L’Encyclopédie/1re édition/PRÉROGATIVE

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PRÉROGATIVE, PRIVILEGE, (Synon.) La prérogative regarde les honneurs & les préférences personnelles ; elle vient principalement de la subordination, ou des relations que les personnes ont entr’elles. Le privilege regarde quelqu’avantage d’intérêt ou de fonction ; il vient de la concession du prince, ou des statuts de la société. La naissance donne des prérogatives. Les charges donnent des privileges. Girard. (D. J.)

Prérogative, s. f. (Jurispr.) signifie privilege, prééminence, avantage qu’une personne a sur une autre ; les provisions d’une charge la conferent avec tous ses droits, privileges, prérogatives, franchises & immunités. Ce terme vient du nom que portoit à Rome la centurie, qui donnoit la premiere son suffrage dans les comices pour l’élection des magistrats. Prærogativa quasi prærogata. (A)

Prérogative royale, (Droit politiq. d’Angl.) On nomme ainsi dans le gouvernement d’Angleterre un pouvoir arbitraire accordé au prince, pour faire du bien, & non du mal ; ou pour le dire en moins de mots, c’est le pouvoir de procurer le bien public sans réglemens & sans lois.

Ce pouvoir est établi fort judicieusement ; car puisque dans le gouvernement de la Grande-Bretagne le pouvoir législatif n’est pas toujours sur pié ; que même l’assemblée de ce pouvoir est d’ordinaire trop nombreuse & trop lente à dépêcher les affaires qui demandent une prompte exécution, & qu’il est impossible de prévenir tout & pourvoir par les lois à tous les accidens & à toutes les nécessités qui peuvent concerner le bien public : c’est par toutes ces raisons qu’on a donné une grande liberté au pouvoir exécutif, & qu’on a laissé à sa discrétion bien des choses dont les lois ne disent rien.

Tandis que ce pouvoir est employé pour l’avantage de l’état, & conformément aux fins du gouvernement, c’est une prérogative incontestable, & on n’y peut trouver à redire. Aussi le peuple n’est point scrupuleux sur l’étendue de la prérogative, pendant que ceux qui l’ont ne s’en servent pas contre le bien public ; mais s’il vient à s’élever quelque débat entre le pouvoir exécutif & le peuple, au sujet d’une chose traitée de prérogative, on peut décider la question en considérant si l’exercice de cette prérogative tendra à l’avantage ou au desavantage de la nation.

Il est aisé de concevoir que dans l’enfance des gouvernemens les états différoient peu des familles par rapport au nombre des membres ; ils ne différoient non plus guere à l’égard du nombre des lois. Les gouverneurs de ces états, ainsi que les peres de ces familles, veillant pour le bien de ceux dont la conduite leur avoit été commise, le droit de gouverner étoit alors leur prérogative. Comme il n’y avoit que peu de lois établies, la plûpart des choses étoient laissées à la prudence & aux soins des conducteurs ; mais quand l’erreur ou la flatterie est venue à prévaloir dans l’esprit foible des princes, & à les porter à se servir de leur puissance pour leurs seuls intérêts, le peuple a été obligé de déterminer par des lois la prérogative, de la régler dans ces points qu’il trouvoit lui être désavantageux, & de faire des restrictions pour des cas que leurs ancêtres avoient laissés dans une extrème étendue de liberté à la sagesse de ces princes, qui faisoient un bon usage de leur pouvoir indéfini.

Il est impossible que personne dans toute société ait jamais eu le droit de causer du préjudice au peuple, & de le rendre malheureux ; quoiqu’il ait été possible & fort raisonnable que ce peuple n’ait point limité la prérogative de ces rois ou de ces conducteurs, qui ne passoient point les bornes que le bien public leur prescrivoit. (D. J.)