L’Encyclopédie/1re édition/PROSOPOPÉE

PROSOPOPÉE, s. f. (Rhétor.) cette figure du style élevé, est une des plus brillantes parures de l’éloquence ; on l’appelle prosopopée, parce qu’elle représente des choses qui ne sont pas ; elle ouvre les tombeaux, en évoque les manes, ressuscite les morts, fait parler les dieux, le ciel, la terre, les peuples, les villes ; en un mot, tous les êtres réels, abstraits, imaginaires. C’est ainsi qu’un orateur s’écrie : « Justes dieux, protecteurs de l’innocence ! permettez que l’ordre de la nature soit interrompu pour un moment, & que ce cadavre déliant sa langue, prenne l’usage de la voix ». M. Fléchier pour assurer ses auditeurs, que l’adulation n’aura point de part dans son éloge du duc de Montausier, parle de cette maniere. « Ce tombeau s’ouvriroit, ces ossemens se rejoindroient pour me dire ; pourquoi viens-tu mentir pour moi, moi qui ne mentis jamais pour personne ? Laisse-moi reposer dans le sein de la vérité, & ne trouble point ma paix par la flatterie que j’ai toujours haïe ».

Dans d’autres cas, l’art oratoire emploie la prosopopée, pour mettre sous un nom emprunté, les reproches les plus vifs, & les repréhensions les plus ameres. Ainsi Démosthène dans la harangue sur la Quersonèze, disoit aux Athéniens : « si les Grecs exigeoient de vous un compte des occasions échappées à votre paresse ; s’ils vous tenoient ce discours-ci, &c. » En même tems que la prosopopée diminue la haine pour le censeur, elle augmente la honte pour les autres.

Enfin, les poëtes usent de cette figure avec un merveilleux succès dans leurs fictions.

La Mollesse en pleurant sur un bras se releve,
Ouvre un œil languissant, & d’une foible voix
Laisse tomber ces mots, qu’elle interrompt vingt fois ;
O nuit que m’as-tu dit ! Quel démon sur la terre,
Souffle dans tous les cœurs la fatigue & la guerre !
Hélas qu’est devenu ce tems, cet heureux tems
Où les rois s’honoroient du nom de fainéans ;
S’endormoient sur le trône
, &c. (D. J.)