L’Encyclopédie/1re édition/REGILLUM

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REGILLUM ou REGILLUS, (Géog. anc.) ville d’Italie dans la Sabine, à cent soixante stades de Rome, selon Denys d’Halicarnasse, liv. V. p. 308. Tite-Live, Suétone, & Etienne le géographe, font aussi beaucoup mention de cette ville, dont on ne connoît pas trop bien aujourd’hui la juste position.

Appius Claudius, surnommé Sabinus, naquit à Regillum, & étoit un des principaux de cette capitale, également illustre par son courage & ses richesses, mais plus encore par sa vertu & par son éloquence. Son grand mérite l’ayant exposé à l’envie de ses concitoyens, qui l’accusoient de vouloir se faire tyran de sa patrie, il prit le parti de se retirer à Rome avec toute sa famille, l’an 250, sous les consuls P. Valerius Publicola IV, & Lucretius Tricipitinus II. 502 ans avant J. C. Plutarque raconte, qu’en se retirant, il amena avec lui cinq mille familles à Rome, ce qui dépeupla prodigieusement la ville de Régille.

Quoi qu’il en soit, les Romains reçurent très-bien tous les transfuges de Régille ; on leur accorda le droit de bourgeoisie, avec des terres situées sur la riviere de Téveron, & l’on en donna deux arpens à chacun. On en donna vingt-cinq à Appius, qui fut fait patricien, & aggrégé parmi les sénateurs. Il se distingua bientôt dans le sénat par la sagesse de ses conseils, & sur-tout par sa fermeté. Il fut nommé consul avec Publius Servilius Priscus, l’an 259 de la fondation de Rome, & 493 ans avant J. C. Cette année il y eut de grands troubles à Rome, à l’occasion des dettes que le peuple avoit contractées, & dont il demandoit l’abolition. Le désordre alla si loin, que les consuls mêmes, qui tâchoient de calmer le tumulte, furent en danger de la vie.

Appius qui étoit d’un caractere severe, fut d’avis qu’on ne pouvoit appaiser la sédition que par la mort de deux ou trois des principaux mutins ; mais Servilius, plus doux & plus populaire, croyoit qu’on devoit avoir quelqu’égard au misérable état du peuple, & que les Romains étant menacés d’une guerre dangereuse, il étoit à propos d’accorder quelque satisfaction à ceux qui avoient été opprimés, qui, sans cela, ne donneroient pas leurs noms pour s’enrôler au service de la république.

L’avis de Servilius prévalut : il procura un decret du sénat en faveur des pauvres débiteurs, & les levées se firent. Mais on n’exécuta pas fidélement le décret ; ensorte qu’après la campagne, le peuple recommença à se soulever avec plus de fureur que jamais, sur-tout vers le tems de l’élection de nouveaux consuls. Il refusa de marcher contre l’ennemi ; & les consuls ayant voulu lui inspirer de la crainte par un coup d’autorité, en faisant saisir quelques-uns des plus rebelles, le peuple les arracha des mains des licteurs. Le sénat voyant l’autorité souveraine méprisée, délibéra sur le parti qu’il y avoit à prendre dans cette urgente nécessité. Les sentimens furent partagés, mais Appius les réunit, en proposant de créer un dictateur.

Ce dictateur ne put pourtant mettre fin aux brouilleries, dont le résultat fut, qu’on créeroit deux tribuns du peuple. Le fils d’Appius Claudius hérita de son pere, cette hauteur & cette fermeté qui l’avoient rendu odieux à la multitude. Les tribuns le citerent devant le peuple, comme l’ennemi déclaré de la liberté publique. Il parut au milieu de ses accusateurs, comme s’il avoit été leur juge. Il répondit aux chefs d’accusation avec tant de force & d’éloquence, que le peuple étonné n’osa le condamner. Enfin il finit volontairement sa vie qu’il désespéroit de pouvoir sauver. Il avoit un fils qui fit apporter son corps dans la place, & se présenta, suivant l’usage, pour faire son oraison funebre. Les tribuns voulurent s’y opposer ; mais le peuple, plus généreux que les vindicatifs tribuns, leva l’opposition, & entendit sans peine, les louanges d’un ennemi qu’il ne craignoit plus, & qu’il n’avoit pu s’empêcher d’admirer pendant sa vie. (D. J.)