L’Encyclopédie/1re édition/SCIATIQUE
SCIATIQUE, adj. (Ariat.) Le nerf sciatique est formé par l’union de la derniere paire lombaire, & les quatre premieres sacrées, & quelquefois par l’union des deux dernieres paires lombaires, & des trois premieres sacrées ; il se glisse obliquement sous la grande échancrure de l’os des iles ; il donne des filets aux muscles piriformes, aux jumeaux, & au carré de la cuisse ; il s’étend entre la tubérosité de l’ischium & le grand trochanter, tout le long de la partie interne du fémur ; il jette dans ce trajet, plusieurs filets aux muscles fessiers, & aux autres parties voisines, & lorsqu’il est parvenu au creux du jarret, on lui donne le nom de nerf poplité ; il se divise là en deux branches qui s’accompagnent & s’écartent ensuite peu-à-peu, en se glissant derriere les condyles du fémur ; la grosse est interne, la petite est externe, elles vont se distribuer à toute la jambe & peuvent s’appeller dans ce trajet nerfs sciatiques cruraux.
La grosse branche sciatique, qu’on peut aussi appeller sciatique tibiale, après avoir formé plusieurs rameaux, passe derriere la malleole interne, par un ligament annulaire particulier, & va gagner en-dessous la plante du pié, où après avoir fourni plusieurs rameaux, elle se divise en deux branches nommées nerfs plantaires. Voyez Plantaire.
La petite branche sciatique, ou sciatique interne, qu’on nomme aussi sciatique péroniere, outre les rameaux qu’elle jette aux parties externes de la jambe & du pié, s’unit par différens filets avec la grosse branche & les nerfs plantaires.
Sciatique, s. f. (Médecine.) espece de goutte, ainsi appellée parce qu’elle a son siege à la hanche. Voyez Goutte. Ce nom, de même que le latin ischia, est dérivé du grec ἰσχιάδος, formé de ἰσχίον, hanche.
Les premieres atteintes de sciatique se font ressentir pour l’ordinaire dans l’os sacrum ; la douleur vive qui en est le symptome caractéristique, se répand delà avec plus ou moins de rapidité sur la hanche, d’où elle s’étend quelquefois tout le long de la cuisse jusqu’au genou, & même dans quelques malades jusqu’aux piés. La vivacité de la douleur, de même que sa durée, varient extrèmement ; il y a des cas où la partie affectée est si douloureuse & si sensible, qu’elle ne peut supporter l’application d’aucun corps étranger, & qu’elle ne permet au malade aucune espece de mouvement ; l’immobilité de la cuisse est la suite ordinaire des douleurs, même moderées ; la jambe & le pié partagent quelquefois cette incommodité, & dans les violentes douleurs, les muscles qui meuvent le tronc du côté de la partie affectée, sont dans une tension violente, & ne peuvent qu’avec peine & en redoublant les douleurs, exécuter leurs divers mouvemens ; le malade est obligé de garder toujours la même situation, souffrant quand il veut se baisser, souffrant aussi quand il fait effort pour se redresser. Dans d’autres cas, & sur-tout chez les gens vieux, dans qui la douleur devenue comme habituelle est moins aiguë, les mouvemens sont plus libres sans cesser d’être tout-à-fait douloureux ; la tumeur de la partie affectée n’est point constante, non plus que la rougeur ; ces symptomes accidentels ne s’observent pas le plus souvent, il est aussi très-rare que la fievre survienne, le pouls conserve son rithme ordinaire, on peut seulement l’appercevoir un peu agité & convulsif dans le fort de la douleur. Il n’y a point de tems déterminé pour la durée de la sciatique, on sait seulement qu’elle est d’autant plus courte que les symptomes sont plus violens ; la longueur des intervalles entre chaque paroxisme, n’est point non plus décidée, elle varie non-seulement dans les différens malades, mais encore dans le même sujet ; en général ce tems de rémission est plus court dans les vieillards & dans les sciatiques invéterées ; communément les paroxismes reviennent tous les ans, lorsque les froids commencent à se faire sentir. Hippocrate range la sciatique parmi les maladies d’automne, aph. 22. lib. III. mais il y a des malades qui en éprouvent deux ou trois attaques par an, & quelques-uns ont continuellement une douleur plus ou moins forte, qui gêne un peu leurs mouvemens, que les tems pluvieux, variables, inconstans, rendent beaucoup plus sensibles, & qui est en conséquence pour eux un excellent barometre.
Les causes éloignées de la sciatique sont absolument les mêmes que celles de la goutte, & par conséquent très-obscures & totalement inconnues, comme on l’a judicieusement remarqué à l’article Goutte, où l’on a très-bien prouvé que toutes celles qu’on a successivement accusées, n’y avoient pas constamment part, & ne produisoient ces effets que comme jettant du trouble dans l’économie animale, & pervertissant en général l’exercice des fonctions, comme toutes sortes d’excès ; on sait seulement que les causes évidentes dont l’action tombe sous les sens, comme les coups, les blessures, les chutes, les contusions, n’occasionnent jamais la sciatique, quoiqu’elles puissent donner naissance à des douleurs dans les mêmes parties ; celles qui contribuent à produire la sciatique, n’agissent que lentement, d’une maniere cachée, insensible, & par-là même plus sûre & plus durable ; la plus ordinaire de ces causes est l’habitation trop long-tems continuée dans des endroits humides, marécageux, &c. mais toutes ces causes ne font le plus souvent que mettre en jeu ou déterminer une disposition héréditaire, communiquée par des parens sujets à ces maladies ; ce germe, héritage funeste, reste caché, sans force & sans effet, pendant les premieres années de la vie, il se développe avec l’âge, & par les excès ou les erreurs dans l’usage de ce qu’on appelle en terme de l’école, les six choses non-naturelles, il manifeste enfin sa présence par les symptomes que nous avons décrits ; mais en quoi consiste cette disposition, quel est le vice qui produit immédiatement la sciatique & les maladies arthritiques ? où réside-t-il ? est-ce dans les parties solides, dans les nerfs ou dans les humeurs ? c’est sur quoi les médecins sont partagés, chacun alléguant de son côté des preuves, si-non démonstratives pour l’opinion qu’il soutient, du moins assez fortes pour détruire le sentiment de son adversaire ; il en résulte que ces questions n’ont point été résolues encore d’une maniere satisfaisante, & l’inutilité des efforts qu’on a faits de part & d’autre pour en venir about, prouve évidemment & la difficulté de l’entreprise, & le courage de ceux qu’elle n’a pas rebutés. Les anciens ont avancé très-gratuitement, que c’étoit des vents enfermés profondément dans les chairs, qui donnoient naissance à la sciatique, les modernes n’ont pas été plus fondés à l’attribuer à un dépôt de matieres âcres, épaisses, tartareuses, & à imaginer ces qualités dans la masse générale des humeurs ; d’autres ont avancé trop généralement, que les nerfs seuls avoient part à la production de la sciatique, & qu’elle étoit en conséquence une maladie purement spasmodique ou nerveuse ; ceux qui auroient pris un milieu, & qui en auroient fait une maladie mixte humorale & nerveuse, n’auroient-ils pas approché plus de la vérité, ou du moins de la vraissemblance ? Stahl & ses disciples Neuter, Junker, &c. ont fait encore jouer ici fort inutilement, pour ne rien dire de plus, un grand rôle à leur ame ouvriere ; mais comme ils n’ont vu résulter aucun avantage de ces douleurs vives, opiniâtres & périodiques, ils ont cherché ailleurs un motif qui ait pu déterminer l’ame qui n’agit jamais sans raison, à exciter cette affection ; ils ont en conséquence imaginé que la sciatique devoit sa naissance aux mouvemens plus considérables & aux efforts de l’ame qui, pour le plus grand bien du corps, méditant l’excrétion hémorrhoïdale, n’avoit pu l’obtenir : ainsi les humeurs poussées en plus grande abondance vers ces parties, se répandoient aux environs & se jettoient préférablement sur la hanche ; de façon que suivant eux, la sciatique n’est produite que par l’erreur ou l’impuissance de l’ame, qui est mise en dépense de forces, qui a troublé toute la machine sans avoir des forces suffisantes & sans savoir si ce trouble auroit une issue favorable. Un peu plus de connoissance dans cet être intelligent, l’auroit fait rester dans l’inaction jusqu’à-ce qu’il eût été bien instruit que tous les vaisseaux étoient disposés convenablement, & les humeurs préparées à seconder ses efforts ; & si ce principe du mouvement eût eu plus d’empire sur la machine, il auroit forcé les obstacles qui s’opposoient à ses desseins, & au lieu d’une maladie facheuse, auroit excité une évacuation salutaire ; par ce moyen, la sciatique eût été à jamais inconnue, au grand avantage de l’humanité, tant la puissance & les lumieres sont nécessaires au chef d’un état, & tant il importe, quand on imagine, de faire accorder ses idées, sinon avec la vérité, du moins avec la vraissemblance.
Nous ne tirons de l’observation presque aucun éclaircissement sur ce qui regarde cette maladie, soit qu’on l’ait trop négligée, rebuté par le travail pénible & sec qu’elle exige, pour courir la carriere plus facile & fleurie du raisonnement, soit qu’en effet elle soit peu lumineuse par elle-même dans ce cas ; la plûpart des observations qu’on a faites sur le cadavre, n’ont découvert dans les parties affectées, aucun dérangement sensible. Cependant Riviere rapporte que la veuve de Pierre Aubert ayant à la hanche des douleurs très-vives qui s’étendoient jusqu’au pié, accompagnées d’une tumeur dont la pression faisoit redoubler la douleur, qui devenoit quelquefois lancinante ; on soupçonna un abscès profond, on porte en conséquence le fer & le feu sur cette partie, l’ouverture faite ne donne issue à aucune matiere purulente, quinze jours après le malade devient hydropique & meurt peu de tems après ; on ouvre le cadavre, on disseque la cuisse, & on trouve dans la partie où l’on avoit jugé l’abscès, de petites glandes tombées en suppuration, mais dont le pus ne pouvoit s’échapper. Observ. 43. centur. II. Fabrice Hildan donne une observation à-peu-près semblable, d’un ouvrier en bois nommé Amedée, qui après avoir été pendant deux ans tourmenté de diverses maladies, essuya de vives attaques de sciatique auxquelles il succomba ; en disséquant la partie affectée, on trouva près du grand rotateur du fémur droit, un amas de liqueur purulente, dont le poids auroit excédé une livre, & qui en rongeant & relâchant les ligamens de l’articulation avoit sans doute donné lieu à la luxation qu’on avoit observée dans le malade, & on rencontra sous le muscle près du côté gauche, un athérome qui contenoit plus de deux livres de pus très-épais. Obs. 71. centur. I. Il paroît que ces deux maladies qu’on a jugé être des sciatiques, à cause du siege de la douleur, n’en étoient point en effet, sur-tout la derniere, où la douleur étoit la suite du dépot qui se formoit, & qui étoit vraissemblablement critique, ayant lieu dans un homme cacochime, & le délivrant d’un état valétudinaire où il avoit langui l’espace de deux ans ; en général, on ne trouve rien qui ne soit naturel dans la hanche, la cuisse des personnes qui ont gardé la sciatique pendant très-long-tems ; & ce n’est que sur des conjectures qu’on a établi que le siege de cette maladie devoit être dans le muscle aponévrotique, placé à la partie supérieure interne de la cuisse, d’où il se prolonge le long de cette partie & de la jambe, occupant plus ou moins d’étendue, jusqu’au pié, & qu’on connoit même en françois, sous le nom latin de fascia lata ; ces conjectures sont fondées sur la sensibilité extrême des parties tendineuses (quoique paroissent prouver de contraire les expériences fautives de M. de Haller), & sur la place qu’occupe la douleur exactement correspondante à celle du fascia lata, lors même qu’elle s’étend jusqu’aux piés.
Le peu que nous tenons de l’observation & qui ne répand presque aucun jour sur la nature de cette maladie ; c’est que les personnes les plus sujettes à la sciatique sont celles qui naissent de parens qui en ont été attaqués, ou qui ont eu la goutte dans quelque autre partie ; elle est plus familiere aux hommes qu’aux femmes, & n’attaque guere que celles qui sont robustes, & qui par le tempérament & la façon de vivre sont plus semblables aux hommes ; les jeunes gens & les adultes y sont moins exposés qu’aux autres especes de gouttes, il semble que ce soit une maladie plus particulierement reservée aux vieillards ; elle succede quelquefois à la cessation des regles, des hémorrhoïdes, à la suppression des évacuations naturelles ou accoutumées, aux rhumatismes, & rarement à la goutte ; elle y dégénere plus souvent, & même assez promptement quand elle est très-vive, c’est-à dire la goutte se porte plus ordinairement de la hanche, aux piés & aux mains, que de ces parties à la hanche.
La sciatique est d’ailleurs une maladie plus incommode que dangereuse ; rarement elle contribue à accélérer la mort du malade, quelques auteurs croyent plutôt qu’elle sert à la retarder ; du moins est-il certain que les personnes attaquées de cette maladie vivent assez long-tems ; seroit-ce simplement parce qu’elle ne commence que dans un âge très-avancé, & qu’elle n’a lieu que dans certains tempéramens robustes qui n’auront pas été assez affoiblis par les excès, ou pas assez fortifiés faute d’exercice ? Il est extrèmement difficile, & peut-être imprudent de la guérir, & d’autant plus qu’elle est plus invétérée ; Stahl prétend que la sciatique, les hémorrhoïdes, la néphrétique & le calcul se rencontrent très-souvent ensemble, se succedent & se produisent réciproquement ; cette prétention est justifiée à certains égards par l’observation ; on a remarqué en général & assez vaguement, que les maladies arthritiques avoient beaucoup de rapport du côté des causes avec le calcul ; ce qui regarde les hémorrhoïdes n’est point aussi constaté ; & l’âge où la sciatique paroît le plus fréquemment est très-peu approprié pour cette évacuation. S’il est arrivé quelquefois, ce que j’ignore, que les hémorrhoïdes ayent terminé la sciatique, elles ont cela de commun avec toutes les autres excrétions & avec tous les remedes qui font dans la machine une grande révolution ; le seul danger que courent ces malades, c’est que la tête du fémur sorte de l’articulation, & les rende boiteux ; il se ramasse alors dans ces parties, suivant l’observation d’Hippocrate, beaucoup de mucosité & quelquefois la jambe maigrit & se desseche, tout le corps même tombe dans l’athrophie & dans cette espece de phthisie, tabes, qu’il appelle ischiadique, ἰσχιαδικὴν, 60. lib. vj. le feu seul porté dans cette partie peut prévenir ces accidens. Aphor. 59. & 60. lib. VI.
De toutes les especes de gouttes, la sciatique est unanimement regardée comme la plus opiniâtre & la plus rébelle aux différens secours que la Médecine a fournis ; on a épuisé pour venir à-bout de la guérir surement & constamment, avec aussi peu de succès, les altérans que les évacuans ; on a passé des purgatifs aux sudorifiques, de ceux-ci aux diurétiques ; les apéritifs, les astringens, les spiritueux, les délayans, les relâchans, les adoucissans ont été successivement employés ; en un mot, on a changé chaque fois de méthode, preuve certaine qu’il n’y en avoit aucune de bonne, & peut-être qu’on n’en doit point chercher de générale, ou même d’aucune espece. L’usage à-peu-près inutile de tous ces divers médicamens, a donné naissance à cette multiplicité de secrets que l’on a débités à l’ordinaire comme des remedes infaillibles ; les charlatans se sont emparés de cette maladie & l’on y a ajouté d’autant plus de confiance qu’ils promettoient davantage ; loin d’être rebutés par les efforts inutiles des Médecins éclairés ; ils n’en étoient que plus encouragés, & effectivement ils avoient raison, ils ne risquoient par le mauvais succès que d’être mis à leur niveau, & s’ils réussissoient ils étoient regardés comme bien supérieurs ; l’intérêt du malade n’étoit compté pour rien ; ils donnoient avec cette aveugle présomption & cette témérité souvent funeste que laisse l’ignorance, les remedes les plus actifs qui jettoient un trouble considérable dans toute l’économie animale ; d’où il est résulté que les malades assez robustes pour supporter ce trouble, & dans qui il tournoit heureusement, étoient guéris ou beaucoup soulagés, & ceux qui étoient moins bien constitués sans être délivrés de leur maladie, tomboient dans d’autres plus sérieuses, ou même mouroient assez promptement. On a répandu un grand nombre de recettes presque uniquement composées de poudres tempérantes, d’absorbans, de terreux, & de médicamens de cette espece ; au moins ces remedes absolument inefficaces ne pouvoient produire aucun mauvais effet, & n’avoient d’autre inconvénient que celui d’amuser le malade & d’épuiser sa bourse ; il n’en est pas de même d’une autre espece de remedes qui séduisoient d’abord par leur efficacité, mais dont le danger étoit d’autant plus grand que leur succès apparent avoit été plus marqué ; je parle des amers nerveux, anti-spasmodiques, & du quinquina sur-tout ; il n’est pas douteux que par leur moyen on ne puisse venir à-bout d’éloigner, de suspendre pendant un tems considérable les paroxysmes, ou même d’empêcher tout-à-fait leur retour ; mais quelques observations bien constatées font voir que les malades qui en avoient éprouvé les effets les plus heureux, devenoient après quelque-tems languissans, valétudinaires, sujets à beaucoup d’incommodité, & que plusieurs étoient emportés par des morts subites. Ainsi les conseils les plus salutaires qu’on puisse donner aux personnes attaquées de la sciatique, est de ne faire aucun remede interne, parce qu’ils sont tous dangereux ou inefficaces ; de vivre sobrement, d’éviter tout excès dans le boire, le manger & les plaisirs vénériens ; d’être plus réservés sur la quantité des alimens & des boissons, que sur leur qualité, de se garantir soigneusement du froid, d’être toujours habillés chaudement, & de façon à entretenir la liberté de la transpiration, de porter en conséquence sur la peau des corcets d’étoffe de laine, & sur-tout de flanelle, & au moins d’en envelopper la partie affectée, d’avoir quelquefois recours aux frictions seches avec des brosses de crin ou des étoffes de laine ; on peut les faire générales ; on doit les faire particulieres & locales, & enfin d’user d’un exercice modéré.
Quant aux remedes topiques qu’on emploie principalement dans le tems du paroxysme, on en a varié les formules à l’infini ; les uns ont conseillé des remedes chauds, d’autres ont préféré des adoucissans, des relâchans ; ceux-ci ont employé les narcotiques, & ceux-là les spiritueux fortifians ; il y en a qui ont eu recours à l’application des sangsues & à des saignées locales ou à des scarifications, quelques autres ont beaucoup vanté les vertus des ventouses, & du feu même appliqué à nud ; ils se sont fondés sur la pratique assez heureuse des Japonois & des Chinois qui brûlent la moxe sur la partie affectée. Hippocrate avant eux s’étoit déclaré partisan de cette méthode, il tient beaucoup pour l’usage du feu dans les maladies qui ne cedent pas à l’efficacité des autres remedes ; le fer, dit-il, emporte les maladies rébelles aux médicamens, & le-feu vient à-bout de celles qui résistent au fer. Aphor. 6. lib. VIII. il paroît même avoir connu l’usage de la moxe, du moins la combustion qu’il propose avec le lin crud dans les cas de sciatique & de douleur fixe lui est assez analogue. Lib. de affection. sect. v. ce remede souvent efficace n’est point assez goûté dans nos climats ; les machines délicates qui l’habitent, trop effrayées par le feu, trouveroient le remede pire que le mal ; pour ce qui regarde les autres topiques, ils sont tous déplacés dans le tems du paroxysme, excepté peut-être les vapeurs spiritueuses des plantes ou des résines aromatiques brûlées. Si les douleurs sont modérées, il faut les souffrir patiemment. Si elles sont trop vives & absolument insupportables, qu’on ait recours aux narcotiques pris intérieurement ou appliqués sur la partie ; je me suis servi quelquefois pour soulager avec assez de succès d’un liniment fait avec l’huile de vers & quelques gouttes d’esprit volatil de corne de cerf & de laudanum liquide de Sydenham. En général, il faut suivre le conseil que donne la goutte dans le discours sensé que Lucien lui fait tenir dans son τραγοποδάγρα, après avoir détaillé une partie des remedes dont on s’est servi en différens tems pour la combattre, après avoir passé en revûe les trois différens regnes, & avoir remarqué qu’il n’y a point de méthode constante, que chacun en emploie de différente, que souvent
Alius incantamentis impostorum deluditur.
elle finit par cette observation importante qui devroit
être gravée profondément dans la tête des malades,
que la sciatique ou toute autre espece de goutte
tourmente :
A facientibus hæc atque irritantibus me
Soleo occurrere multo iracundior ;
Iis vero qui cogitant adversum me nihil,
Benignam adhibeo mentem facilisque ero.
Les personnes d’un âge fort avancé doivent plus que tout autre suivre un conseil si judicieux, 1°. parce leurs douleurs sont beaucoup plus supportables, & en second lieu, parce qu’ils ont beaucoup moins d’espérance de guérison ; il ne faudroit pas moins pour eux que les vertus miraculeuses de la pierre philosophale ou le bain enchanté de Médée, dans lequel l’heureux Æson laissa sa vieillesse & toutes les incommodités qui en sont le funeste apanage.
Ayant eu malheureusement l’occasion d’observer des vives attaques de sciatique sur la personne dont la santé m’est la plus précieuse, sur le meilleur & le plus tendrement chéri des peres, j’eusse ardemment souhaité trouver un remede assûré, & exempt de danger & d’inconvéniens ; & j’ai été convaincu par la suite qu’il n’y en avoit point de supérieur à la patience & à la sobriété : par leur moyen, les paroxysmes ont été moins fréquens & les douleurs plus supportables ; puissent-elles s’affoiblir ainsi de plus en plus pendant le cours d’un grand nombre d’années ! (m)