L’Encyclopédie/1re édition/POSTURES

POSTURES du corps, (Orthopédie.) Il y a certaines postures ou attitudes du corps qui sont mauvaises en elles-mêmes, c’est-à dire, contre la nature, & qui ayant été négligées, ont seules causé au corps humain des incommodités, des infirmités, & même des maladies considérables. Il importe donc aux médecins de faire une grande attention à la premiere cause de ces sortes d’accidens pour les prévenir ou y remédier s’il est possible.

M. Winslow rapporte dans les mémoires de l’académie des Sciences, année 1740, qu’une dame de grande taille, bien droite, & qu’il avoit vu telle pendant plusieurs années, étant devenue sédentaire, avoit pris la coutume de s’habiller très-négligemment, & d’être assise toute courbée, tantôt en avant, tantôt de côté & d’autre. Au bout de quelques mois elle commença à avoir de la peine à se tenir droite debout comme auparavant ; ensuite elle sentit une espece d’inégalité au bas de l’épine du dos. M. Winslow lui conseilla pour prévenir l’augmentation de cette incommodité, l’usage d’un petit corset particulier, & d’un dossier proportionné à son siege ordinaire. Mais cette dame négligea son conseil, & l’épine du dos lui devint de plus en plus courbée latéralement en deux sens contraires, à-peu-près comme une S romaine ; de sorte qu’à la fin ayant toujours différé les moyens qui lui avoient été proposés, elle perdit environ le quart de la hauteur de sa taille, & resta non-seulement courbée en deux sens, de droite à gauche, & de gauche à droite, mais encore si pliée, que les premieres fausses côtes d’un côté, approchoient très-près de la crête de l’os des îles du même côté, & que les visceres du bas-ventre étoient par-là irrégulierement poussés vers le côté opposé. Son estomac même en fut tellement comprimé, que ce qu’elle avaloit lui paroissoit tomber distinctement dans deux capacités différentes.

On ne voit que trop de jeunes gens de college & d’étude, qui étant obligés de se tenir courbés pour écrire sur le genouil dans les classes publiques, sont incommodés de la compression que cette posture contrainte & réitérée cause au bas de la poitrine & aux visceres contenus dans l’épigastre ; cette incommodité arrive sur-tout à ceux qui, à cause de la vue basse, sont plus exposés à ces inconvéniens, dont différens maux de la poitrine & du bas ventre sont la suite.

Les meilleurs remedes proposés par ceux qu’on consulte sur ces incommodités, sans leur parler au préalable de la posture génante qui les a précédés, deviennent inutiles aux uns, & augmentent les maux des autres. Ce n’est donc qu’après avoir découvert la cause de cette posture contrainte qu’on y peut porter remede. Il s’agit de discontinuer cette attitude, car par ce seul moyen les malades guérissent, tandis que les remedes donnés aux autres empêchent l’effet de leur guérison.

On a encore vu de jeunes étudians sujets à des maux de tête, d’yeux, de gorge, &c. desquelles incommodités les saignées, & d’autres remedes convenables, ne peuvent empêcher les récidives plus ou moins fréquentes, lorsque les maux dont on vient de parler, naissent de quelque habitude contre nature, dont on a oublié de rechercher la cause ; c’est ce qu’éprouva M. Winslow, à l’égard de jeunes-gens d’un college qui étoient tous plus ou moins dans le même cas. A la fin l’infirmier avertit M. Winslow, d’une habitude assez générale parmi ces jeunes gens, de dormir la nuit la tête renversée derriere le traversin ; cette posture fut bientôt changée, & les jeunes étudians guéris. En général, l’établissement d’une bonne attitude, est le plus grand remede aux infirmités qui sont devenues habituelles par de mauvaises positions du corps.

Combien de fois n’est-il pas arrivé, que l’inadvertance de cette espece dans le traitement de certaines maladies, a occasionné des accidens fâcheux, & même irremédiables, sans qu’on en ait pu comprendre la cause, & même après les marques d’une cure parfaite ? M. Winslow en cite un exemple très remarquable dans le cas d’une femme, auprès de la quelle il fut appellé, pour examiner la guérison de la fracture de sa cuisse. Cette femme boitoit encore, quoiqu’il y eût des preuves ordinaires que cette fracture avoit été parfaitement bien réduite, & que l’os consolidé avoit sa dimension naturelle, comme celui de l’autre côté.

M. Winslow fit coucher la malade à plat ; dans cette posture, après avoir mis aisément les deux genoux, les malléoles, les talons, & les deux gros orteils, dans une situation égale, il parut d’abord que la cuisse qui avoit été fracturée & guérie, étoit dans une parfaite égalité avec l’autre cuisse ; mais voyant qu’un instant après, la jambe du côté malade étoit remontée comme d’elle-même un peu au-dessus du niveau naturel, & qu’elle paroissoit en même tems plus courte que celle de l’autre côté, il examina les deux hanches, & il observa qu’elles étoient alors dans leur position naturelle, à la même hauteur, & qu’en remettant les jambes & les piés dans une certitude égale, la position des hanches devenoit aussi-tôt oblique.

Il résulte de là, que l’os de la cuisse avoit perdu sa longueur naturelle, par la soudure irréguliere de la fracture, & que faute d’attention sur l’attitude des hanches, on étoit trompé par la maniere ordinaire de s’en rapporter à l’égalité seule des genoux, des malléoles, des talons & des orteils ; ce qui arrive d’autant plus facilement, qu’à mesure qu’on tire la jambe du côté de la fracture pour la comparer avec l’autre jambe, le malade, crainte de douleur, fait obéir lui-même sa jambe au manuel de l’opérateur ; mais le fait naturellement, sans réflexion, & par conséquent, sans avertir que pour le faire, il fait aussi en même tems descendre la hanche de côté. (D. J.)