L’Encyclopédie/1re édition/PLÉBISCITE

PLÉBISCITE, (Jurisprudence.) étoit ce que le peuple romain ordonnoit séparement des sénateurs & des patrices sur la réquisition d’un de ses magistrats, c’est-à-dire, d’un tribun du peuple.

Il y avoit au commencement plusieurs différences entre les plébiscites & les loix proprement dites.

1°. Les lois, leges, étoient les constitutions faites par les rois & par les empereurs, ou par le corps de la république, au lieu que les plébiscites étoient l’ouvrage du peuple seul, c’est-à-dire, des plébéiens.

2°. Les lois faites par tout le peuple du tems de la république étoient provoquées par un magistrat patricien. Les plébiscites se faisoient sur la réquisition d’un magistrat plébéien, c’est-à-dire, d’un tribun du peuple.

3°. Pour faire recevoir une loi, il falloit que tous les différens ordres du peuple fussent assemblés, au lieu que le plébiscite émanoit du seul tribunal des plébéiens ; car les tribuns du peuple ne pouvoient pas convoquer les patriciens, ni traiter avec le sénat.

4°. Les loix se publioient dans le champ de Mars ; les plébiscites se faisoient quelquefois dans le cirque de Flaminius, quelquefois au capitole, & plus souvent dans les comices.

5°. Pour faire recevoir une loi, il falloit assembler les comices par centuries ; pour les plébiscites on assembloit seulement les tribuns, & l’on n’avoit pas besoin d’un sénatus-consulte ni d’aruspices : il y a cependant quelques exemples de plébiscites pour lesquels les tribuns examinoient le vol des oiseaux, & observoient les mouvemens du ciel avant de présenter le plébiscite aux tribus.

6°. C’étoient les tribuns qui s’opposoient ordinairement à l’acceptation des lois, & c’étoient les patriciens qui s’opposoient aux plébiscites.

Enfin, la maniere de recueillir les suffrages étoit fort différente ; pour faire recevoir un plébiscite, on recueilloit simplement les voix des tribus, au lieu que pour une loi il y avoit beaucoup plus de cérémonie.

Ce qui est de singulier, c’est que les plébiscites, quoique faits par les plébéiens seuls, ne laissoient pas d’obliger aussi les patriciens.

Le pouvoir que le peuple avoit de faire des loix ou plébiscites lui avoit été accordé par Romulus, lequel ordonna que quand le peuple seroit assemblé dans la grande place, ce que l’on appelloit l’assemblée des comices, il pourroit faire des lois ; Romulus vouloit par ce moyen rendre le peuple plus soumis aux lois qu’il avoit faites lui-même, & lui ôter l’occasion de murmurer contre la rigueur de la loi.

Sous les rois de Rome, & dans les premiers tems de la république, les plébiscites n’avoient force de loi qu’après avoir été ratifiés par le corps des sénateurs assemblés.

Mais sous le consulat de L. Valerius, & de M. Horatius, ce dernier fit publier une loi qui fut appellée de son nom horatia ; par laquelle il fut arrêté que tout ce que le peuple séparé du sénat ordonneroit, auroit la même force que si les patriciens & le sénat l’eussent décidé dans une assemblée générale.

Depuis cette loi, qui fut renouvellée dans la suite par plusieurs autres, il y eut plus de lois faites dans des assemblées particulieres du peuple, que dans les assemblées générales où les sénateurs se trouvoient.

Les plébéiens enflés de la prérogative que leur avoit accordé la loi horatia, affecterent de faire un grand nombre de plébiscites pour anéantir (s’il étoit possible) l’autorité du sénat ; ils allerent même jusqu’à donner le nom de lois à leurs plébiscites.

Le pouvoir législatif que le sénat & le peuple exerçoient ainsi par émulation, fut transferé à l’empereur du tems d’Auguste par la loi regia, au moyen de quoi il ne se fit plus de plébiscites.

On peut voir sur cette matiere le tit. 2. du liv. I. du digeste leg. 2. §. 28. & aux instituts le §. 4. du tit. 2. liv. I. & la jurisprudence romaine de M. Terrasson. (A)