L’Encyclopédie/1re édition/PUBLICAIN

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PUBLICAIN, s. m. un fermier, un receveur des deniers publics, un homme attaché à la douane, à une recette de certains droits odieux aux peuples.

Chez les Romains il y avoit deux sortes de fermiers ; les uns étoient des fermiers généraux, qui dans chaque province avoient des commis & des sous-fermiers qui levoient les tributs, les revenus du domaine, & les autres droits de l’empire, & rendoient compte à l’empereur. Ces fermiers du premier rang étoient fort considérés dans la république ; & Cicéron, dans son oraison pour Plancius, dit qu’on trouvoit parmi eux la fleur des chevaliers romains, l’ornement de la ville de Rome, & la force de la république. Son ami Atticus étoit, selon quelques-uns, du nombre de ces publicains. Mais les sous-fermiers, les commis, les publicains d’un moindre rang, étoient regardés comme des sangsues publiques. On demandoit à Théocrite quelle étoit la plus terrible de toutes les bêtes, il répondit : l’ours & le lion entre les animaux des montagnes, les publicains & les parasites entre ceux des villes.

Parmi les Juifs, le nom & la profession de publicain étoient en horreur plus qu’en aucun lieu du monde. Cette nation se piquoit particulierement de liberté : nemini servivimus unquam, disent-ils en saint Jean ch. viij. v. 33. Ils ne pouvoient voir qu’avec une extrème répugnance dans leur patrie les publicains qui exigeoient avec rigueur les droits & les impôts ordonnés par les Romains. Les Galiléens sur-tout, ou les Herodiens, disciples de Judas le gaulonite, souffroient très-impatiemment cette servitude, & ne croyoient pas même qu’il fût permis de payer les tributs à une puissance étrangere, comme ils le témoignerent en demandant à Jesus-Christ, licet ne censum dare Cæsari, an non ? En général les Juifs regardoient ceux qui entroient dans ces sortes d’emplois comme des payens, sit tibi sicut ethnicus & publicanus, Math. xviij. 17. On dit même qu’ils ne leur donnoient point entrée dans leur temple, ni dans leurs synagogues, & ne les admettoient point à la participation de leurs prieres, ni dans leurs charges de judicature, ni à rendre témoignage en justice. Grotius ad Matth. xviij. ligfoot hor. hæbr. in Matth. Enfin, on assure qu’on ne recevoit point leurs présens au temple, non plus que le prix de la prostitution, & des autres choses de cette nature.

Il est certain par l’Evangile, qu’il y avoit plusieurs publicains dans la Judée du tems de notre Sauveur. Zachée étoit apparemment un des principaux fermiers, puisqu’il est appellé prince des publicains ; mais saint Matthieu étoit un simple commis ou publicain. Les Juifs reprochoient à J. C. qu’il étoit l’ami des publicains, & qu’il mangeoit avec eux ; ce qui prouve encore combien cette condition étoit odieuse aux Israélites. Calmet, dict. de la Bible, tome III. p. 317.

Publicains, ou Poplicains, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que les occidentaux donnent à une branche des nouveaux Manichéens, qui dans le xj. siecle répandirent leurs erreurs dans la Guienne & dans les provinces voisines. Les orientaux les appelloient Pauliniens. Voyez Manichéens & Pauliniens.

On croit que trente de ces hérétiques s’étant réfugiés en Angleterre en 1160, on leur y donna ce nom. Spelman en parle au second tome de ses conciles d’Angleterre, & leur attribue réellement trois des principales erreurs des Manichéens. Bossuet, hist. des variat. tom. II. liv. XI. n°. 43. pag. 146 & 147.

Publicains, s. m. pl. (Hist. anc.) c’étoient parmi les Romains, les fermiers des impôts, taxes & autres revenus publics. Il y a apparence qu’il y en avoit de diverses classes, puisque les chevaliers romains prenoient à ferme les revenus de la république, & avoient sous eux des commis & des receveurs pour en faire le recouvrement. Cicéron en parle comme d’une compagnie à qui la république étoit fort redevable, & dont la probité étoit si reconnue, qu’on les choisissoit pour mettre en depôt les deniers des familles. Mais Tite-Live ni Plutarque n’en font pas un portrait si avantageux ; le dernier sur-tout rapporte, dans la vie de Lucullus, qu’ils avoient commis d’étranges abus & des exactions criantes en Asie, auxquelles ce général rémédia par des réglemens ; mais il n’osa chasser les publicains de peur d’ôter à l’état les ressources assurées qu’ils lui fournissoient. Ils étoient sur-tout en horreur chez les Juifs, qui les regardoient comme des pécheurs & des scélérats. Les tributs, quelque légers qu’ils fûssent, paroissoient toujours trop onéreux à ce peuple jaloux de son ancienne gloire, & plusieurs mettoient en doute si l’on devoit payer le tribut à César, comme on le voit dans l’Evangile. Cette secte qu’on nommoit les Hérodiens, & qui dura jusqu’à la prise de Jérusalem, fut toujours la plus opposée aux publicains, & la plus acharnée contr’eux. S. Matthieu, quoique juif d’origine, étoit publicain, c’est-à-dire receveur d’un des bureaux des impôts pour les publicains romains ; aussi les Juifs blâmoient-ils hautement Jesus-Christ de recevoir de pareilles gens dans sa compagnie, de les fréquenter & de manger avec eux.

On a donné aussi le nom de publicains aux Arnaldistes & aux Albigeois.