L’Encyclopédie/1re édition/PINULES

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PINULES, s. f. pl. (Géom.) On appelle ainsi deux petites pieces de cuivre, assez minces & à-peu-près quarrées, élevées perpendiculairement aux deux extrémités de l’alilade d’un demi-cercle, d’un graphometre, d’une équerre d’arpenteur, ou de tout autre instrument semblable, dont chacune est percée, dans le milieu, d’une fente qui regne de haut en bas. Quand on prend des distances ; que l’on mesure des angles sur le terrein, ou que l’on fait toute autre observation ; c’est par ces fentes, qui sont dans un même plan avec la ligne qu’on appelle ligne de foi, & qui est tracée sur l’alilade (voyez Alidade), que passent les rayons visuels qui viennent des objets à l’œil. On voit donc que les pinules servent à mettre l’alidade dans la direction de l’objet qu’on se propose d’observer, & que les fentes servent à en faire discerner quelques parties d’une maniere bien déterminée ; c’est pourquoi ces fentes ayant un peu de largeur, pour laisser voir plus facilement les objets, portent un cheveu qui en occupe le milieu depuis le haut jusqu’en bas : ce cheveu couvrant une petite partie de l’objet, la détermine plus précisement ; & quand on veut avoir encore quelque chose de plus exact, on tend un autre cheveu dans une seconde fente qui coupe horisontalement la premiere, alors l’intersection des deux cheveux détermine sur l’objet le point que cette intersection couvre.

Remarquez qu’au lieu d’un cheveu, d’un fil de soie très-délié, &c. que nous supposons ici, les faiseurs d’instrumens de Mathématiques laissent entre les fentes un filet de la même matiere que les pinules, quand il s’agit d’instrumens où il n’est pas besoin d’une exactitude bien rigoureuse, tel que le bâton ou l’équerre d’arpenteur, &c.

On met quelquefois des verres aux fentes de ces pinules, & en ce cas elles font l’office de télescopes.

MM. Flamsteed & Hook condamnent absolument l’usage des pinules sans verre dans les observations astronomiques. Selon Flamsteed, les erreurs dans lesquelles Tychobrahé est tombé, par rapport aux latitudes des étoiles, ne doivent être attribuées qu’aux pinules de cette espece. Voyez Télescope.

Ce que nous venons de dire de la pinule suffit pour en avoir un juste idée ; mais il ne sera pas inutile d’ajouter quelques particularités sur l’invention, l’usage & l’abandon de cette petite fente de laiton, ou ce petit rectangle que nous avons décrit plus haut, & qui, au lieu de porter le nom de pinule, s’appelloit autrefois visiere. Une alidade est, comme nous l’avons dit, ordinairement garnie de deux pinules à ses extrémités, de sorte qu’en regardant un objet à-travers de ces deux pinules, on la met parfaitement dans la direction du rayon visuel.

Autrefois tous les instrumens de Mathematiques & d’Astronomie, qui servent à prendre des angles ou des hauteurs, étoient garnis de pinules. Mais 50 ans ou environ après la découverte du télescope, quelques savans ayant pensé à le substituer aux pinules, la chose réussit si-bien que depuis ce tems-là on n’en a fait aucun usage, & qu’on leur a substitué par-tout le télescope : si ce n’est dans le graphometre, & dans quelques autres instrumens de cette espece.

C’est aux environs de l’année 1660 qu’on commença à faire ce changement aux instrumens. Il y eut à ce sujet de grandes contestations entre le docteur Hook & le fameux Hévelius. Le premier sachant toutes les peines que se donnoit Hévelius, & les grandes dépenses qu’il faisoit pour avoir des instrumens plus parfaits que ceux de ses prédécesseurs en Astronomie, & particulierement Tycho-Brahé, l’engagea fortement à faire usage de cette découverte, & à employer le télescope au lieu des pinules. Les principales raisons sur lesquelles il se fondoit, étoient 1°. que l’œil ne pouvant distinguer un objet dont les rayons visuels forment un angle au-dessous d’une demi-minute, il étoit impossible avec des pinules de faire aucune observation qu’on pût assurer exempte au-moins de cette erreur ; 2°. que par le secours du télescope, l’œil étant capable de distinguer jusqu’aux plus petites parties d’un objet, & même jusqu’aux secondes, les observations faites avec cet instrument seroient de beaucoup plus exactes que celles que l’on pourroit faire avec les pinules ; & enfin que toutes les parties d’un instrument, devant également concourir à la justesse des observations, il étoit inutile de prendre une peine infinie pour diminuer ou corriger les erreurs de telle ou telle partie, comme par exemple de la division du limbe, tandis que d’autres parties donneroient lieu à des erreurs beaucoup plus considérables. Il est bon même de faire attention que cette remarque du docteur Hook est très-judicieuse, & qu’il faut bien prendre garde dans la construction d’un instrument, que toutes ses parties concourent également à sa perfection. Nonobstant la force de ces raisons, Hévelius persista toujours dans l’usage des pinules, prétendant que les verres des télescopes étoient sujets à se casser de même que les fils placés à leur foyer, & qu’enfin on étoit obligé de vérifier l’instrument ; vérification qui devoit nécessairement, selon lui, emporter un tems considérable.

Flamsteed étoit aussi du sentiment du docteur Hook ; car il attribuoit entierement à l’usage des pinules les erreurs de Tycho-Brahé sur la grandeur des planetes, & il pensoit que la même cause feroit tomber Hévelius dans une erreur pareille.

Tel étoit le sentiment des plus habiles astronomes de ce tems-là ; car ils abandonnerent les pinules pour faire usage du télescope. M. Picard fut un des premiers qui l’employa avec succès, ayant adapté un télescope, en place de pinules, au quart de cercle, dont il se servit pour sa fameuse mesure de la terre : depuis ce tems-là, on a absolument abandonné l’usage des pinules, comme nous l’avons dit plus haut. (T)