L’Encyclopédie/1re édition/SCARBOROUGH

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SCARBOROUGH, (Géog. mod.) anciennement Scarbourg, ville d’Angleterre, dans Yorck-shire, vers le nord de la province. Elle est bâtie sur un rocher fort élevé, avec un château que le roi Henri II. fit construire pour sa défense, & où l’on tient toujours garnison. Il y a un bon port, où les vaisseaux sont en sureté, & des eaux minérales qui y attirent beaucoup de monde.

Friddes (Richard), savant théologien, & écrivain poli du xviij. siecle, naquit près de Scarboroug, en 1671. Il se fit beaucoup d’amis à Oxford par son esprit, par l’agrément de sa conversation, & par ses manieres engageantes. Le docteur Sharp, archevêque d’Yorck, lui donna un bénéfice, dans lequel il se distingua par son affabilité & son application à remplir les devoirs de son ministere ; mais il eut le malheur, par une grande maladie, de perdre les agrémens & les charmes de sa voix, qui avoient fait auparavant l’admiration de tout le monde. Comme il s’étoit marié fort jeune, & qu’il avoit une nombreuse famille, il résolut pour la soutenir de venir à Londres, & de s’y livrer tout entier à la composition.

Le premier ouvrage qu’il publia, est un système de théologie, d’après les principes de la religion naturelle, & de la religion révélée. Londres 1718 & 1720, in-folio. Cet ouvrage fut très-favorablement reçu du public, & l’on en lit de bons extraits dans la Bibliotheque angloise, & dans les Mémoires de littérature de M. de la Roche ; l’auteur réfute toujours les calvinistes, les catholiques romains, les sociniens, & les déistes, avec une douceur qui peint la bonté de son caractere.

Le second ouvrage qu’il mit au jour, comprend ses sermons & discours moraux sur divers sujets, au nombre de cinquante-deux, qui forment un volume in-folio, imprimé à Londres en 1722. Le but de cet ouvrage est de dévoiler quelques-unes des erreurs générales, & des vices les plus dominans de notre siecle, comme aussi de persuader aux hommes la nécessité d’être solidement vertueux.

Il fit paroitre en 1724 la vie du cardinal Wolssey à Londres, in-fol. avec figures. Il eut des souscriptions considérables pour l’impression de cet ouvrage ; l’accueil qu’on lui fit l’engagea d’entreprendre les vies du chevalier Thomas More, & de Jean de Fischer, évêque de Rochester ; mais on lui vola son manuscrit qu’on n’a jamais retrouvé.

Il a encore donné un traité de morale sur les principes de la raison. Londres 1724, in-8°. une excellente brochure sur l’Iliade d’Homere ; un livre sur l’Eucharistie ; enfin une défense de la fameuse épitaphe latine que Jean Sheffield, duc de Buckingham avoit faite pour lui-même.

Pro rege sæpè, pro republicâ semper.
Dubius, sed non improbus vixi.
Incertus morior, sed inturbatus.
Humanum est errare, & nescire.


Much for the prerogative ; ever for my country ;
I lived irregular not profligate.
Tho’ going to a state unknown, i dye resign’d.
Frailty and ignorance attend on human life.

Voici la traduction littérale de l’anglois : « Zélé souvent pour les droits du roi, toujours pour ceux de mon pays : j’ai vécu d’une maniere irréguliere mais non débauchée ; quoique j’aille entrer dans un état inconnu, je meurs résigné : la fragilité & l’ignorance sont l’apanage de la condition humaine ».

M. Friddes conclut la défense du duc de Buckingham d’une façon qui ne peut que lui faire honneur. « Si, dit-il, je me suis trompé dans cette apologie occasionelle d’un illustre seigneur, distingué par quantité de talens remarquables ou supérieurs, mon erreur part d’un principe de charité. Je soumets humblement tout ce que j’ai dit à la censure, surtout à celle qui part d’un zele de religion, aussi fervent que je sais qu’il l’est dans les personnes à qui cette épitaphe a déplu. Je ne voudrois pas, par quelque raison que ce pût être, qu’on pût m’accuser du dessein de préjudicier le moins du monde, & de faire le moindre tort à la cause de la vraie piété ; mais toutes les regles de l’équité commune nous obligent à interpreter les paroles aussi-bien que les actions des hommes, de la maniere la plus favorable qu’elles peuvent l’être ; & l’obligation de nous conformer à ces regles est plus forte, lorsqu’il s’agit d’expliquer les paroles de ceux qui ne peuvent s’expliquer eux-mêmes ».

Cet aimable & savant homme vécut toujours avec le plus grand desintéressement, négligeant trop le bien-être qu’il pouvoit se procurer par quelques démarches auprès des ministres : les gens vraiment passionnés pour les sciences, songent très-peu à acquérir les biens de la fortune ; le plaisir qu’ils trouvent avec leurs livres, leur tient lieu de tout. L’application du docteur Friddes à l’étude étoit si grande, qu’il y donnoit des nuits entieres ; son travail abrégea ses jours. Il mourut en 1725, âgé de 54 ans. C’est une situation bien triste que celle d’un homme de lettres qui desire de se distinguer par ses écrits, & de pourvoir en même tems, par ce seul moyen, à la subsistance d’une famille ; d’un côté le besoin le presse, & de l’autre la renommée lui crie de limer ses ouvrages, & de les rendre dignes de l’immortalité.

Un artiste ingénieux a représenté un beau génie qui se trouve dans cette situation, sous l’emblème d’une belle femme, mal vêtue, regardant le ciel, & élevant en l’air son bras droit que deux aîles soutiennent, tandis que son corps & son bras gauche sont attachés à une grosse pierre qui est en terre, image parlante du malheur de plusieurs hommes de lettres. (Le chevalier de Jaucourt.)