L’Encyclopédie/1re édition/PLASTIQUE

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PLASTIQUE, (Métaphysique.) nature plastique, principe que quelques philosophes prétendent servir à former les corps organisés, & qui est différent de la vie des animaux. On attribue cette opinion à Aristote, Platon, Empédocle, Héraclite, Hippocrate & aux Stoïciens, auxquels on joint les nouveaux Platoniciens, les Péripatéticiens modernes, & même les Paracelsistes qui ont donné dans le corps des animaux le nom d’archée à ce principe. Mais cette hypothese a été sur-tout ramenée & étayée de toutes les preuves dont elle est susceptible, par M. Cudvorth dans son système intellectuel.

Tous ces Philosophes disent que sans ces natures, il faudroit supposer l’une de ces deux choses, ou que dans la formation des corps organisés chaque chose se fait fortuitement sans la direction d’aucune intelligence, ou que Dieu fait lui-même, & pour ainsi dire, de ses propres mains les moindres animaux & leurs petites parties. Or, selon eux, ces deux suppositions sont insoutenables ; car 1°. assurer que tous les effets de la nature se font par une nécessité méchanique, ou par le mouvement fortuit de la matiere, sans aucune direction d’un autre être, c’est assurer une chose également déraisonnable & impie. Non-seulement on ne sauroit concevoir que l’infinie régularité qui est dans tout l’univers résulte constamment du simple mouvement de la matiere, mais il y a encore plusieurs phénomenes particuliers qui passent le pouvoir du mouvement méchanique, comme la respiration des animaux, & il y en a même qui sont contraires à ces lois, comme la distance du pole de l’équateur à celui de l’écliptique. Henri Morus a donné divers exemples de ces deux cas dans son Enchiridion metaphysicum, imprimé à Londres en 1699 avec le reste de ses œuvres en trois vol. in-fol. Outre cela, ceux qui veulent que tout se fasse par les lois de la méchanique, font de Dieu un spectateur oisif de ce qui résultera des mouvemens fortuits ou nécessaires de la matiere. puisqu’il n’agit en aucune maniere au dehors. Ils rendent la même raison des effets de la nature, qu’un sculpteur, par exemple, rendroit de la maniere dont il auroit fait une statue, s’il disoit que son ciseau étant tombé sur tel ou tel endroit, il l’a creusé, que les autres sont demeurés relevés, & qu’ainsi toute la statue s’est trouvée faite, sans qu’il eût dessein de la faire. C’est tomber dans la même absurdité que de dire, pour rendre raison de la formation des corps des animaux, que les parties de la matiere dont ils sont formés, se sont mues, en sorte qu’elles ont fait, par exemple, le cerveau en tel endroit de telle maniere, le cœur là & de cette figure, & ainsi du reste des organes, sans que le dessein de ce mouvement fut de former un homme, tout cela étant seulement le résultat immédiat du mouvement. Dire d’un autre côté, que Dieu est l’auteur immédiat de tout, c’est faire la Providence embarrassée, pleine de soins & de distractions, & par conséquent en rendre la créance plus difficile qu’elle n’est, & donner de l’avantage aux Athées. C’est le jugement de l’auteur du livre de mundo, qui croit qu’il est indigne de Dieu de faire tout lui-même jusqu’aux moindres choses : « puisqu’il seroit, dit-il, au-dessous de la grandeur de Xerxès de faire tout lui-même, d’exécuter ce qu’il souhaite, & d’administrer tout immédiatement, combien plus seroit-ce une chose peu séante pour la divinité ? Il est bien plus conforme à sa grandeur, & plus décent, qu’une vertu qui soit répandue par tout le monde remue le soleil & la lune ». D’ailleurs, disent nos Philosophes, il ne paroît pas conforme à la raison, que la nature considérée comme quelque chose de distinct de la divinité, ne fasse rien du tout, Dieu faisant toutes choses immédiatement & miraculeusement. Enfin la lenteur avec laquelle tout est produit, paroîtroit une vaine pompe ou une formalité inutile, si l’agent étoit tout puissant. On ne comprendroit pas non plus comment il y auroit des désordres dans l’univers, où quantité de productions réussissent mal, parce que la matiere ne se trouve pas bien disposée, ce qui marque que l’agent n’a pas une puissance à laquelle rien ne peut résister, & que la nature aussi-bien que l’art est une chose qui peut quelquefois manquer, & être frustrée dans ces desseins, à cause de la mauvaise disposition de la matiere, comme un agent tout puissant peut faire ce qu’il se propose en un moment, il arrive toujours infailliblement à ses fins sans que rien l’en puisse empêcher.

Ce sont-là les raisons qui font conclure les philosophes que nous avons nommés, qu’il y a sous la divinité des natures plastiques, qui comme autant d’instrumens, exécutent les ordres de sa providence, en ce qui regarde les mouvemens réguliers de la matiere. Ces natures, à ce qu’ils prétendent, ne doivent point être confondues avec les qualités occultes des Péripatéticiens. Ceux qui attribuent un phénomene à quelque qualité occulte, n’en marquent aucune cause, ils témoignent seulement qu’elle leur est cachée ; mais ceux qui disent que l’ordre qu’on voit dans le monde vient d’une nature plastique, en marquent une cause distincte & intelligible ; car ce ne peut être qu’une intelligence qui soit la cause de cette régularité, & c’est ce qu’assurent ceux qui établissent une semblable nature ; au lieu que ceux qui établissent un méchanisme fortuit, pour parler ainsi, & qui ne reconnoissant aucune cause finale, ne veulent pas qu’une intelligence ait part à la formation des choses ; ces gens-là ne rendent aucune raison de l’ordre de l’univers, à moins qu’on ne dise que la confusion est cause de l’ordre, & le hasard de la régularité. Il y a donc une grande différence entre les qualités occultes & les natures plastiques. Mais les défenseurs de ces natures conviennent en même tems qu’il est très-difficile de s’en faire l’idée, & qu’on ne peut les connoître que par une espece de description. Aristote apprend, Physiq. liv. XVI. ch. viij. comment on peut concevoir la nature plastique en général, en disant que si l’art de bâtir des vaisseaux étoit dans le bois, cet art agiroit comme la nature, c’est-à-dire qu’il croîtroit des vaisseaux tout faits, comme il croît des fruits & d’autres choses semblables. Il en est de même de tous les autres arts. Si l’art de bâtir qui est dans l’esprit des architectes, étoit dans les pierres, dans le mortier & dans les autres matériaux, ils se rangeroient par le moyen de ce principe intérieur dans le même ordre auquel nous le mettons, comme les Poëtes ont dit qu’Amphion en jouant de la lyre, attiroit les pierres, en sorte qu’elles formoient d’elles-mêmes les murailles de Thèbes. La nature plastique est donc une espece d’artisan, mais elle a plusieurs avantages sur l’art humain. Au lieu que celui-ci n’agit qu’en dehors & de loin, sans pénétrer la matiere, qu’il se sert de beaucoup d’instrumens, & qu’il travaille à grand bruit pour imprimer avec peine dans la matiere la forme que l’artisan a dans l’esprit, la nature dont on parle, agit intérieurement & immédiatement sans instrument & sans aucun fracas, d’une maniere cachée, & avec beaucoup de facilité. M. Cudvorth dit que cet art est comme incorporé dans la matiere, & nomme sa maniere d’agir vitale, & même magique, pour l’opposer à la méchanique dont les hommes se servent. 2°. Au lieu que nos artisans sont souvent obligés de chercher comment ils feront pour venir à bout de leurs desseins, qu’ils consultent, qu’ils déliberent, & qu’ils corrigent souvent les fautes qu’ils avoient faites, la nature plastique au contraire ne s’arrête jamais, & n’est point en peine de ce qu’elle doit faire ; elle agit toujours sans jamais changer ou corriger ce qu’elle a fait ; elle est une empreinte de la toute puissance divine qui est la loi & la regle de tout ce qu’il y a de meilleur dans chaque chose.

Néanmoins il faut bien se garder de confondre la nature plastique avec la divinité même. C’est quelque chose de tout différent & qui est fort au-dessous. L’art de la divinité, à proprement parler, n’est que la lumiere, l’intelligence & la sagesse qui est en Dieu lui-même, & qui est d’une nature si éloignée de celle des corps, qu’elle ne peut être mêlée dans la nature corporelle. La nature n’est pas cet art archetipe ou original qui est en Dieu, elle n’est qu’une copie, qui quoique vivante & semblable à divers égards à son original, conformément auquel elle agit, n’entend pas néanmoins la raison pour laquelle elle agit. On peut exprimer leur différence par la comparaison de la raison intérieure, ou du discours intérieur, & de la raison proférée, ou discours extérieur, le second quoique image du premier, n’étant qu’un son articulé, destitué de tout sentiment & de toute intelligence.

L’activité vitale des natures plastiques n’est accompagnée d’aucun sentiment clair & exprès. Ce sont des êtres qui ne s’apperçoivent de rien, & qui ne jouissent pas de ce qu’ils possedent. On allegue diverses raisons pour justifier cette partie de l’hypothèse, qui est une des plus difficiles à digérer.

1°. Les Philosophes mêmes qui veulent que l’essence de l’ame consiste dans la pensée, & que la pensée soit toujours accompagnée d’un sentiment intérieur, ne sauroient prouver avec quelque vraissemblance que l’ame de l’homme dans le plus profond sommeil, dans les léthargies, dans les apoplexies, & que les ames même des enfans dans le sein de leurs meres pensent, & sentent ce qu’elles pensent ; & néanmoins si elles ne pensent pas, il faut que, selon eux, elles ne soient pas. Si donc les ames des hommes sont pendant quelque tems sans ce sentiment intérieur, il faut que l’on accorde que ce sentiment-là du moins clair & exprès n’est pas nécessaire à un être vivant.

2°. Il y a une certaine apparence de vie dans les plantes que l’on nomme sensitives, auxquelles néanmoins on ne sauroit attribuer imagination ni sentiment.

3°. Il est certain que l’ame humaine ne sent pas toujours ce qu’elle renferme. Un géometre endormi a en quelque sorte tous ses théoremes & toutes ses connoissances en lui-même : il en est de même d’un musicien accablé d’un profond sommeil, & qui sait alors la musique & quantité d’airs sans le sentir. L’ame ne pourroit-elle donc pas avoir en elle-même quelque activité qu’elle ne sût pas ?

4°. Nous savons par l’expérience que nous faisons quantité d’actions animales sans y faire aucune attention, & que nous exécutons une longue suite de mouvemens corporels, seulement parce nous avons eu intention de les faire sans y penser davantage.

5°. Ce rapport vital par lequel notre ame est liée si étroitement à notre corps, est une chose dont nous n’avons aucun sentiment direct, & que nous ne connoissons que par les effets. Nous ne pouvons pas dire non plus de quelle maniere les différens mouvemens de notre corps produisent divers sentimens dans notre ame, ou comment nos ames agissent sur les esprits animaux dans notre cerveau, pour y produire les changemens dont l’imagination a besoin.

6°. Il y a une sorte de pouvoir plastique dans l’ame, s’il est permis de parler ainsi, par lequel elle forme ses propres pensées, & dont souvent elle n’a point de sentiment ; comme lorsqu’en songeant nous formons des entretiens entre nous & d’autres personnes, assez longs & assez suivis, & dans lesquels nous sommes surpris des réponses que ces autres personnes semblent nous faire, quoique nos ames forment elles-mêmes cette espece de comédie.

7°. Enfin non-seulement les mouvemens de nos paupieres & de nos yeux se font en veillant sans que nous les appercevions, mais nous faisons encore divers mouvemens en dormant sans les sentir. La respiration & tous les mouvemens qui l’accompagnent, dont on ne peut pas rendre des raisons méchaniques qui satisfassent, peuvent passer quelquefois plutôt pour des actions vitales, que pour des actions animales, puisque personne ne peut dire qu’il sent en lui-même cette activité de son ame qui produit ces mouvemens quand il veille, & encore moins quand il dort. De même les efforts que Descartes a faits pour expliquer les mouvemens du cœur, se trouvent refutés par l’expérience, qui decouvre que la systole est une contraction musculaire causée par un principe vital. Comme notre volonté n’a aucun pouvoir sur la systole & la dyastole du cœur, nous ne sentons aussi en nous-mêmes aucune action du nôtre qui les produise ; & nous en concluons qu’il y a une activité vitale qui est sans imagination & sans sentiment intérieur.

Il y a une nature plastique commune à tout l’univers. Il y a des natures particulieres qui sont dans les ames des animaux, & il n’est pas impossible qu’il n’y en ait encore d’autres dans des parties considérables du monde, & que toutes ne dépendent d’une ame universelle, d’une parfaite intelligence qui préside sur le tout. Telle est l’hypothèse des natures plastiques, contre laquelle on a formé diverses objections. Voici les principales.

1°. On lui reproche de n’être autre chose que la doctrine des formes substantielles ramenée sous une autre face. C’est M. Bayle qui forme cette accusation, dans sa continuation des pensées diverses, ch. xxj. On lui a opposé les réponses suivantes. 1°. Les défenseurs des natures plastiques suivent la philosophie corpusculaire ; ils disent que la matiere de tous les corps est une substance étendue, divisible, solide, capable de figure & de mouvement. 2°. Ils n’attribuent aucune autre forme à chaque corps considéré simplement comme tel, qu’une forme accidentelle qui consiste dans la grosseur, la figure, la situation ; & ils tâchent de rendre raison par-là des qualités des corps. 3°. Cette doctrine est très-éloignée de celle des Péripatéticiens, qui établissent je ne sais quelle matiere premiere, destituée de toutes sortes de qualités, & à laquelle une forme substantielle qui lui est unie, donne certaines propriétés. Cette forme est, selon leur définition, une substance simple & incomplette, qui en actuant la matiere (qui n’est autrement qu’une puissance) compose avec elle l’essence d’une substance complette. Une pierre, par exemple, est composée d’une matiere qui n’a point de propriété, mais qui devient pierre étant jointe à une forme substantielle. La nature plastique n’est pas une faculté du corps qui y existe comme dans son sujet, ainsi que la forme substantielle est appartenante à la matiere qui la renferme dans son idée. C’est une substance immatérielle qui est entierement distincte. Elle n’est pas non plus unie avec le corps pour faire un tout avec lui. Elle n’est pas engendrée & ne périt pas avec le corps, comme les formes substantielles.

2°. On prétend qu’elle favorise l’athéïsme. C’est encore M. Bayle qui objecte que la supposition des natures plastiques, que l’on dit agir en ordre sans en avoir d’idée, donne lieu aux Athées de retorquer contre nous l’argument par lequel nous prouvons qu’il y a un Dieu qui a créé le monde en faisant remarquer l’ordre qui y regne. « Cette objection, dit-il, hist. des Sav. Décembre, 1704, n°. 40. est fondée sur ce que quand même par un dato non concesso on accorderoit que la nature, quoique destituée de connoissance & de plusieurs autres perfections, existeroit d’elle-même, on ne laisseroit pas de pouvoir nier qu’elle fût capable de pouvoir organiser les animaux, vû que c’est un ouvrage dont la cause doit avoir beaucoup d’esprit ». On répond qu’à la vérité nul être n’a pu concevoir le dessein de former les animaux tels qu’ils sont, sans avoir beaucoup de lumieres ; mais la cause suprème & souverainement sage, après avoir conçu ce dessein, a pu produire des causes inférieures qui exécutent son projet sans en savoir les raisons ni les fins, & sans avoir d’idée de ce qu’on appelle ordre, qui est une disposition de parties rangées ensemble d’une maniere propre à parvenir à un certain but. Pourquoi Dieu ne pourroit-il pas faire un être immatériel dont il borne la connoissance & le pouvoir d’agir selon son plaisir ? Il est nécessaire que l’inventeur d’une machine ait beaucoup d’esprit, mais il n’est pas nécessaire que ceux à qui il la fait faire en sachent le dessein & les raisons. Il suffit qu’ils exécutent ses ordres suivant l’étendue de leurs facultés. La preuve que l’on donne de l’existence de Dieu par l’ordre que l’on voit dans la nature, n’est pas appuyée sur cette supposition, que tout ce qui contribue à cet ordre le comprend, mais seulement sur ce que cela ne s’est pu faire sans qu’au moins la cause suprème en ait eu une idée, & l’on démontre par-là son existence. Rien, dit-on, ne peut agir en ordre sans en avoir l’idée, ou sans avoir reçu cette faculté d’un être qui a cette idée. Or, si les Athées accordent cela, il faudra nécessairement qu’ils reconnoissent un Dieu, & ils ne pourront point retorquer l’argument. Les défenseurs des natures plastiques y donneroient lieu s’ils disoient que Dieu ne s’est point formé d’idée de l’univers avant qu’il fût fait, mais qu’une certaine nature l’a produit sans savoir ce qu’elle faisoit. L’ordre du monde, qui seroit alors un effet du hasard, ne prouveroit point dans cette hypothèse qu’il y a un Dieu ; mais il n’en est pas de même lorsqu’on suppose que Dieu, après avoir conçu l’ordre du monde, a produit des êtres immortels pour l’exécuter sous sa direction.

3°. On regarde enfin comme absurde la supposition de ces natures formatrices, qui ne savent ce qu’elles font, & qui font néanmoins les organes des plantes & des animaux. Cette troisieme difficulté se réduit à cette proposition : « S’il peut y avoir une nature immatérielle & agissante par elle-même, qui forme en petit par la faculté qu’elle en a reçue de Dieu, des machines telles que sont les corps des plantes & des animaux, sans néanmoins en avoir d’idées ». Les Plasticiens disent qu’oui, en supposant toujours que celui qui a fait cette nature, a en lui-même des idées très-distinctes de ce qu’elle fait. « Mais, continue l’antagoniste, cette nature est donc un pur instrument passif entre les mains de Dieu, ce qui revient à la même chose que de faire Dieu auteur de tout ». On répond que non, parce que suivant l’hypothese, c’est une nature agissante par elle-même. Ici se présente l’exemple des bêtes, que les hommes emploient pour faire diverses choses qu’elles ne savent pas qu’elles font, comme des instrumens actifs pour exécuter des choses que les hommes ne pourroient pas faire immédiatement, ou par leurs propres forces. Car tout ce que font les hommes dans ces occasions, c’est d’appliquer les bêtes d’une certaine maniere à la matiere par des cordes, ou autrement, en sorte qu’elles agissent nécessairement d’une certaine façon, & de les obliger de marcher en les piquant ou en les frappant. Ce n’est pourtant pas que M. Cudvorth ait prétendu que les natures formatrices soient tout-à-fait semblables à l’ame des bêtes, puisqu’il ôte tout sentiment à ces natures, au-lieu que les bêtes sentent. On ne se sert donc de cet exemple que pour faire voir qu’il y a des instrumens actifs, & qui agissent en ordre sans en avoir d’idée, lorsqu’ils sont appliqués aux choses sur lesquelles ils agissent par une intelligence qui sent quel est cet ordre. Il se peut faire, dit-on, que Dieu ait créé, outre les intelligences qui sont au-dessus de la nature humaine, outre les ames des hommes qui sentent & qui raisonnent, outre les ames des bêtes qui sentent, & qui font peut-être quelques raisonnemens grossiers, il se peut que Dieu ait créé des natures immatérielles qui ne sentent ni ne raisonnent ; mais qui ont la force d’agir en un certain ordre, non comme une matiere qui n’agit qu’autant qu’elle est poussée, mais par une activité intérieure, quoique nécessaire : il n’y a rien-là de contradictoire, ni d’absurde. On ajoute que cette nature aveugle peut être bornée, en sorte qu’elle agit toujours d’une certaine façon sans pouvoir s’en éloigner.

M. Bayle demandoit à ce sujet, si Dieu pourroit faire une nature aveugle qui écrivît tout un poëme sans le savoir ; & il prétendoit que la machine du corps d’un animal est encore plus difficile à faire sans intelligence. On répondoit, 1°. Que si l’on avoit vu comment les principes des animaux se forment, on pourroit dire si cette formation est plus difficile que la composition d’un poëme, ou que l’action de l’écrire sans le savoir ; mais que comme on ne l’a point vu, personne n’en sait rien. 2°. Que Dieu peut tout ce qui n’est pas contradictoire, & qu’il pourroit faire une nature qui agiroit sur de la matiere dans un certain ordre nécessaire que Dieu auroit conçu, sans que cette nature sût ce qu’elle feroit, en autant de manieres, & pendant autant de tems que Dieu le voudroit : cette nature donc ne pourroit pas écrire d’elle-même un poëme dont elle n’auroit aucune idée, sans que Dieu en eût réglé les actions d’une certaine maniere, dont elle ne sût s’écarter ; mais elle le pourroit dans cette supposition. Dieu ne seroit pas pour cela l’auteur immédiat de chacune de ses actions, parce qu’elle agiroit d’elle-même ; ainsi Dieu a fait nos ames en sorte qu’elles souhaitant nécessairement d’être heureuses, sans qu’elles puissent s’en empêcher, mais ce n’est pas Dieu qui produit chaque souhait en nous.

Ces raisons n’empêchent pas cependant que la supposition de ces natures formatrices ne soit sort inutile. C’est une vraie multiplication d’êtres faite sans nécessité. Les réponses précédentes peuvent peut-être mettre cette opinion à l’abri du reproche d’absurdité & de contradiction, mais je ne crois pas qu’on puisse y faire sentir de grandes utilités. Je sais bien qu’on a voulu s’en servir pour expliquer le premier principe de la fécondité des plantes & des animaux, & pour rendre raison de leur multiplication prodigieuse. Ce sont, dit-on, les natures plastiques qui travaillent immédiatement & sans cesse les semences des plantes & des animaux, à mesure que la propagation se fait. Comme elles travaillent sans savoir le succès de leur travail, elles font infiniment plus d’embryons qu’il n’en faut pour la propagation des especes, & il s’en perd sans comparaison plus qu’il n’y en a qui réussissent. Il semble que si ces ouvrages sortoient immédiatement de la main de Dieu qui sait ce qui doit arriver, le nombre en seroit plus réglé & la conservation plus constante ; mais il me semble d’un autre côté que l’on met Dieu encore plus en dépense, si je puis m’exprimer ainsi, dans la création de ce nombre infini de natures ouvrieres, que dans la perte d’une partie des semences dont on vient de parler. Quoi qu’il en soit, ceux qui voudront achever d’approfondir cette matiere, peuvent recourir au Systeme intellectuel de M. Cudvorth, & à la Bibliotheque choisie de M. le Clerc, tome II. art. 2. tome V. art. 4. tome VI. art. 7. tome VII. art. 7. & tome X. article dernier.

Plastique, Plastice, (Sculpture.) art plastique, c’est une partie de la Sculpture qui consiste à modeler toutes sortes de figures en plâtre, en terre, en stuc, &c. Les artistes qui s’exercent à ces sortes d’ouvrages s’appellent en latin plastes. La Plastique differe de la Sculpture, en ce que dans la premiere les figures se font en ajoutant de la matiere, au lieu que dans l’autre on les fait pour ainsi du bloc en ôtant ce qui est superflu.