L’Encyclopédie/1re édition/RHEIN, le

RHEIN, le, (Géog. mod.) en latin Rhenus, grand fleuve d’Europe, qui sembleroit devoir être la borne naturelle, entre l’Allemagne & la France

Ce fleuve tire sa source, ou plutôt ses sources, du pays des Grisons, dans la partie qu’on nomme la ligue-haute. Le mont Adula qui occupa tout le pays nommé Reinwald, & qui s’étend fort avant dans tous les pays d’alentour, sous divers noms, forme trois petites rivieres, dont l’une qui est à l’occident & qui sort du mont Crispalt, est appellée par les Allemands Vorder-Rhein, c’est à-dire le Rhein de devant ; & par les François, le bas-Rhein. La seconde qui sort du mont Saint Barnabé, Luckmanierberg, s’appelle le Rhein du milieu ; & la troisieme qui sort du saint Bernardin, Volgelberg, est nommée par les Allemands Hinder-Rhein, c’est-à-dire le Rhein de derriere ; & par les François le haut-Rhein.

Tout près de-là, un peu à côté à l’ouest, on trouve les sources de quatre rivieres considérables ; savoir, celle du Rhône, dans le mont de la Fourche, qui court droit à l’ouest ; celle du Tésin, qui court au sud ; celle du Reuss, qui prend son cours vers le nord ; & celle de l’Aare, qui coule au nord-ouest.

Despreaux a peint poétiquement le fleuve du Rhein & son origine, dans les vers suivans :

Au pié du mont Adule entre mille roseaux,
Le Rhein, tranquille & fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d’une main sur son urne penchante,
Dormoit au bruit flatteur de son onde naissante……

Epit. 4. vers. 39.

Ce fleuve est profond, rapide, & a son fond d’un gros gravier, mêre de cailloux. Il est fort bisarre dans ses débordemens, & sa navigation est difficile, tant à cause de sa rapidité, que des coupures qu’il fait dans son cours, où on voit un grand nombre d’îles, couvertes de broussailles, très-pénibles à pénétrer.

Il roule quelques paillettes d’or dans son sable, que les habitans des îles du Rhein vont chercher après ses débordemens. Les seigneurs limitrophes afferment ce droit, ainsi que celui de la pêche du poisson, qui est abondant dans ce fleuve.

Il donne son nom à deux cercles de l’empire, qui sont le cercle du haut-Rhein & le cercle du bas-Rhein. On appelle aussi simplement le haut-Rhein, & le bas-Rhein, les endroits de ce fleuve qui répondent à ces deux cercles.

Le cours du Rhein est aujourd’hui beaucoup mieux connu qu’il ne l’étoit du tems de César ; mais comme il seroit trop long d’en faire ici la description, attendu les différens territoires qui le baignent, je me contenterai de dire qu’il sépare la Suabe de l’Alsace, arrose le cercle du haut-Rhein, & celui de Westphalie. Il se partage ensuite en deux branches, dont la gauche s’appelle le Vahal, & la droite conserve le nom de Rhein. A huit lieues au-dessous d’Arnheim, il se sépare encore en deux branches ; la principale prend le nom de Leck, & se joint à la Meuse ; l’autre qui conserve son nom, mais qui n’est plus qu’un ruisseau, se perd dans l’Océan, au dessous de Leyde ; ainsi finit l’empire romain, réduit aux fauxbourgs de Constantinople !

Furius avoit décrit les sources du Rhein dans quelques-uns de ses poëmes, mais il en avoit donné une si laide peinture, qu’Horace dit que ce poëte avoit fait au dieu de ce fleuve, une tête de bouë, diffingit Rheni luteum caput, comme un potier qui s’aviseroit de former grossierement une tête d’homme avec de l’argile. Diffingere est la même chose que fingere, & convient fort bien avec luteum caput.

Le nom de ce fleuve dans la langue celtique, signifioit pur, & lui fut donné, à cause que les Celtes superstitieux employoient ses eaux pour faire des épreuves de la chasteté, comme il paroît par une ancienne épigramme grecque, & par un distique de S. Grégoire de Naziance.

La figure de ce fleuve se trouve souvent sur les médailles, comme dans celles de Julien, des deux Posthumes, tyrans des Gaules, avec l’inscription palus provinciarum. (Le chevalier de Jaucourt.)