L’Encyclopédie/1re édition/PHARSALE

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PHARSALE, Pharsalus, (Géog. anc.) 1o . ville de Thessalie, que certaines cartes attribuent mal-à-propos à l’Estréotide, puisque Strabon, l. IX. la range parmi les villes de la Phthiotide. Elle étoit à six lieues de Larissa, & à l’extrémité d’une plaine très fertile qui a plus de quatre lieues d’étendue. Imaginez-vous, dit la Guilletiere, si je pus traverser cette plaine sans me rappeller que j’étois sur les lieux où César & Pompée terminerent le plus grand différend qui ait jamais troublé l’univers, & que la bataille qu’ils y donnerent renversa la plus puissante de toutes les républiques, & fonda la plus formidable de toutes les monarchies ? Nommez-moi tant de batailles qu’il vous plaira, celle-ci est sans contredit la plus fameuse ; elle se donna 48 ans avant la naissance de Jesus-Christ. C’est cette journée mémorable où, selon Corneille,

Quand les Dieux étonnés sembloient se partager,
Pharsale décida ce qu’ils n’osoient juger.

Pompée ayant perdu la bataille, se retira vers Larissa, comme la ville la plus voisine, où il n’entra pas néanmoins. Le fleuve Enipus arrosoit Pharsale ; & ce fleuve qui se jettoit dans l’Apidenus, étoit différent de l’Enipus de Macédoine. Appien, l. II. civit. p. 778, rapporte que l’armée de Pompée étoit campée entre la ville de Pharsale & le fleuve Enipée, ce qui semble contredire ce que Strabon, l. IX. avance, que l’Enipée baignoit la ville de Pharsale ; mais comme il y avoit deux villes de ce nom, la nouvelle & la vieille, il est apparent que l’une étoit bâtie sur le bord du fleuve, & que l’autre en étoit peu éloignée.

La bataille entre César & Pompée se donna auprès de la ville de Pharsale, appellée Palæpharsalus par Tite-Live, l. XLIV. c. ij. & c’étoit celle-là, sans doute, qui se trouvoit à quelque distance du fleuve.

2o . Pharsalus étoit nussi un lieu de l’Epire où Cesar arriva avec sa flotte, & où il débarqua ses soldats. Quelques manuscrits, au lieu de Pharsalus, portent Pharsalia : d’autres disent Palestina ; & c’est de cette derniere façon qu’écrit Lucain, l. V. v. 460, en parlant de la sorte de César,

Lapsa Palestinas uncis confixe : arenas.

3o . Il y avoit encore une ville de Pamphylie qui portoit le nom de Pharsalus. (D. J.)

Pharsale, bataille de, (Hist. rom.) nom de cette fameuse bataille qui termina la guerre civile des Romains, & qui se donna l’an 705 de Rome, entre César & Pompée, auprès de Pharsale, ville de Thessalie, voisine de Larisse. Il faut lire, sur cette bataille, Lucain, Denis d’Halicarnasse, l. XLI. Appian l. II. Plutarque, dans la vie de Cesar, Florus, Eutropius, Velleius Paterculus, Ciceron, César, de bello civili, li. I. & II, &c. C’est assez pour moi de faire deux ou trois remarques.

On sait que l’empire ne coûta, pour ainsi dire, à César qu’une heure de tems, & que la bataille de Pharsale en décida. La perte de Pompée, qui périt depuis en Egypte, entraîna celle de son parti ; mais on ne peut assez s’imaginer quels étoient alors le luxe & la mollesse des Romains. Le pauvre officier languissoit dans les honneurs obscurs d’une légion, pendant que les grands tâchoient de couvrir leur lâcheté & d’éblouir le public par la magnificence de leur train, & par l’éclat de leur dépense. Lucain disoit :

Sævior armis
Luxuria incubuit, victumque ulciscitur orbem.

Les jeunes gens ne connoissoient que des chanteuses & des baladines, dont ils faisoient l’objet de leurs ridicules affections ; ils se frisoient comme elles ; ils affectoient même d’imiter le son de leur voix & leur démarche lassive ; ils ne surpassoient ces femmes perdues que par leur mollesse & leur lâcheté. Aussi Jules-César, qui connoissoit la fausse délicatesse de cette jeunesse efféminée qui suivoit le parti de Pompée, ordonna à ses soldats, dans la bataille de Pharsale, au lieu de lancer de loin leurs javelots, de les porter droit au visage : Miles faciem feri. C’est une anecdote que raconte Florus, l. IV. c. ij. & il arriva que ces jeunes gens, idolâtres de leur beauté, prirent la fuite, de peur de s’exposer à être défigurés par des blessures & des cicatrices.

Le luxe & la mollesse régnoient dans leur camp comme à Rome : on voyoit une foule de valets & d’esclaves avec tout l’attirail de la volupté, suivre l’armée comme une autre armée. Pompée étoit ainsi campé délicieusement entre la ville de Pharsale & le fleuve Enipée, dont il tiroit toutes ses provisions. César après avoir forcé son camp, y trouva les tables dressées comme pour des festins. Les buffets, dit-il, de bello civili, lib. V. plioient sous le poids des vases d’or & d’argent. Les tentes étoient ornées de gason verd ; & quelques-unes, comme celles de Lentulus, pour conserver le frais, étoient ombragées de rameaux & de lierre. En un mot, il vit du côté qu’il força, le luxe & la débauche ; & dans l’endroit où l’on se battoit encore, le meurtre & le carnage. Alibi prælia & vulnera, alibi popinæ, simul cruor & strues corporum juxta scorta & scortis simile.

On a remarqué que César régla à cette bataille la disposition de son armée sur le modele de la disposition que Cyrus avoit faite à la bataille de Thimbrée ; & c’est à cette disposition qu’il dut sa victoire complette.

Presque tous nos auteurs ne font que louer la modération & la clémence que César fit paroître après sa victoire. Quoiqu’il fut élevé par Marius son oncle, nous disent-ils, il sacrifia ses ressentimens à l’établissement de sa domination, & pardonna à tous les partisans de Pompée. Mais Dion n’en parle point sur ce ton-là. Voici ses propres paroles, l. XLIX : Equites & senatores qui Pompeio favissent supplicio dæfecti, paucis exceptis. Legionarios milites ingenuos Cæsar in suas legiones adscripsit ; servos dominis reddidit, ut pœnas darent ; qui non inveniebant dominos suos, in crucem acti. « Tous les sénateurs & les chevaliers qui lui avoient été attachés, furent punis de mort, à l’exception d’un très-petit nombre. Ses légions furent incorporées dans celles d’Octavien : on donna les esclaves à leurs maîtres pour les punir ; & ceux qui ne trouvoient point de maîtres moururent en croix ».

Ainsi la liberté de Rome, si précieuse aux premiers Romains, & qui avoit été si long-tems sous la garde de la pauvreté, de la tempérance, & de l’amour de la patrie, fut ensevelie par César dans les champs de Pharsale. Tout plia depuis sous sa puissance ; & deux ans après le passage du Rubicon, on le vit entrer dans Rome triomphant, & bientôt justement assassiné au milieu d’une république dont il étoit devenu le tyran. (D. J.)