifes. Si maintenant quelqu’un de nos lecteurs n’étoit pas au fait de l’histoire de ces pontifes, de celle de la sibylle, & des vers sibyllins, il en trouvera de grands détails aux articles, Sibylle & Sibyllins Livres, (Hist. rom.)

Auguste charmé de voir que suivant ses désirs, cette fourbe pieuse lui réservoit la gloire de célébrer une si grande fête, appuya la découverte des pontifes du poids de ses édits, & chargea Horace de composer l’hymne séculaire, qui devoit se chanter en présence de l’empereur, du peuple, du sénat & des prêtres, au nom de tout l’empire.

Le poëte en homme de cour, n’oublia pas le siecle de cent dix ans. « Qu’après dix fois onze années, dit-il, le siecle ramene ces chants & ces jeux solemnels pendant trois jours & trois nuits, comme nous faisons aujourd’hui ».

Certus undenos decies per annos
Orbis ut cantus, referatque ludos
Ter die claro, totiesque gratâ
Nocteque frequentes.

Cependant les successeurs d’Auguste n’observerent point l’espace de tems qu’il avoit fixé pour la célébration de ces jeux, Claude les solemnisa 64 ans après l’an de Rome 800. Domitien 40 ans après Claude, en fit représenter de nouveaux, auxquels Tacite eut part en qualité de quindecimvir ou de prêtre sibyllin, ainsi qu’il le témoigne lui-même dans ses annales, l. XI, c. xj. L’empereur Severe accorda le spectacle de ces jeux pour la huitieme fois, 110 ans après Domitien, & par conséquent l’an 950 de Rome. L’an 1000 de la fondation de cette ville ; Philippe le pere donna au peuple les plus magnifiques jeux séculaires qu’on eut encore vus. Constantin ne les fit point célébrer l’année qu’il fut consul avec Licinius pour la troisieme fois, l’an de J. C. 313. Mais l’empereur Honorius ayant reçu la nouvelle de la victoire de Stilicon sur Alaric, permit à tous les payens de célébrer encore les jeux séculaires, qui furent les derniers dont parle l’histoire. Zosime qui nous a donné la plus ample description qu’on ait des jeux séculaires, n’attribue la décadence de l’empire qu’à la négligence qu’eurent les Romains de célébrer exactement.

Je connois deux traités des modernes sur les jeux dont nous parlons ; l’un par le P. Tafin, & l’autre infiniment meilleur par Onuphrius Pamvinius. On peut y recourir. (Le Chevalier de Jaucourt.)