L’Encyclopédie/1re édition/RANDON

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RANDON, (Lang. franç.) ce vieux mot se dit d’une source, d’une pluie, d’un torrent, qui se fait passage par un rocher ; on le disoit aussi des gens qui alloient en troupes. On dit encore en Fauconnerie, fondre en randon, quand l’oiseau de proie fond avec grande impétuosité sur son gibier pour le jetter à terre.

Randon, (Géogr. mod.) ou château neuf de Randon ; lieu de France en Gevaudan, sénéchaussée de Beaucaire ; c’étoit dans le quinzieme siecle une place forte qu’assiégea le connétable du Guesclin, & devant laquelle il mourut de maladie le 13 Juillet 1380, âgé de 69 ans ou environ. En disant adieu aux vieux capitaines qui l’avoient suivi depuis quarante ans, il les pria de ne point oublier ce qu’il leur avoit dit mille fois, « qu’en quelque pays qu’ils fissent la guerre, ils respectassent les gens d’église, les femmes, les enfans & le pauvre peuple ».

Il leur avoit montré l’exemple. Aussi ses propres ennemis lui rendirent un honneur singulier. Le gouverneur de Randon avoit capitulé avec le connétable, & il étoit convenu de se rendre le 12 Juillet en cas qu’il ne fût pas secouru : quand on le somma de remettre la place le lendemain, qui fut le jour de la mort de du Guesclin, le gouverneur répondit qu’il lui tiendroit parole, même après sa mort ; en effet il sortit avec les plus considérables officiers de sa garnison, & mit sur le cercueil du connétable les clés de la ville, en lui rendant les mêmes respects que s’il eût été vivant. Les fameux capitaines qui avoient servi sous ses ordres, refuserent l’épée de connétable, comme ne se sentant pas dignes de la porter après lui ; cependant Olivier de Clisson fut forcé quelque tems après de la recevoir.

Du Guesclin étoit breton, laid & de petite taille ; mais il se fit singulierement estimer par sa valeur & par ses hauts faits, ayant rendu des services très-importans à la France durant la prison du roi Jean, & sous le regne de Charles V. Il s’employa avec un succès admirable à reprendre sur les Anglois plusieurs villes, & n’exécuta par des choses moins extraordinaires en Espagne.

Ce fut un des plus braves héros de l’ancienne chevalerie. A l’âge de quinze ans, il emprunta en cachette le cheval d’un meunier, vint inconnu à Rennes, pour y joûter dans un tournois qui s’y célébroit, & remporta le prix.

Il ne faut pas néanmoins croire tout ce que les vieilles chroniques disent de lui ; car les auteurs de cette espece d’ouvrages étoient encore entichés de la maladie qui a produit les histoires merveilleuses de Roland, d’Oger le danois, & semblables ; mais on peut consulter sa vie publiée par M. du Chatelet, en 1666 ; elle est meilleure que celle qui avoit été imprimée en très-vieux gaulois, & dans laquelle néanmoins on trouve un passage fort singulier, qui fait voir qu’anciennement les laïcs ont eu le droit d’administrer les sacremens dans certains cas de nécessité.

Cette ancienne vie de du Guesclin nous apprend que dans la bataille de Pontvalin, qu’il gagna sur les Anglois, ses soldats avant que de venir aux mains, se confesserent l’un l’autre, & s’entre donnerent la communion.

« Et en icelle place (ce sont ces termes) se desjuner de pain & de vin qu’ils avoient apporté avec eux. Et prenoient les aucuns d’iceux du pain, & le segnoient au nom du sainct sacrement. Et après ce qu’ils estoient confessés l’un à l’autre de leurs péchés, le usoient en lieu d’escommichement. Après dirent mainte oraison, en dé priant à Dieu, qu’il les gardast de mort, de mahaing & de prison ».

Le mot escommichement ou accommichement est dans Froissard, & vient selon Borel, du mot adcommunicare, communier. On trouve même des traces de ces communions beaucoup plus anciennes encore, dans nos vieux romans ; entre autres au ch. xxxvj. de Galien restauré, où Roland blessé à mort, & couché dans un champ de blé, s’escomiche lui-même de trois brins de blé en herbe, au nom des trois personnes de la très-sainte Trinité.

On sait, dit M. de Voltaire, quels honneurs Charles rendit à du Guesclin. Il fut enterré dans l’église destinée aux tombeaux des rois de France, auprès de celui que Charles V. s’étoit fait préparer. Il a dans le mausolée une lampe de son nom, qui brûle toujours à sa gloire. Son corps fut porté avec les mêmes cérémonies que ceux des souverains. Quatre princes du sang le suivoient. Ses chevaux, selon la coutume du tems, furent présentés dans l’église à l’évêque qui officioit, & qui les bénit en leur imposant les mains. Ces détails sont peu importans ; mais ils font connoître l’esprit de la chevalerie. L’attention que s’attiroient les grands chevaliers célebres par leurs faits d’armes s’étendoit sur les chevaux qui avoient combattu sous eux. (D. J.)