L’Encyclopédie/1re édition/SARDAIGNE, la

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SARDAIGNE, la, (Géog. mod.) en latin Sardinia, grande île de la Méditerranée, entre l’Afrique & l’Italie, au midi de l’île de Corse, dont elle n’est séparée que par un bras de mer de neuf à dix milles de large, & au nord-ouest de la Sicile. On lui donne environ 170 milles de longueur, 90 milles dans sa plus grande largeur, & 500 milles de circuit. Cluvier lui donne 45 milles d’Allemagne de long, depuis Cagliari sa capitale, jusqu’au bras de mer qui la sépare de la Corse, & 26 milles de largeur, depuis le cap Montefalcone jusqu’au cap de Sarda. On peut voir dans l’itinéraire d’Antonin les anciennes routes de la Sardaigne, avec leurs distances en milles romains. On peut aussi lire la description de ce royaume, publié à la Haye en 1725, in-8°.

Cette île, selon Ptolomée, est depuis 29 degrés 50′ de longitude, jusqu’à 32 degrés 25′ ; & depuis 35 degrés 50′ de latitude, jusqu’à 39 degrés 30′.

Le. P. Coronelli dans son isolario, lui donne depuis le 31 degré 10′ de longitude, jusqu’au 32 degré 19′ 30″ ; & depuis le 37 degré 14′ de latitude, jusqu’au 40 degré 50′.

Selon M. de Lisle, qui a eu des observations plus sûres, la longitude de la Sardaigne est depuis les 25 degré 40′ jusqu’au 27 degré 20′ ; & sa latitude est entre les 38 degré 42′ 30″ & le 41 degré 11′.

Les Italiens nomment cette grande île Sardegna ; les Espagnols, Sardena. Les Grecs ont dit Σαρδω, Σαρδος, Σαρδων ; & pour les habitans, Σαρδωοι, Σαρδωνιοι, Sardoni.

Presque tous les auteurs disent que la Sardaigne a été ainsi nommée de Sardus fils d’Hercule, qui y conduisit une colonie greque ; mais Bochart lui donne une étymologie phénicienne. Sans nous arrêter à ces sortes de recherches, nous savons que les Carthaginois s’emparerent de cette île, dont ils furent les maîtres jusqu’à la premiere guerre punique qui les en chassa. Les Romains s’y établirent l’an de Rome 521, sous la conduite de M. Pomponius ; & comme ils conquirent la Corse l’année suivante, ces deux îles furent soumises à un même préteur.

Les Sarasins ayant étendu leurs conquêtes en Afrique & en Espagne, dominerent en Sardaigne dans le vij. siecle. Les Pisans & les Génois les en chasserent. Ensuite dans les guerres qui regnerent entre ces deux nations, Jacques II. roi d’Aragon, s’empara de la Sardaigne en 1330. Cette île est restée annexée à l’Espagne jusqu’à 1708, que les Anglois s’en rendirent les maîtres en faveur de l’archiduc. Enfin, par le traité de Londres, le duc de Savoie, roi de Sicile, céda ce royaume à l’empereur pour celui de Sardaigne ; & cette couronne a passé à son fils qui regne aujourd’hui.

La Sardaigne a été vantée pour sa fertilité par les anciens, Polybe, Cicéron, Pausanias, Pomponius Mela & Silius Italicus ; mais ils s’accordent tous à déclarer qu’autant que la terre y est féconde, autant l’air y est empesté. Martial, liv. IV. épigr. 60. dit, quand l’heure de la mort est venue, on trouve la Sardaigne au milieu de Tivoli.

. . . . . . . cum mors
Venerit, in medio Tibure Sardinia est
.

Ciceron dans une de ses lettres à son frere Quintus, le prie de se ménager, & de songer que malgré la saison de l’hiver, le lieu où il se trouvoit alors étoit la Sardaigne. Et ailleurs parlant de Tigellius, il se félicite de n’avoir pas à souffrir un sarde plus empesté que sa patrie. Suétone remarque que Sœvius Nicanor, fameux grammairien, ayant été noté d’infamie, fut exilé en Sardaigne, & y mourut.

Cette île est toujours aussi mal-saine que fertile : on pourroit cependant remédier au mauvais air qu’on y respire, en faisant écouler les eaux qui croupissent, & en abattant des bois qui empêchent l’air de circuler, car le climat n’est pas mauvais en lui-même. L’île est couverte en tout tems de fleurs & de verdure ; le bétail y paît au milieu de l’hiver ; les campagnes sont abondamment arrosées par des rivieres, des ruisseaux & des fontaines ; les bêtes à cornes y multiplient merveilleusement, & donnent des laines, des peaux & des fromages ; les chevaux de cette île sont estimés ; les montagnes, les collines & les plaines, fournissent une aussi grande chasse de bêtes fauves & gibier qu’en aucun pays du monde ; tous les fruits y sont excellens ; les bois sont chargés d’oliviers, de citronniers & d’orangers ; les montagnes y renferment des mines de plomb, de fer, d’alun & de soufre ; les côtes produisent du thon, du corail, & sur-tout ces petits poissons si vantés, connus sous le nom de sardines, à cause de la grande quantité qui s’en pêche autour de cette île. Enfin on y peut recueillir des grains en abondance, comme on en recueilloit du tems des Romains, où cette île étoit mise au nombre des magasins de Rome. Pompée, dit Ciceron, sans attendre que la saison fût bonne pour naviguer, passa en Sicile, visita l’Afrique, aborda en Sardaigne, & s’assura de ces trois magasins de la république.

Ajoutons que la Sardaigne a des ports capables de recevoir toutes sortes de bâtimens ; cependant il ne paroît pas que depuis les Romains aucune puissance ait profité des avantages qu’on peut tirer de la bonté de cette île. Elle renfermoit sous eux quarante-deux villes, & elle n’en a plus que sept ou huit aujourd’hui, Cagliari, Sassari, Oristagni, toutes trois érigées en archevêché ; & quatre épiscopales, savoir Ampurias, Algheri, Alez, & Bosa.

La Sardaigne, dit Aristote, est une colonie greque qui étoit autrefois très-riche, mais qui a bien déchu depuis. Elle se rétablit sous les Romains, pour retomber dans la plus grande décadence. La raison en est claire : les pays ne sont florissans qu’en raison de leur liberté ; & comme rien n’est plus près de la dévastation que l’état actuel de la Sardaigne, elle est dépeuplée, tandis que l’affreux pays du Nord reste toujours habité. Les maisons religieuses vivent dans cette île sans aucun travail & sans aucune utilité ; leurs immenses privileges sont la ruine des citoyens. Tous les réguliers, soit en qualité de mendians, soit en vertu de quelque indult, ne payent ni taxe ni contribution ; leurs biens ne fournissent rien au gouvernement ; le peuple appauvri s’est découragé ; l’industrie a cessé ; les souverains ne tirant presque rien de cette île, l’ont négligée, & les habitans sont tombés dans une ignorance profonde de tout art & de tout métier. Le roi de Sardaigne lui-même qui possede aujourd’hui cette île, n’a pas cru qu’il fût aisé de remédier à son délabrement, & d’en réformer la constitution. Aussi la cour de Turin ne regarde la Sardaigne que comme un titre qui met son prince entre les têtes couronnées.

Je ne connois que Symmaque, diacre de l’église de Rome, qui soit né dans cette île, & qui ait fait quelque bruit dans le monde. Il succéda au pape Anastase II. en 498, par le crédit de Théodoric, roi des Goths. Il étoit perdu sans ce prince ; mais avec sa protection, il fut déclaré innocent des crimes dont on l’accusoit. On dit que c’est lui qui ordonna le premier de chanter à la messe dans les fêtes des martyrs, le gloria in excelsis. Il mourut en 514. (Le Chevalier de Jaucourt.)