L’Encyclopédie/1re édition/PETERSBOURG

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PETERSBOURG, (Géog. mod.) la plus nouvelle & la plus belle ville de l’empire de Russie, bâtie par le czar Pierre, en 1703, à l’orient du golfe de Finlande, & à la jonction de la Néva & du lac de Ladoga.

Pétersbourg, capitale de l’Ingrie, s’éleve sur le golfe de Constadt, au milieu de neuf bras de rivieres qui divisent ses quartiers ; un château occupe le centre de la ville dans une île formée par le grand cours de la Neva ; sept canaux tirés des rivieres, baignent les murs du palais, ceux de l’amirauté, du chantier, des galeres, & de quelques manufactures. On compte aujourd’hui dans cette ville trois cens mille ames, trente-cinq églises ; & parmi ces églises il y en a cinq pour les étrangers, soit catholiques-romains, soit reformés, soit luthériens : ce sont cinq temples eleves à la Tolérance, & autant d’exemples donné, aux autres nations.

Les deux principaux palais sont l’ancien palais d’été, situé sur la riviere de Néva, & le nouveau palais d’été près de la porte triomphale ; les bâtimens élevés pour l’amirauté, pour le corps des cadets, pour les colléges impériaux, pour l’académie des sciences, la bourse, le magasin des marchandises, celui des galeres, sont autant de monumens utiles. La maison de la police, celle de la pharmacie publique, où tous les vases sont de porcelaine ; le magasin pour la cour, la fonderie, l’arsenal, les ponts, les plans, les casernes, pour la garde à cheval, & pour les gardes à pié, contribuent à l’embellissement de la ville, autant qu’à sa sureté.

Mais une chose étonnante, c’est qu’elle ait été élevée dans l’espace de six mois, & dans le fort de la guerre. La difficulté du terrein qu’il fallut raffermir, l’éloignement des secours, les obstacles imprévus qui renaissoient à chaque pas en tout genre de travail, enfin les maladies épidémiques qui enlevoient un nombre prodigieux de manœuvres, rien ne découragea le fondateur. Ce n’étoit à la vérité qu’un assemblable de cabanes avec deux maisons de briques, entourées de remparts ; la constance & le tems ont fait le reste.

Il n’est pas moins surprenant que ce soit dans un terrein désert & marécageux, qui communique à la terre ferme par un seul chemin, que le czar Pierre ait élevé Pétersbourg ; assurément il ne pouvoit choisir une plus mauvaise position.

Quoique cette ville paroisse d’abord une des belles villes de l’Europe, on est bien désabusé quand on la voit de prés. Outre le terrein bas & marécageux, une forêt immense l’environne de toutes parts ; & dans cette forêt, tout y est mort & inanimé. Les matériaux des édifices sont très-peu solides, & l’architecture en est bâtarde. Les palais des boyards ou grands seigneurs, sont de mauvais goût, mal construits & mal entretenus. Quelqu’un a dit que partout ailleurs, les ruines se font d’elles-mêmes, mais qu’on les fait à Pétersbourg. Les habitans voyent relever leurs maisons plus d’une fois en leur vie, parce que les fondemens ne sont point durables faute de pilotis.

Ajoutez que cette ville & le port de Cronstadt, sont en géneral des places peu convenables pour la flotte, qui eût été beaucoup mieux à Revel. L’eau douce de la Neva fait pourrir les vaisseaux en peu d’années. La glace qui ne leur permet de sortir que fort tard dans la saison, les oblige de rentrer bientôt, & les expose à beaucoup de dangers. Lors même que la glace est fondue, les vaisseaux ne peuvent sortir que par un vent d’est ; & dans ces mers, il ne regne presque que des vents d’ouest pendant tout l’été.

Enfin, les bâtimens ne peuvent être conduits des chantiers de Pétersbourg à Cronstadt qu’après bien des périls, & avec des frais très-couteux ; mais le Czar se plaisoit à vaincre les difficultés, & à forcer la nature. Il vouloit avoir des gros vaisseaux, quoique les mers pour lesquelles ils étoient destinés n’y fussent pas propres : il vouloit avoir ces vaisseaux près de la capitale qu’il élevoit. On pouvoit appliquer à sa flotte & à sa ville, ce qui a été dit de Versailles : votre flotte & votre ville ne seront jamais que des favoris sans mérite.

Le bois de construction qu’on emploie pour les vaisseaux de Pétersbourg, vient du royaume de Casan par les rivieres, les lacs & les canaux, qui forment la communication de la Baltique avec la mer Caspienne : ce bois demeure deux étés en chemin, & ne se bonifie pas dans le trajet.

Tout mal situé qu’est Pétersbourg, il a bien fallu que cette ville devînt le siege du commerce de la Russie, dès qu’une fois le souverain en a fait la capitale de son empire. Les marchandises de cet empire consistent en pelleteries, chanvres, cendres, poix, lin, bois, savon, fer & rhubarbe. On y voit arriver annuellement 80 à 90 vaisseaux anglois, & la balance du commerce des deux nations est en faveur de la Russie, d’environ cinquante mille livres sterling. Les vaisseaux hollandois ne passent pas pour l’ordinaire par les ports de Narva ou de Riga. La balance est à-peu-près égale entre les deux peuples. Le commerce avec la Suede est presque entierement à l’avantage des Russes, aussi-bien que celui qu’ils font avec les Polonois.

Mais Pétersbourg fait des emplettes très-considerables des marchandises françoises, qui servent à nourrir le luxe de cette cour, & l’on peut compter que les Russes, pauvres en argent, y dépensent plus que le profit qu’ils font sur l’Angleterre. Il faudroit en Russie des loix somptuaires, bien observées, qui missent des bornes à ce genre de frénesie, d’autant plus ridicule, que dans un pays si froid, il n’y a que le luxe en pelleteries de l’empire qui y convienne.

Pour comprendre l’âpreté des hivers qui regnent dans cette ville, il suffit de dire que le froid du 27 Janvier 1733, observé par M. de Lisle à Pétersbourg, fit descendre le mercure de son thermometre, au degré qui répond au 27, au-dessous de la congélation dans celui de M. de Réaumur. En 1748 le froid fut encore plus grand ; le mercure descendit au degré qui répond au 30 de celui de M. de Réaumur. Si l’on considere que le froid de 1709 n’a fait descendre le thermometre de M. de Réaumur qu’à 15 degrés & demi, on jugera sans peine de la rigueur des froids de Pétersbourg.

Cette ville a deux autres grands inconvéniens, les inondations qui y causent de tems-en-tems de grands ravages, & les incendies fréquens, qui ne sont pas moins redoutables, parce que la plus grande partie des maisons sont bâties en bois. L’incendie de 1737 consuma un tiers de Pétersbourg.

Pétersbourg est à environ 220 lieues nord-ouest de Moscow, 310 nord-est de Vienne, 210 nord-est de Coppenhague, 130 nord-est de Stockolm. Longit. suivant Cassini, 47. 51. 30. lat. 60. Longit. suivant de Lisle, 48. 1. lat. 59. 57.

Le czar Pierre I. y est mort en 1725, âgé de 53 ans. Quelques écrivains célebres ont fait à l’envi son éloge, en nous le peignant comme un des plus grands princes qui ait paru dans le monde. Je me contenterai d’observer, que s’il avoit de grandes qualités du côté de l’esprit, il avoit aussi de grands défauts du côté du cœur. Quoiqu’il ait fait des choses surprenantes dans ses états, & qu’il ait parcouru le monde pour apprendre mieux à regner, il n’a jamais pu dépouiller une certaine férocité qui constituoit son caractere, reprimer à-propos les emportemens de sa colere, adoucir sa sévérité, ni modérer son despotisme.

Il obligea les seigneurs de s’absenter de leurs terres, ce qui contribua à leur ruine, & à l’augmentation des taxes. Il dégrada le sénat pour se rendre plus absolu, & éloigna de sa confiance les personnes de distinction, pour l’accorder toute entiere à un prince Menzikoff, qui n’étoit d’ailleurs qu’un petit génie. Il corrompit les mœurs de ses sujets, en encourageant la célébration burlesque de ce qu’ils appelloient la slavlenie. En reculant ses frontieres, il détourna les yeux de l’intérieur de l’empire, sans considerer qu’il ne faisoit que le ruiner davantage. Il força les enfans des meilleures familles, de faire, sans qu’ils y fussent propres, le service de soldats & de matelots, tandis qu’il introduisoit à sa cour tous les excès de luxe étranger, qui n’ont fait qu’appauvrir son pays. Il transporta le commerce de l’empire, d’Archangel à Pétersbourg, & la residence de la cour du centre de ses états à une des extrémités. Sa maniere irréguliere de vivre, & les débauches auxquelles il étoit accoutumé dès sa jeunesse, abrégerent ses jours.

C’est en vain qu’il a tâché de faire l’univers juge de sa conduite ; en publiant la malheureuse histoire du prince Alexis, son fils, il n’a persuadé personne qu’il n’avoit rien à se reprocher à cet égard. Il ne parloit jamais à ce fils avec amitié ; & comme il avoit entierement négligé son éducation, on doit lui attribuer en partie les écarts de ce malheureux prince. (Le Chevalier de Jaucourt.)