L’Encyclopédie/1re édition/PERSES, Philosophie des

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Perses, Philosophie des, (Histoire de la Philosop.) Les seuls garans que nous ayons ici de l’histoire de la Philosophie, les Arabes & les Grecs ne sont pas d’une autorité aussi solide & aussi pure qu’un critique sévere le desireroit. Les Grecs n’ont pas manqué d’occasions de s’instruire des lois, des coutumes, de la religion & de la philosophie de ces peuples ; mais peu sinceres en général dans leurs récits, la haine qu’ils portoient aux Perses les rend encore plus suspects. Qu’est-ce qui a pu les empêcher de se livrer à cette fureur habituelle de tout rapporter à leurs idées particulieres ? La distance des tems, la légereté du caractere, l’ignorance & la superstition des Arabes n’affoiblissent guere moins leur témoignage. Les Grecs mentent par orgueil ; les Arabes mentent par intérêt. Les premiers défigurent tout ce qu’ils touchent pour se l’approprier ; les seconds pour se faire valoir. Les uns cherchent à s’enrichir du bien d’autrui, les autres à donner du prix à ce qu’ils ont. Mais c’est quelque chose que de bien connoître les motifs de notre méfiance, nous en serons plus circonspects.

De Zoroastre. Zerdusht ou Zaradusht, selon les Arabes, & Zoroastre, selon les Grecs, fut le fondateur ou le restaurateur de la Philosophie & de la Théologie chez les Perses. Ce nom signifie l’ami du feu. Sur cette étymologie on a conjecturé qu’il ne désignoit pas une personne, mais une secte. Quoi qu’il en soit, qu’il n’y ait jamais eu un homme appellé Zoroastre, ou qu’il y en ait eu plusieurs de ce nom, comme quelques-uns le prétendent, on n’en peut guere reculer l’existence au-delà du regne de Darius Histaspe. Il y a la même incertitude sur la patrie du premier Zoroastre. Est-il chinois, indien, perse, medo-perse ou mede ? S’il en faut croire les Arabes, il est né dans l’Aderbijan, province de la Médie. Il faut entendre toutes les puérilités merveilleuses qu’ils racontent de sa naissance & de ses premieres années ; au reste, elles sont dans le génie des Orientaux, & du caractere de celles dont tous les peuples de la terre ont défiguré l’histoire des fondateurs du culte religieux qu’ils avoient embrassé. Si ces fondateurs n’avoient été que des hommes ordinaires, de quel droit eût-on exigé de leurs semblables le respect aveugle pour leurs opinions ?

Zoroastre, instruit dans les sciences orientales, passe chez les Islalites. Il entre au service d’un prophete. Il y prend la connoissance du vrai Dieu. Il commet un crime. Le prophete, qu’on croit être Daniel ou Esdras, le maudit ; & il est attaque de la lepre. Guéri apparemment, il erre ; il se montre aux peuples, il fait des miracles ; il se cache dans des montagnes ; il en descend ; il se donne pour un envoyé d’en-haut ; il s’annonce comme le restaurateur & le réformateur du culte de ces mages ambitieux que Cambise avoit exterminés. Les peuples l’écoutent. Il va à Xis ou Ecbatane. C’étoit le lieu de la naissance de Smerdis, & le magianisme y avoit encore des sectateurs cachés. Il y prêche ; il y a des révélations. Il passe de-là à Balch sur les rives de l’Oxus, & s’y établit. Histaspe régnoit alors. Ce prince l’appelle. Zoroastre le confirme dans la religion des mages que Histaspe avoit gardée ; il l’entraîne par des prestiges ; & sa doctrine devient publique, & la religion de l’état. Il y en a qui le font voyager aux Indes, & conferer avec les brachmanes ; mais c’est sans fondement. Après avoir établi son culte dans la Bactriane, il vint à Suse, où l’exemple du roi fut suivi de la conversion de presque tous les courtisans. Le magianisme, ou plutôt la doctrine de Zoroastre se répandit chez les Perses, les Parthes, les Bactres, les Chorasmiens, les Saiques, les Medes, & plusieurs autres peuples barbares. L’intolérance & la cruauté du mahométisme naissant n’a pu jusqu’à présent en effacer toutes les traces. Il en reste toujours dans la Perse & dans l’Inde. De Suse, Zoroastre retourna à Balch, où il éleva un temple au feu ; s’en dit archimage, & travailla à attirer à son culte les rois circonvoisins ; mais ce zele ardent lui devint funeste. Argaspe, roi des Scythes, étoit très-attaché au culte des astres ; c’étoit celui de sa nation & de ses aïeux. Zoroastre ne pouvant réussir auprès de lui par la persuasion, emploie l’autorité & la puissance de Darius. Mais Argaspe indigné de la violence qu’on lui faisoit dans une affaire de cette nature, prit les armes, entra dans la Bactriane, & s’en empara, malgré l’opposition de Darius, dont l’armée fut taillée en pieces. La destruction du temple patriarchal, la mort de ses prêtres & celle de Zoroastre-même furent les suites de cette défaite. Peu de tems après Darius eut sa revanche ; Argaspe fut battu, la province perdue recouverte, les temples consacrés au feu relevés, la doctrine de Zoroastre remise en vigueur, & l’azur gustasp, ou l’édifice de Hystaspe construit. Darius en prit même le titre de grand-prêtre, & se fit appeller de ce nom sur son tombeau. Les Grecs qui connoissoient bien les affaires de la Perse, gardent un profond silence sur ces événemens, qui peut être ne sont que des fables inventées par les Arabes, dont il faudroit réduire le récit à ce qu’il y eut dans un tems un imposteur qui prit le nom de Zoroastre déja révéré dans la Perse, attira le peuple, séduisit la cour par des prestiges, abolit l’idolâtrie, & lui substitua l’ancien culte du feu, qu’il arrangea seulement à sa maniere. Il y a aussi quelqu’apparence que cet homme n’étoit pas tout-à-fait ignorant dans la médecine & les sciences naturelles & morales ; mais que ce fut une encyclopédie vivante, comme les Arabes le disent, c’est sûrement un de ces mensonges pieux auxquels le zele qui ne croit jamais pouvoir trop accorder aux fondateurs de religion, se détermine si généralement.

Des Guebres. Depuis ces tems reculés, les Guebres ont persisté dans le culte de Zoroastre. Il y en a aux environs d’Ispahan dans un petit village appellé de leur nom Gauradab. Les Musulmans les regardent comme des infideles, & les traitent en conséquence. Ils exercent-là les fonctions les plus viles de la société ; ils ne sont pas plus heureux dans la Commanie ; c’est la plus mauvaise province de la Perse. On les y fait payer bien cher le peu d’indulgence qu’on a pour leur religion. Quelques-uns se sont réfugiés à Surate & à Bombaye, où ils vivent en paix, honorés pour la sainteté & la pureté de leurs mœurs, adorant un seul Dieu, priant vers le soleil, révérant le feu, détestant l’idolatrie, & attendant la résurection des morts & le jugement dernier. Voyez l’article Guebres ou Gaures.

Des livres attribués à Zoroastre. De ces livres le zend ou le zendavesta est le plus célebre. Il est divisé en deux parties ; l’une comprend la liturgie ou les cérémonies à observer dans le culte du feu ; l’autre prescrit les devoirs de l’homme en général, & ceux de l’homme religieux. Le zend est sacré ; & les saintes Ecritures n’ont pas plus d’autorité parmi les Chrétiens, ni l’alcoran parmi les Turcs. On pense bien que Zoroastre le reçut aussi d’en-haut. Il est écrit en langue & en caracteres perses. Il est renfermé dans les temples ; il n’est pas permis de le communiquer aux étrangers ; & tous les jours de fêtes les prêtres en lisent quelques pages aux peuples. Thomas Hyde nous en avoit promis une édition ; mais il ne s’est trouvé personne même en Angleterre qui ait voulu en faire les frais.

Le zend n’est point un ouvrage de Zoroastre ; il faut en rapporter la supposition au tems d’Eusebe. On y trouve des pseaumes de David ; on y raconte l’origine du monde d’après Moyse ; il y a les mêmes choses sur le déluge ; il y est parlé d’Abraham, de Joseph & de Salomon. C’est une de ces productions telles qu’il en parut une infinité dans ces siecles où toutes les sectes qui étoient en grand nombre, cherchoient à prévaloir les uns sur les autres par le titre d’ancienneté. Outre le zend, on dit que Zoroastre avoit encore écrit dans son traité quelques centaines de milliers de vérités sur différens sujets.

Des oracles de Zoroastre. Il nous en reste quelques fragmens qui ne font pas grand honneur à l’anonyme qui les a fabriqués ; quoiqu’ils ayent eu de la réputation parmi les platoniciens de l’école d’Alexandrie, c’est qu’on n’est pas difficile sur les titres qui autorisent nos opinions. Ces philosophes n’étoient pas fâchés de retrouver quelques-unes de leurs idées dans les écrits d’un sage aussi vanté que Zoroastre.

Du mage Hystaspe. Cet Hystaspe est le pere de Darius ; il se fit chef des mages. Il y eut là-dedans plus de politique que de religion. Il doubla son autorité sur les peuples en réunissant dans sa personne les titres de pontife & de roi. L’inconvénient de cette réunion, c’est qu’un seul homme ayant à soutenir deux grands caracteres, il arrive souvent que le roi deshonore le pontife, ou que le pontife rabaisse le roi.

D’Ostanès ou d’Otanès. On prétend qu’il y eut plusieurs mages de ce nom, & qu’ils donnerent leur nom à la secte entiere qui en fut appellée ostanite. On dit qu’Ostanès ou Otanès cultiva le premier l’Astronomie chez les Perses. On lui attribue un livre de chimie. Ce fut lui qui initia Démocrite aux mysteres de Memphis. Il n’y a que le rapport des tems qui contredise cette fable.

Du mot mage. Ceux qui le dérivent de l’ancien mot mog, qui dans la Perse & dans la Médie signifioit adorateur ou prêtre du feu, en ont trouvé l’étymologie la plus vraissemblable.

De l’origine du magianisme. Cette doctrine étoit établie dans l’empire de Babylone & d’Assyrie, & chez d’autres peuples de l’orient long-tems avant la fondation des Perses. Zoroastre n’en fut que le restaurateur. Il faut en conclure de-là l’extrème ancienneté.

Du caractere d’un mage. Ce fut un théologien & un philosophe. Un mage naissoit toujours d’un autre mage. Ce fut dans le commencement une seule famille peu nombreuse qui s’accrut en elle-même ; les peres se marioient avec leurs filles, les fils avec leurs meres, les freres avec leurs sœurs. Epars dans les campagnes, d’abord ils n’occuperent que quelques bourgs ; ils fonderent ensuite des villes, & se multiplierent au point de disputer la souveraineté aux monarques. Cette confiance dans leur nombre & leur autorité les perdit.

Des classes des mages. Ils étoient divisés en trois classes. Une classe infime attachée aux services des temples ; une classe supérieure qui commandoit à l’autre ; & un archimage qui étoit le chef de toutes les deux. Il y avoit aussi trois sortes de temples ; des oratoires où le feu étoit gardé dans une lampe ; des temples où il s’entretenoit sur un autel ; & une basilique, le siege de l’archimage, & le lieu où les adorateurs alloient faire leurs grandes dévotions.

Des devoirs des mages. Zoroastre leur avoit dit : Vous ne changerez ni le culte, ni les prieres. Vous ne vous emparerez point du bien d’autrui. Vous fuirez le mensonge. Vous ne laisserez entrer dans votre cœur aucun desir impur ; dans votre esprit aucune pensée perverse. Vous craindrez toute souillure. Vous oublierez l’injure. Vous instruirez les peuples. Vous présiderez aux mariages. Vous fréquenterez sans cesse les temples. Vous méditerez le zendavesta : ce sera votre loi, & vous n’en reconnoîtrez point d’autre : & que le ciel vous punisse éternellement, si vous souffrez qu’on le corrompe. Si vous êtes archi-mage, observez la pureté la plus rigoureuse. Purifiez-vous de la moindre faute par l’ablution. Vivez de votre travail. Recevez la dixme des peuples. Ne soyez ni ambitieux, ni vain. Exercez les œuvres de la miséricorde ; c’est le plus noble emploi que vous puissiez faire de votre richesse. N’habitez pas loin des temples, afin que vous puissiez y entrer sans être apperçu. Lavez-vous souvent. Soyez frugal. N’approchez point de votre femme les jours de solemnité. Surpassez les autres dans la connoissance des sciences. Ne craignez que Dieu. Reprenez fortement les méchans : de quelque rang qu’ils soient, n’ayez aucune indulgence pour eux. Allez porter la vérité aux souverains. Sachez distinguer la vraie révélation de la fausse. Ayez toute confiance dans la bonté divine. Attendez le jour de sa manifestation ; & soyez-y toujours préparé. Gardez soigneusement le feu sacré ; & souvenez-vous de moi jusqu’à la consommation des siecles, qui se fera par le feu.

Des sectes des mages. Quelque simple que soit un culte, il est sujet à des hérésies. Les hommes se divisent bien entr’eux sur des choses réelles, comment s’accorderoient-ils long-tems sur des objets imaginaires ? Ils sont abandonnés à leur imagination, & il n’y a aucune expérience qui puisse les réunir. Les mages admettoient deux principes, un bon & un mauvais ; l’un de la lumiere, l’autre des ténebres : étoient-ils co-éternels ? Ou, y avoit-il priorité & postériorité dans leur existence ? Premier objet de discussion ; premiere hérésie ; premiere cause de haine, de trahison & d’anathème.

De la philosophie des mages. Elle avoit pour objet Dieu, l’origine du monde, la nature des choses, le bien, le mal, & la regle des devoirs. Le système de Zoroastre n’étoit pas l’ancien ; cet homme profita des circonstances pour l’altérer, & faire croire au peuple tout ce qu’il lui plut. La distance des terres, les mensonges des grecs, les fables des arabes, les symboles & l’emphase des orientaux, rendent ici la matiere très-obscure.

Des dieux des Perses. Ces nations adoroient le soleil ; ils avoient reçu ce culte des Chaldéens & des Assyriens. Ils appelloient ce dieu Mithras ; ils joignoient à Mithras Orosmade & Arimane.

Mais il faut bien distinguer ici la croyance des hommes instruits, de la croyance du peuple. Le soleil étoit le dieu du peuple ; pour les théologiens ce n’étoit que son tabernacle.

Mais en remontant à l’origine, Mithras ne sera qu’un de ces bienfaiteurs des hommes, qui les rassembloient, qui les instruisoient, qui leur rendoient la vie plus supportable & plus sûre, & dont ils faisoient ensuite des dieux. Celui des peuples d’Orient s’appelloit Mithras. Son ame au sortir de son corps s’envola au soleil, & de-là le culte du soleil, & la divinité de cet astre.

On n’a qu’à jetter les yeux sur les symboles de Mithras pour sentir toute la force de cette conjecture. C’est un homme robuste ; il est ceint d’un cimetere ; il est couronné d’une tiarre ; il est assis sur un taureau, il conduit l’animal féroce, il le frappe, il le tue. Quels sont les animaux qu’on lui sacrifie ? des chevaux. Quels compagnons lui donne-t-on ? des chiens.

L’histoire d’un homme défiguré, est devenue un système de religion. Rien ne peut subsister entre les hommes sans s’altérer ; il faut qu’un système de religion, fût-il révélé, se corrompe à la longue, à moins qu’une autorité infaillible n’en assure la pureté. Supposons que Dieu se montrât aux hommes sous la forme d’un grand spectre de feu, qu’élevé au-dessus du globe qui tourneroit sous ses piés, les hommes l’écoutassent en silence, & que d’une voix forte il leur dictât ses lois, croit-on que ses lois subsisteroient incorruptibles ? croit-on qu’il ne vînt pas un tems où l’apparition même se révoquât en doute ? Il n’y a que le séjour constant de la divinité parmi nous, ou par ses miracles, ou par ses prophetes, ou par un représentant infaillible, ou par la voix de la conscience, ou par elle-même, qui puisse arrêter l’inconstance de nos idées en matiere de religion.

Mithras est un & triple ; on retrouve dans ce triple Mithras des vestiges de la trinité de Platon & de la nôtre.

Orosmade ou Horsmidas est l’auteur du bien ; Arimane est l’auteur du mal : écoutons Leibnitz sur ces dieux. Si l’on considere, dit le philosophe de Leipsick, que tous les potentats d’Asie se sont appellés Horsmidas, qu’Irmen ou Hermen est le nom d’un dieu ou d’un héros celto-scythe, on sera porté à croire que l’Arimane des Perses fut quelque conquérant d’occident, tels que furent dans la suite Gengis-Chan & Tamerlan, qui passa de la Germanie & de la Sarmatie dans l’Asie, à-travers les contrées des Alains & des Massagetes, & qui fondit dans les états d’un Horsmidas, qui gouvernoit paisiblement ses peuples fortunés, & qui les défendit constamment contre les entreprises du ravisseur. Avec le tems l’un fut un mauvais génie, l’autre un bon ; deux principes contraires qui sont perpétuellement en guerre, qui se défendent & se battent bien, & dont l’un n’obtient jamais une entiere supériorité sur l’autre. Ils se partagent l’empire du monde, & le gouvernent, ainsi que Zoroastre l’établit dans sa chronologie. Ajoutez à cela, qu’en effet au tems de Cyaxare, roi des Medes, les Scythes se répandirent en Asie.

Mais comment un trait historique si simple, devient-il à la longue une fable si compliquée ? C’est qu’on transporta dans la suite, au culte, aux dieux, aux statues, aux symboles religieux, aux cérémonies, tout ce qui appartenoit aux sciences, à l’Astronomie, à la Physique, à la Chimie, à la Métaphysique & à l’histoire naturelle. La langue religieuse resta la même ; mais toutes les idées changerent. Le peuple avoit une religion & le prêtre une autre.

Principes du système de Zoroastre. Il ne faut pas confondre ce système, renouvellé avec l’ancien ; celui des premiers mages étoit fort simple ; celui de Zoroastre se compliqua.

1. Il ne se fait rien de rien.

2. Il y a donc un premier principe, infini, éternel, de qui tout ce qui a été & tout ce qui est, est émané.

3. Cette émanation a été très-parfaite & très-pure. Il faut la regarder comme la cause du mouvement, de la chaleur & de la vie.

4. Le feu intellectuel, très-parfait, très-pur, dont le soleil est le symbole, est le principe de cette émanation.

5. Tous les êtres sont sortis de ce feu, & les matériels & les immatériels. Il est absolu, nécessaire, infini ; il se meut lui-même ; il meut & anime tout ce qui est.

6. Mais la matiere & l’esprit étant deux natures diamétralement opposées, il est donc émané du feu originel & divin, deux principes subordonnés, ennemis l’un de l’autre, l’esprit & la matiere, Orosmade & Arimane.

7. L’esprit plus voisin de sa source, plus pur, engendre l’esprit, comme la lumiere, la lumiere : telle est l’origine des dieux.

8. Les esprits émanés de l’océan infini de la lumiere intellectuelle, depuis Orosmade, jusqu’au dernier, sont & doivent être regardés comme des natures lucides & ignées.

9. En qualité de natures lucides & ignées, ils ont la force de mouvoir, d’entretenir, d’échauffer, de perfectionner ; & ils sont bons. Orosmade est le premier d’entr’eux ; ils viennent d’Orosmade : Orosmade est la cause de toute perfection.

10. Le soleil, symbole de ses propriétés, est son trône, & le lieu principal de sa lumiere divine.

11. Plus les esprits émanés d’Orosmane s’éloignent de leur source, moins ils ont de pureté, de lumiere, de chaleur & de force motrice.

12. La matiere n’a ni lumiere, ni chaleur, ni force motrice ; c’est la derniere émanation du feu éternel & premier. Sa distance en est infinie, aussi est-elle ténébreuse, inerte, solide & immobile par elle-même.

13. Ce n’est pas à ce principe de son émanation, mais à la nature nécessaire de son émanation, à sa distance du principe, qu’il faut attribuer ses défauts. Ce sont ces défauts, suite nécessaire de l’ordre des émanations, qui en font l’origine du mal.

14. Quoiqu’Arimane ne soit pas moins qu’Orosmade, une émanation du feu éternel, ou de Dieu, on ne peut attribuer à Dieu ni le mal, ni les ténebres de ce principe.

15. Le mouvement est éternel & très-parfait dans le feu intellectuel & divin ; d’où il s’ensuit qu’il y aura une période à la fin de laquelle tout y retournera. Cet océan reprendra tout ce qui en est émané, tout, excepté la matiere.

16. La matiere ténébreuse, froide, immobile, ne sera point reçue à cette source de lumiere & de chaleur très-pure, elle restera, elle se mouvra, sans cesse agitée par l’action du principe lumineux ; le principe lumineux attaquera sans cesser ses ténebres, qui lui résisteront, & qu’elle affoiblira peu-à-peu, jusqu’à ce qu’à la suite des siecles atténuée, divisée, éclairée autant qu’elle peut l’être, elle approche de la nature spirituelle.

17. Après un long combat, des alternatives infinies, les ténebres seront chassées de la matiere ; ses qualités mauvaises seront détruites ; la matiere même sera bonne, lucide, analogue à son principe qui la réabsorbera, & d’où elle émanera de rechef, pour remplir tout l’espace & se répandre dans l’univers. Ce sera le regne de la félicité parfaite.

Voilà le systême oriental, tel qu’il nous est parvenu après avoir passé, au sortir des mains des mages, entre celles de Zoroastre, & de celles-ci, entre les mains des Pythagoriciens, des Stoïciens & des Platoniciens, dont on y reconnoît le ton & les idées.

Ces philosophes le porterent à Cosroès. Auparavant la sainteté en avoit été constatée par des miracles à la cour de Sapor ; ce n’étoit alors qu’un manichéisme assez simple.

Le sadder, ouvrage où la doctrine zoroastrique est exposée, emploie d’autres expressions ; mais c’est le même fonds. Il y a un Dieu : il est un, très-saint : rien ne lui est égal : c’est le Dieu de puissance & de gloire. Il a créé dans le commencement un monde d’esprits purs & heureux ; au bout de trois mille ans, sa volonté, lumiere resplendissante, sous la forme de l’homme. Soixante & dix anges du premier ordre l’ont accompagnée ; & elle a créé le soleil, la lune, les étoiles & les ames des hommes. Après trois autres mille ans, Dieu créa au-dessous de la lune un monde inférieur, plein de matiere.

Des dieux & des temples. La doctrine de Zoroastre les rejettoit aussi. La premiere chose que Xerxès fit en Grece, ce fut de détruire les temples & les statues. Il satisfaisoit aux préceptes de sa religion ; & les Grecs le regardoient sans doute comme un impie. Xerxès en usoit ainsi, dit Cicéron, ut parietibus excluderentur dii, quibus esse deberent omnia patentia & libera : pour briser les prisons des dieux. Les sectateurs du culte des mages ont aujourd’hui la même aversion pour les idoles.

Abregé des prétendus oracles de Zoroastre. Il y a des dieux. Jupiter en est un. Il est très-bon. Il gouverne l’univers. Il est le premier des dieux. Il n’a point été engendré. Il existe de tous les tems. Il est le pere des autres dieux. C’est le grand, le vieil ouvrier.

Neptune est l’aîné de ses fils. Neptune n’a point eu de mere. Il gouverne sous Jupiter. Il a créé le ciel.

Neptune a eu des freres ; ces freres n’ont point eu de mere. Neptune est au-dessus d’eux.

Les autres dieux ont été tirés de la matiere, & sont nés de Junon. Il y a des démons au-dessous des dieux.

Le soleil est le plus vieux des enfans que Jupiter ait eu de leur mere. Le soleil & Saturne président à la génération des mortels, aux titans & aux dieux du tartare.

Les dieux prennent soin des choses d’ici-bas, ou par eux-mêmes, ou par des ministres subalternes, selon les lois générales de Jupiter. Ils sont la cause du bien : rien de mal ne nous arrive par eux. Par un destin inévitable, indéclinable, dépendant de Jupiter, les dieux subalternes exécutent ce qu’il y a de mieux.

L’univers est éternel. Les premiers dieux nés de Jupiter, & les seconds n’ont point eu de commencement, n’auront point de fin ; ils ne constituent tous ensemble qu’une sorte de tout.

Le grand ouvrier qui a pu faire le tout, le mieux qu’il étoit possible, l’a voulu, & il n’a manqué à rien.

Il conserve & conservera éternellement le tout immobile & sous la même forme.

L’ame de l’homme, alliée aux dieux, est immortelle. Le ciel est son séjour : elle y est & elle y retournera.

Les dieux l’envoient pour animer un corps, conserver l’harmonie de l’univers, établir le commerce entre le ciel & la terre, & lier les parties de l’univers entr’elles, & l’univers avec les dieux.

La vertu doit être le but unique d’un être lié avec les dieux.

Le principe de la félicité principale de l’homme est dans sa portion immortelle & divine.

Suite des oracles ou fragmens. Nous les exposons dans la langue latine, parce qu’il est presqu’impossible de les rendre dans la nôtre.

Unitas dualitatem genus ; Dyas enim apud eam sedet, & intellectuali luce fulgurat, inde trinitas, & hæc trinitas in toto mundo lucet & gubernat omnia.

Voilà bien Mythras, Orosmade & Arimane ; mais sous la forme du christianisme. On croiroit en lisant ce passage, entendre le commencement de l’évangile selon S. Jean.

Deus fons fontium, omnium matrix, continens omnia, undè generatio variè se manifestantis materiæ, unde tractus præter insiliens cavitatibus mundorum, incipit deorsum tendere radios admirandos.

Galimathias, moitié chrétien, moitié platonicien & cabbalistique.

Deus intellectualem in se ignem proprium comprehendens, cuncta perficit & mente tradit secundâ ; sicque omnia sunt ab uno igne progenita, patre genita lux.

Ici le Platonicisme se mêle encore plus évidemment avec la doctrine de Zoroastre.

Mens patris striduit, intelligens indefesso consilio ; omniformes ideæ fonte vero ab uno evolantes exsilierunt, & divisæ intellectualem ignem sunt nactæ.

Proposition toute platonique, mais embarrassée de l’allégorie & du verbiage oriental.

Anima existens, ignis splendens, vi patris immortalis manet & vitæ domina est, & tenet mundi multas plenitudines, mentem enim imitatur ; sed habet congenitum quid corporis.

Il est incroyable en combien de façons l’esprit inquiet se replie. Ici on apperçoit des vestiges de Léibnitianisme.

Opifex qui fabricatus est mundum, erat ignis moles, qui totum mundum ex igne & aqua & terra & aere omnia composuit.

Ces élémens étoient regardés par les Zoroastriens comme les canaux matériels du feu élémentaire.

Oportet te festinare ad lucem & patris radios, unde missa est tibi anima multam induta lucem, mentem enim in anima reposuit & in corpore deposuit.

Ici l’expression est de Zoroastre, mais les idées sont de Platon.

Non deorsum prorsus sis est nigritantèm mundum, cui profunditas semper infida substrata est & hædes, circum quæque nubilis squallidus, idolis gaudens, amens, præceps, tortuosus, cœcum, profundum semper convolvens, semper tegens obscurum corpus iners & spiritu carens, & osor lucis mundus & tortuosa fluenta, sub qui multi trahuntur.

Galimatias mélancholique, prophétique & sybillain.

Quære animi canalem, undè aut quo ordine servus factus corporis, in ordinem à quo effluxisti, iterum resurgas.

C’est la descente des ames dans les corps, selon l’hypothese platonicienne.

Cogitatio igne tota primum habet ordinem ; mortalis enim ignis proximus factus, à Deo lumen habebit.

Puisqu’on vouloit faire passer ces fragmens sous le nom de Zoroastre, il falloit bien revenir au principe ignée.

Lunæ cursum & astrorum progressum & strepitum dimitte, semper currit opere necessitatis ; astrorum progressus tui gratiâ non est editus.

Ici l’auteur a perdu de vûe la doctrine de Zoroastre, qui est toute astrologique ; & il a dit quelque chose de sensé.

Natura suadet esse dæmonas puros, & mala materiæ germinia, utilia & bona, &c.

Ces démons n’ont rien de commun avec le magianisme ; & ils sont sortis de l’école d’Alexandrie.

Philosophie morale des Perses. Ils recommandent la chasteté, l’honnêteté, le mépris des voluptés corporelles, du faste, de la vengeance des injures ; ils défendent le vol ; il faut craindre ; refléchir ; consulter la prudence dans ses actions ; fuir le mal, embrasser le bien ; commencer le jour par tourner ses pensées vers l’être suprême ; l’aimer, l’honorer, le servir ; regarder le soleil quand on le prie de jour, la lune quand on s’adresse à lui de nuit ; car la lumiere est le symbole de leur existence & de leur présence ; & les mauvais génies aiment les ténebres.

Il n’y a rien dans ces principes qui ne soit conforme au sentiment de tous les peuples, & qui appartienne plus à la doctrine de Zoroastre, que d’aucun autre philosophe.

L’amour de la vérité est la fin de tous les systèmes philosophiques ; & la pratique de la vertu, la fin de toutes les législations : & qu’importe par quels principes on y soit conduit !