L’Encyclopédie/1re édition/PHANTOME

PHARAON  ►

PHANTOME, s. m. (Théolog. payenne.) spectre effrayant. La même source d’où sont venus les oracles, a donné naissance aux phantômes. On se forgea des dieux qui n’inspiroient que la terreur & la crainte des maux qu’on les croyoit capables de faire : ayant plus de part à la religion des peuples, que la confiance & l’amour de la justice, les esprits s’occuperent des idées de leurs divinités redoutables, sous des figures monstrueuses, qui ne pouvoient manquer d’altérer l’imagination des enfans. Ces vains phantômes les tenoient dans une frayeur terrible, qui duroit quelquefois autant que leur vie.

Mais les poëtes ôterent aux phantômes leur appareil ridicule, pour ne les considérer que comme des illusions que les dieux employoient quelquefois à tromper les hommes ; c’est ainsi que dans Virgile, Junon voulant sauver Turnus, & le tirer de la mêlée où il exposoit témérairement sa valeur, forma d’une épaisse nuée, le phantôme d’Enée, auquel elle donna les armes, la démarche & le son de voix du prince troyen. Elle présente ce phantôme devant Turnus, qui ne manqua pas d’abord de l’attaquer ; le faux Enée se sauve, & Turnus le poursuit jusques dans un vaisseau qui se trouvoit au port : alors la déesse pousse le vaisseau en pleine mer, & fait disparoître le rival imaginaire du prince Rutule.

Quo fugis Ænea, thalamos ne desere pactos ?
Talia vociferans, sequitur, strictumque coruscat
Mucronem, nec ferre videt sua gaudia ventos.

Æneïd. lib. 10. v. 649.

« Où fuis-tu Enée, s’écrie-t-il, n’abandonne pas l’épouse qui t’est promise » ? En parlant ainsi, il poursuit un phantôme, l’épée à la main, & ne voit pas que les vents emportent sa fausse joie. (D. J.)