L’Encyclopédie/1re édition/SÉNATEUR

SÉNATEUR romain, (Gouvernem. de Rome.) membre du sénat de Rome, c’est-à-dire, de ce corps auguste qui étoit l’appui, le défenseur & le conservateur perpétuel de la république. On est avide de savoir quel étoit le nombre des membres d’un corps qui tenoit dans ses mains les rênes d’un si puissant empire, qui régloit toutes les affaires avec les étrangers, & qui dans son lustre présidoit à toute la terre. On demande à quel âge on pouvoit devenir sénateur, quelle qualité de biens ils devoient avoir aux termes de la loi, quels étoient leurs devoirs, les honneurs de leur charge, & leurs privileges ; tâchons de satisfaire à toutes ces questions curieuses.

Quant au nombre des sénateurs, l’opinion générale est qu’il fut borné à 300, depuis le tems des rois jusqu’à celui des Gracques ; mais on ne doit pas prendre cette fixation à la rigueur, parce que quelquefois ce nombre peut avoir été moindre ; & dans le cas d’une grande diminution imprévue, on completoit de nouveau les places vacantes par une promotion extraordinaire. Ainsi, comme le nombre des magistrats augmentoit dans les nouvelles conquêtes de la république, & dans les accroissemens qu’elle faisoit à son domaine, de même le nombre des sénateurs a dû varier ; & par plusieurs accidens, exposée à des vuides. Le dictateur Silla, lorsque ce corps se trouva comme épuisé par les proscriptions & les guerres civiles, créa 300 membres en une seule fois. Il les prit de l’ordre équestre. Cette augmentation fit probablement monter le nombre entier des sénateurs à environ 500. Il paroît que le sénat s’est maintenu dans cet état jusqu’à la ruine de la liberté par Caïus César ; puisque Cicéron dans un récit qu’il fait d’une affaire particuliere, dit à Atticus, que 415 sénateurs y avoient assisté, ce qu’il appelle le plein sénat.

Les anciens auteurs nous indiquent clairement qu’il étoit nécessaire d’avoir un certain âge pour être sénateur, quoiqu’aucun d’eux ne nous ait précisément marqué quel devoit être cet âge. Il fut fixé par les lois sous le regne de Servius Tullius, à 17 ans pour entrer dans le service militaire ; & chaque citoyen, au rapport de Polybe, étoit obligé de servir dix ans dans les guerres, avant que de pouvoir prétendre à aucune magistrature civile. Ce qui sert à déterminer l’âge auquel on pouvoit demander la questure ou le premier grade des honneurs, c’est-à-dire l’âge de 28 ans ; or comme cette magistrature donnoit entrée dans le sénat, la plus grande partie des savans paroît avoir fixé l’obtention du rang de sénateur à l’âge de 28 ans.

A la vérité quelques écrivains, d’après l’autorité de Dion Cassius, ont pensé que l’âge d’admission dans ce corps étoit de 25 ans ; ne faisant pas attention que Dion ne rapporte ce fait que comme une regle proposée à Auguste par son favori Mécène ; mais à en juger par l’usage de la république en ces derniers tems, l’âge pour être questeur, ainsi que pour être sénateur, étoit de 30 ans accomplis, parce que Cicéron qui déclare dans quelques-unes de ses oraisons, qu’il avoit obtenu les honneurs de la république, sans avoir essuyé aucun refus, chacun de ces honneurs dans l’âge requis par la loi, n’obtint en effet la questure qu’à 30 ans passés ; & lorsque Pompée fut créé consul d’une maniere extraordinaire à l’âge de 36 ans, sans avoir passé par les grades inférieurs, Cicéron observe à cet égard qu’il fut élevé à la plus haute magistrature, avant que les lois lui permissent d’obtenir les moins considérables ; ce qui regarde l’édilité qui étoit le premier emploi, appellé proprement magistrature, & qui ne pouvoit être obtenu qu’après un intervalle de cinq ans entre cette charge & la questure.

Mais l’opinion que nous adoptons, semble confirmée par la disposition de certaines lois, que donnerent en divers tems les gouverneurs de Rome aux nations étrangeres, sur les reglemens de leurs petits sénats. Par exemple, lorsque les Halaisins, peuples de la Sicile, eurent de grandes contestations entr’eux sur l’élection des sénateurs, ils requirent le sénat de Rome de les diriger à cet égard ; & le préteur Caïus Claudius leur envoya des lois & des réglemens convenables. L’un de ces réglemens étoit, que l’on ne pût devenir sénateur avant l’âge de 30 ans, & qu’on ne reçût personne qui exerçât quelque métier, ou qui n’eût une certaine quantité de biens. Scipion prescrivit les mêmes lois au peuple d’Agrigente.

Enfin, Pline fait mentions d’une loi donnée en pareille occasion aux Bythiniens par Pompée le grand. Cette loi défendoit la réception dans le sénat avant l’âge de 30 ans : elle ordonnoit de plus, que tous ceux qui avoient exercé une magistrature, fussent conséquemment admis dans ce corps. Ces divers réglemens indiquent d’une maniere assez claire la source dont ils étoient émanés, & prouvent que le magistrat romain avoit naturellement donné aux autres peuples les usages établis dans la république.

Cicéron prétend que les lois pour régler l’âge des magistrats, n’étoient pas bien anciennes ; qu’on les fit pour mettre un frein à l’ambition demesurée des nobles, & rendre tous les citoyens égaux dans la recherche des honneurs ; & Tite-Live nous apprend que L. Villius, tribun du peuple, fut le premier qui les introduisit, l’an de Rome 573, ce qui lui fit donner le surnom d’annaire. Mais bien du tems avant cette époque, on trouve que ces lois & ces usages avoient lieu à Rome, dans l’enfance même de la république. Par exemple, lorsque les tribuns furent institués, les consuls déclarerent dans le sénat, que dans peu de tems ils corrigeroient la pétulance des jeunes nobles, au moyen d’une loi qu’ils avoient préparée pour régler l’âge des sénateurs.

Il y avoit une autre qualité requise, & regardée comme nécessaire à un sénateur. On exigeoit un fonds de biens considérable pour le maintien de cette dignité, & cette quantité de biens étoit établie par les lois, Mais on ne trouve en aucun endroit le tems de cet établissement, ni à quelle somme ces biens devoient monter. Suétone est le premier des auteurs qui en ait parlé, & qui nous apprend que la quotité des biens étoit fixée à 800 sesterces avant le regne d’Auguste ; ce qui suivant le calcul de la monnoie angloise, monte de six à sept mille liv. Cette somme, ainsi que quelques auteurs l’ont prétendu, ne devoit pas être regardée comme une rente annuelle, mais comme le fonds des biens d’un sénateur, fonds réel, appartenant en lui en propre & estimé ou évalué par les censeurs. Cette quantité de biens paroîtra peut-être trop peu considérable, & on ne la trouvera pas proportionnée au rang & à la dignité d’un sénateur romain. Mais on doit faire attention que c’étoit la moindre quantité de biens qu’on pût avoir pour parvenir à ce grade. En effet, lorsqu’il arrivoit que les sénateurs possédoient moins que cette somme, ils perdoient leur place dans le sénat.

D’ailleurs, quelque peu considérable que paroisse aujourd’hui cette proportion de biens, il est certain qu’elle suffisoit pour maintenir un sénateur convenablement à son rang, sans qu’il fût forcé de s’occuper de quelque profession vile & lucrative, qui lui étoit interdite par la loi. Mais la constitution en elle-même ne paroît pas avoir été bien ancienne, ce qu’on peut aisément se persuader, puisque dans les premiers tems, le principaux magistrats étoient tirés de la charrue. Corn. Rufinus, qui avoit été dictateur & deux fois consul, fut chassé du sénat l’an de Rome 433, par le censeur C. Fabricius, parce qu’on trouva dans sa maison des vases d’argent du poids de dix livres. On ne donnoit donc pas alors dans l’élection d’un sénateur, la préférence à la quantité des biens. Nous voyons en effet Pline se plaindre de la vicissitude des tems, & déplorer le changement qui s’étoit introduit dans le choix des sénateurs, des juges & des magistrats qu’on élisoit, selon le calcul de leurs biens, époque à laquelle on commença de n’avoir plus d’égard au vrai mérite.

Cicéron dans une de ses lettres écrites lors de l’administration de C. César, rend un témoignage assuré de la quotité des biens que devoit avoir un sénateur ; il prie un de ses amis, qui avoit alors du crédit, d’empêcher que certaines terres ne soient enlevées par les soldats à Curtius, qui sans ses biens ne pourroit conserver le rang de sénateur, auquel César l’avoit lui-même élevé.

Ce n’étoit pas assez aux sénateurs d’avoir une certaine quotité de biens ; il falloit encore qu’ils donnassent un exemple de bonnes mœurs à tous les ordres de l’état ; mais indépendamment de cette régularité de mœurs qu’on exigeoit d’eux, Cicéron nous parle encore des devoirs auxquels ils étoient assujettis, l’un de ces devoirs, étoit l’obligation d’être assidu. La liberté qu’ils avoient d’aller à la campagne, dans les intervalles d’une assemblée à l’autre, ayant dégéneré en abus, les consuls leur défendirent dans plusieurs circonstances de s’absenter de Rome plus de trois à la fois, & de s’éloigner de maniere qu’ils ne pussent revenir dans le jour. Le second devoir consistoit à ne parler qu’à son tour. La troisieme regle de discipline étoit de ne pas étendre son avis au-delà des bornes ; mais cette regle eut souvent ses exceptions. Au reste, un sénateur perdoit son état lorsqu’il se dégradoit lui-même, en montant sur le théâtre, ou en descendant dans l’arene.

Il arrivoit aussi que les illustres membres d’un conseil suprème, qui tenoit dans ses mains les renes d’un aussi puissant empire, qui regloit toutes les affaires avec les étrangers, & qui dans son lustre présidoit à toute la terre, étoit regardé partout, avec la plus grande distinction. Nous voyons en effet, que plusieurs d’entr’eux avoient sous leur protection particuliere, des rois, des villes & des nations.

Cicéron rendant compte des avantages d’un sénateur sur les membres des autres ordres de la république, dit qu’il avoit l’autorité & l’état dans Rome, le nom & la faveur chez l’étranger. Il jouissoit du privilege de prendre place dans les assemblées des sénats des provinces alliées à la république. Quelle est la ville, ajoute Cicéron, dans les parties les plus éloignées de la terre, quelque puissante & quelque libre qu’elle soit, quelque rudesse & quelque barbarie qu’elle puisse avoir ; quel est le roi qui ne se fasse un plaisir d’accueillir & de bien traiter chez lui un sénateur du peuple romain ?

Parmi les membres de cet ordre seulement, on choisissoit tous les ambassadeurs, & ceux qu’on employoit dans les états étrangers ; & lorsqu’ils avoient quelque motif particulier de voyager au dehors, même pour leurs propres intérêts, ils obtenoient du sénat le privilege d’une légation libre. Ce privilege leur donnoit le droit d’être traités partout avec les honneurs dûs à un ambassadeur, & d’être fournis pendant leur route d’une certaine quantité de vivres, & de choses qui pouvoient leur être nécessaires, ainsi qu’à leurs gens. De plus, pendant tout le tems qu’ils résidoient dans les provinces de la république, les gouverneurs de ces provinces étoient dans l’usage de leur donner les licteurs qui les précédoient. S’ils avoient quelque procès, ou quelque discussion d’intérêt dans ces provinces, il paroît qu’ils jouissoient du droit de demander leur renvoi à Rome.

Ils n’étoient pas moins distingués des autres citoyens dans cette capitale, par des privileges & des honneurs particuliers ; puisque dans les fêtes & les jeux publics ils avoient des places qui leur étoient assignées dans le lieu le plus commode & le plus honorable. Lorsqu’on offroit des sacrifices à Jupiter, ils jouissoient seuls du droit de donner des fêtes publiques dans le capitole, revêtus de leurs habits de cérémonie, ou des habits propres aux charges qu’ils avoient exercées.

Ils étoient d’ailleurs distingués des autres citoyens par les ornemens de leurs habits ordinaires, ainsi que par leur tunique, par la matiere, & la forme de leurs souliers, dont les anciens auteurs rendent compte. L’ornement de leur tunique étoit le laticlave. Voyez Laticlave.

La forme de leurs souliers étoit particuliere, & différente de celle des autres citoyens. Ciceron parlant d’un certain Asinius, qui, dans le desordre général causé par la mort de César, s’étoit introduit dans le sénat, dit que voyant la cour ouverte, il changea de chaussure, & devint tout d’un trait sénateur ; cette différence consistoit dans la couleur, dans la forme, & dans l’ornement de ces souliers. Leur couleur étoit noire, tandis que ceux des autres citoyens n’avoient pas une couleur particuliere, & qu’elle dépendoit de leur fantaisie. La forme en étoit en quelque sorte semblable à nos brodequins. Ils remontoient jusqu’au milieu de la jambe, ainsi qu’on le voit dans quelques statues antiques, & dans des bas reliefs, & ils étoient ornés de la figure d’une demi-lune, cousue & attachée sur la partie de devant, près la cheville du pié.

Plutarque dans ses questions romaines, donne diverses raisons de cette figure emblématique. Mais d’autres auteurs disent que cela n’avoit aucun rapport avec la lune, quoiqu’il parût que la figure le dénotât, mais qu’elle servoit seulement à exprimer la lettre C, comme un signe numératif, & comme la lettre initiale du mot centum, nombre fixe des sénateurs dans leur premiere institution par Romulus.

La toge & la robe d’un sénateur ordinaire, ne différoient point de celle des autres citoyens ; mais les consuls, les préteurs, les édiles, les tribuns, &c. portoient toujours dans l’année de leur magistrature, la prétexte, qui étoit une robe bordée d’une bande de pourpre ; & c’est aussi l’habit que tout le reste du sénat qui avoit déja rempli les grandes charges, portoit aux fêtes & aux solemnités.

Dans les commencemens de la république, les sénateurs n’osoient quitter en aucun lieu les marques distinctives de leur rang ; mais dans la suite on se négligea sur ces bienséances respectables. C’est à cette époque qu’il faut rapporter le trait satyrique de Juvenal contre les sénateurs de son tems : il dit qu’ils aiment à paroître tous nuds en plein sénat, parce que la folie est moins honteuse que la mollesse. Le luxe vint encore au secours de l’indécence, & l’aimable simplicité des premiers romains fut entierement bannie ; nous laisserons-là le tableau de ces sénateurs efféminés, plus immodestes que les courtisanes : nous nous sommes proposé de ne présenter aux yeux des lecteurs que l’histoire d’un corps auguste, digne de nous être transmise, lorsque ce corps au comble de sa gloire & de son pouvoir, étoit également vertueux & libre dans ses délibérations. (Le chevalier de Jaucourt.)

Sénateur pédaire, (Hist. rom.) ce nom fut donné aux chevaliers qui entrerent dans le sénat, pour les distinguer des sénateurs d’un rang supérieur, qui suivant les commentaires de Gabius Bazius, avoient le privilege de venir au sénat en voiture. Pline, hist. nat. l. VII. c. xliij. nous apprend que cet honneur singulier fut accordé à Métellus, qui avoit perdu la vue pour sauver d’une incendie le palladium déposé au temple de Vesta. Les sénateurs pédaires furent ainsi nommés, parce qu’ils ne parloient point, & qu’ils exprimoient leurs suffrages, s’il y avoit une division dans l’assemblée, en passant du côté de ceux dont ils approuvoient l’avis. Ainsi pour faire allusion à cet usage, qui semble toutefois avoir entierement cessé dans les derniers tems de la république, cette partie du sénat qui ne disoit pas son avis, fut toujours qualifiée du nom de pédaire. Il est aisé de le voir dans le rapport que fait Ciceron à Atticus, de certaines disputes, & d’un decret du sénat à cet égard ; il dit que cela fut fait par le concours général des pédaires, quoique contre l’autorité des consulaires. (D. J.)

Senateurs de Pologne, (Hist. moderne.) c’est ainsi que l’on nomme en Pologne les grands du royaume qui forment un corps de 128 personnes, destiné à mettre des bornes à l’autorité royale & empêcher le monarque d’empiéter sur les droits de ses sujets. On distingue les sénateurs en grands & en petits. Les grans sénateurs sont, 1°. vingt-trois palatins ou waywodes, c’est-à-dire, gouverneurs de provinces ; 2°. les trois castellans de Cracovie, de Vilna, & de Troki ; 3°. le staroste de Samogitie. Les 29 autres sénateurs s’appellent petits sénateurs, quoique l’on compte parmi eux des archevêques, des évêques & d’autres personnes éminentes par leurs dignités & leur naissance.

Ce sont les sénateurs qui forment en Pologne l’assemblée, que l’on nomme senatus-consilium.

Sénateur de Suede, (Hist. de Suede.) les sénateurs de Suede sont des personnes de qualité & de mérite, qui aident sa majesté suédoise à gouverner le royaume, & de qui le roi prend l’agrément, pour toutes les grandes affaires qu’il souhaite d’entreprendre. Entre les sénateurs, il y en a cinq qui sont tuteurs du prince pendant sa minorité, & à qui dans les résolutions des dietes, on a donné le titre de gouverneurs du royaume. Mais en général les sénateurs sont appellés les sénateurs du roi & du royaume. Leur nombre fut autrefois fixé à 12, ensuite à 24, & maintenant il s’étend à 40. Leurs charges ne sont ni vénales, ni héréditaires ; quand on leur parle, ou qu’on leur écrit, on les traite d’excellence. (D. J.)