L’Encyclopédie/1re édition/PATHÉTIQUE

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PATHÉTIQUE, le (Eloquence, Poësie, Art orat.) le pathétique est cet enthousiasme, cette véhémence naturelle, cette peinture forte qui émeut, qui touche, qui agite le cœur de l’homme. Tout ce qui transporte l’auditeur hors de lui-même, tout ce qui captive son entendement, & subjugue sa volonté, voilà le pathétique.

Il regne éminemment dans la plus belle & la plus touchante piece qui ait paru sur le théâtre des anciens, dans l’Œdipe de Sophocle ; à la peinture énergique des maux qui desoloient le pays, succede un chœur de Thébains qui s’écrie :

Frappez Dieux tout puissans, vos victimes sont prêtes !
O mort écrasez-nous ! Dieux tonnez sur nos têtes !
O mort ! nous implorons ton funeste secours,
O mort ! viens nous sauver, viens terminer nos jours.


C’est-là du pathétique. Qui doute que l’entassement des accidens qui suivent & qui accompagnent, surtout des accidens qui marquent davantage l’excès & la violence d’une passion, puisse produire le pathétique ? Telle est l’ode de Sapho.

Heureux qui près de toi, pour toi seule soupire, &c.


Elle gele, elle brûle, elle est sage, elle est folle, elle est entierement hors d’elle-même, elle va mourir ; on diroit qu’elle n’est pas éprise d’une simple passion, mais que son ame est un rendez-vous de toutes les passions.

Voulez-vous deux autres exemples du pathétique ? Prenez votre Racine, vous les trouverez dans les discours d’Andromaque & d’Hermione à Pyrrhus : le premier est dans la iij. scene du III. acte d’Andromaque.

Seigneur, voyez l’état où vous me réduisez, &c.

Et le second, dans la v. scene du IV. acte.

Je ne t’ai point aimé, cruel, qu’ai-je donc fait ? &c.

Rien encore ne fait mieux voir combien le pathétique acquiert de sublime, que ce que Phedre dit, act. IV. scene vj. après qu’instruite par Thésée qu’Hippolyte aime Aricie, elle est en proie à la jalousie la plus violente.

              Ah douleur non encore éprouvée !
À quel nouveau tourment je me suis réservée, &c.

Enfin, la scene entiere ; car il n’y a rien à en retrancher ; aussi est-ce, à mon avis, le morceau de passion le plus parfait qu’il y ait dans tout Racine.

Mais c’est surtout le choix & l’entassement des circonstances d’un grand objet qui forme le plus beau pathétique ; & je ne doute pas que ce qui se trouve dans l’oraison funebre du grand Condé, par M. Bossuet, au sujet de la campagne de Fribourg, ne soit, par la maniere dont les circonstances y sont choisies & pressées, un exemple de la sublime éloquence. Je suis fâché que la longueur du morceau m’empêche de le rapporter ; & je me contenterai de mettre ici cette peinture si vive & si pathétique de l’effet de la mort de M. de Turenne. C’est M. Fléchier qui parle dans l’oraison funebre de ce grand homme. « Je me trouble, messieurs, Turenne meurt : tout se confond ; la fortune chancelle ; la victoire se lasse ; la paix s’éloigne ; les bonnes intentions des alliés se rallentissent ; le courage des troupes est abattu par la douleur, & ranimé par la vengeance ; tout le camp demeure immobile ; les blessés pensent à la perte qu’ils ont faite, & non pas aux blessures qu’ils ont reçues ; les peres mourans envoient leurs fils pleurer sur leur général mort. L’armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs funebres ; & la renommée qui se plaît à répandre dans l’univers les accidens extraordinaires, va remplir toute l’Europe du récit glorieux de la vie de ce prince, & du triste regret de sa mort ». (D. J.)

Pathétique, adj. en Musique, est une maniere expressive & passionnée, capable d’exciter la pitié, la compassion, la douleur & les autres passions qui resserrent le cœur ; dans ce sens nous disons le style pathétique, un sujet pathétique, un chant pathétique.

Le genre chromatique est très-propre pour le pathétique, il en est de même des dissonnances ménagées avec art, & des mouvemens lents & variés. (S)

Pathétiques ou Trochleateurs, en Anatomie ; c’est la quatrieme des dix paires de nerfs qui sortent de la moëlle alongée. Voyez nos Planches anatomiques, & leur explication. Voyez aussi l’article Nerf.

Les pathétiques sont les plus petits nerfs du cerveau ; ils ont leur origine dans la partie inférieure de la moëlle alongée derriere les nates & les testès. Voyez Natès & Testès.

On les appelle pathétiques, parce qu’il servent à exprimer dans les yeux différentes passions ; quelques-uns les nomment aussi amateurs, amatorii, à cause du grand usage que les amans en font, &c. Voyez Œil, &c.

Ils se distribuent au muscle grand oblique de l’œil, qu’on nomme aussi trochleateur. Voyez Oblique.