L’Encyclopédie/1re édition/PLAGIAIRE

PLAGIARIUS  ►

PLAGIAIRE, s. m. écrivain qui pille les autres auteurs, & donne leurs productions comme étant son propre ouvrage.

Chez les Romains on appelloit plagiaire une personne qui achetoit, vendoit ou retenoit comme esclave une autre personne libre, parce que par la loi Flavia, quiconque étoit convaincu de ce crime, étoit condamné au fouet, ad plagas. Voyez Esclave. Thomasius a fait un livre de plagio litterario, où il traite de l’étendue du droit que les auteurs ont sur les écrits des uns des autres, & des regles qu’on doit observer à cet égard. Les Lexicographes, au moins ceux qui traitent des arts & des sciences, paroissent devoir être exemts des lois communes du mien & du tien. Ils ne prétendent ni bâtir sur leur propre fonds, ni en tirer les matériaux nécessaires à la construction de leur ouvrage. En effet le caractere d’un bon dictionnaire tel que nous souhaiterions de rendre celui-ci, consiste en grande partie à faire usage des meilleurs découvertes d’autrui : ce que nous empruntons des autres nous l’empruntons ouvertement, au grand jour, & citant les sources où nous avons puisé. La qualité de compilateurs nous donne un droit ou un titre à profiter de tout ce qui peut concourir à la perfection de notre dessein, quelque part qu’il se rencontre. Si nous dérobons, c’est seulement à l’imitation des abeilles qui ne butinent que pour le bien public, & l’on ne peut pas dire exactement que nous pillons les auteurs, mais que nous en tirons des contributions pour l’avantage des lettres. Que si l’on demande de quel droit ; sans nous arrêter à la pratique de nos prédécesseurs dans tous les tems & parmi toutes les nations, nous répondrons que la nature de notre ouvrage autorise notre conduite, & la rend même indispensable. Seroit-il possible d’en remplir le plan sans cette liberté que le lecteur judicieux ne nous refusera pas, & que nous accordons à ceux qui écriront après nous ?

Hanc veniam petimusque damusque vicissim. Horat.

Qu’est-ce donc proprement qu’un plagiaire ? C’est un homme, qui voulant à quelque prix que ce soit s’ériger en auteur, & n’ayant pour cela ni le génie, ni les talens nécessaires, copie non-seulement des phrases, mais encore des pages & des morceaux entiers d’autres auteurs, & a la mauvaise foi de ne les pas citer ; ou qui, à l’aide de quelques légers changemens dans l’expression ou de quelques additions, donne les productions des autres pour choses qu’il a imaginées & inventées, ou qui s’attribue l’honneur d’une découverte faite par un autre. Rien n’est plus commun dans la république des lettres ; les vrais savans n’y sont pas trompés ; ces vols déguisés n’échappent guere à leurs yeux clairvoyans. Cependant les mépris que méritent les plagiaires ne diminue pas beaucoup le nombre.

M. Bayle à l’article de Boccalin, pense qu’on ne doit point appeller plagiaire un auteur qui prête son nom à un autre, qui pour certaines raisons ne veut pas être connu pour auteur de tel ou tel ouvrage, parce que, dit-il, le premier ne dérobe pas la travail d’autrui, & que le second peut se dépouiller de son droit & le transporter à qui bon lui semble. Dictionn. critiq. tom. 2, lett. B, au mot Boccalin. Il ajoute ailleurs que le défaut ordinaire des plagiaires n’est pas de choisir toujours ce qu’il y a de meilleur dans les écrivains qu’ils pillent. Tout leur est bon. « Ils enlevent, dit-il, les meubles de la maison & les balayures aussi ; ils prennent le grain, la paille, la balle, la poussiere en même tems » ; rem auferunt cum pulviculo. Plaut. in prolog. truculenti.