L’Encyclopédie/1re édition/PARRICIDE ou PATRICIDE

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PARRICIDE ou PATRICIDE, s. m. (Jurisprud.) dans sa signification propre, est un homicide commis par quelqu’un en la personne de ses pere & mere, ayeul ou ayeule, & autres ascendans.

On appelle aussi parricide tout homicide commis en la personne de ceux qui nous tiennent lieu de pere & mere, comme les oncles & tantes, grands-oncles & grand’tantes.

On qualifie pareillement de parricide tout attentat commis sur la personne du roi, parce que le souverain est regardé comme le pere de ses peuples.

Enfin on comprend encore sous le terme de parricide tout homicide commis en la personne des enfans, petits-enfans, & autres descendans en ligne directe, & généralement de ceux auxquels nous sommes si étroitement unis par les liens du sang ou de l’affinité que l’homicide en est plus dénaturé, comme quand il est commis en la personne d’un frere ou d’une sœur, d’un beau-pere ou d’une belle-mere, d’un beau-fils ou d’une bru, d’un gendre, d’un parrain ou d’une marraine, d’un filleul ou d’une filleule, &c.

Solon interrogé pourquoi il n’avoit point prononcé de peine contre les parricides dit, qu’il n’avoit pas cru qu’il pût se trouver quelqu’un capable de commettre un crime si énorme.

Cependant les autres législateurs de Grece & de Rome ont reconnu qu’il n’y a que trop de gens dénaturés capables des plus grands forfaits.

Caracala ayant tué son frere Geta entre les bras de Julie sa mere, voulut faire autoriser son crime par Papinien ; mais ce grand jurisconsulte lui répondit, qu’il étoit encore plus aisé de commettre un parricide que de l’excuser.

Suivant la loi pompeia, rapportée en la loi 9. ff. ad. leg. pompeiam, & en la loi unique au code de his qui parentes vel liberos occiderunt, celui qui étoit convaincu du crime de parricide étoit d’abord fouetté jusqu’à effusion de sang, & après enfermé dans un sac de cuir avec un chien, un singe, un coq, & une vipere, & en cet état jetté dans la mer ou dans la plus prochaine riviere, & la loi rendant la raison de ce genre de supplice, dit que c’est afin que le parricide qui a offensé la nature par son crime soit privé de l’usage de tous les élémens, savoir de la respiration de l’air, étant encore vivant, de l’eau étant au milieu de la mer ou d’une riviere, & de la terre qu’il ne peut avoir pour sa sépulture.

Parmi nous ce crime est puni du dernier supplice, & la rigueur de la peine est augmentée selon les circonstances & la qualité des personnes sur lesquelles ce crime a été commis ; ainsi le parricide qui est commis en la personne du roi, qui de tous les crimes de ce genre est le plus détestable, est aussi puni des tourmens les plus rigoureux. Voyez Leze-majesté.

Il n’y a que la fureur procédant d’un dérangement d’esprit qui puisse faire excuser le parricide ; dans ce cas même on ordonne toujours que l’auteur du parricide sera renfermé & gardé par les soins de ses parens.

Le fils parricide est exclus de la succession de son pere, attendu l’indignité qu’il a encourue à l’instant de son crime.

Les enfans du fils parricide ne sont pourtant pas exclus de la succession de leur ayeul.

Le crime de parricide se prescrit comme les autres, par vingt ans ; & par trente ans, lorsque le jugement de contumace a été exécuté en effigie. Voyez Desmaisons & Jovet, & les mots Crime, Enfant.

La question la plus délicate qu’on fasse sur cette matiere, & dont j’ai promis la solution au mot Défense de soi-même ; c’est si un fils qui tue son pere ou sa mere à son corps défendant est coupable de parricide.

Je remarque d’abord que les lois peuvent à cause des inconvéniens, punir tout fils qui aura tué son pere ou sa mere, même à son corps défendant. En effet, comme on doit présumer qu’un tel cas sera fort rare, il n’est pas à propos d’en faire une exception, qui pourroit donner lieu de laisser impuni un véritable parricide ; mais à considérer la chose en elle-même : voici l’avis de M. Barbeyrac.

« 1°. Si un pere est poussé à tuer son fils par un mouvement dont il n’est pas le maître, ensorte qu’il ne sache ce qu’il sait, toutefois il veut mieux se laisser tuer alors, que de tremper ses mains dans le sang de son pere.

» 2°. Lorsqu’on a quelque sujet de craindre qu’un pere ne se porte avec quelque connoissance & quelque délibération à mettre en danger notre vie, il n’y a rien qu’on ne doive faire pour éviter les moindres occasions de l’irriter, & il faut s’abstenir de bien des choses qu’on auroit plein droit d’exécuter s’il s’agissoit de tout autre.

» 3°. Mais si après n’avoir rien négligé de ce côté-là, on se voyoit infailliblement exposé à perdre la vie par la main de celui qui, plus que personne, est tenu de contribuer à notre conservation ; comme en ce cas-là on peut, si l’on veut, se laisser tuer par un excès de tendresse & de considération pour celui de qui l’on tient la vie, je ne crois pas non-plus qu’on fût coupable de meurtre & de parricide, si l’on se defendoit jusqu’à tuer l’agresseur ».

Le droit de défendre sa vie est antérieur à toute obligation envers autrui ; & un pere qui s’oublie jusqu’à entrer dans un si grand excès de fureur contre son propre fils, ne mérite guere que celui-ci le regarde encore comme son pere. Le fils innocent est alors bien digne de compassion, puisque pendant que le pere témoigne avoir renoncé aux sentimens de la nature, il ne peut lui-même, sans une grande répugnance, suivre en cette occasion le penchant naturel qui porte d’ailleurs chacun avec tant de force à se conserver soi même. Aussi ce cas arrivera-t-il très-rarement ; & un fils, à moins que d’être aussi dénaturé que son pere, ne se défendra que foiblement, quand il verra que la défense ne peut qu’être fatale à l’agresseur qu’il voudroit sauver quoiqu’indigne. Mais enfin il suffit que la chose soit possible : & ainsi la question ne doit ni être omise sous prétexte qu’on peut abuser de la décision, ni décider sur ces préjugés éblouissans, que forme la relation de pere & de fils. Les devoirs qui naissent de cette relation sont réciproques ; & si la balance est plus forte d’un côté que de l’autre, il ne faut pas qu’elle tombe toute de ce côté.

Les principes du droit naturel, bien examinés, fourniront toujours dans les cas les plus rares & les plus épineux, comme celui-ci, de quoi marquer les justes bornes de chaque devoir, & concilier ensemble ceux qui semblent se choquer.

Au reste, les lecteurs curieux peuvent consulter encore Gundling, Jus nat. Werner, Dissert. jus nat Gribner, Jutisp. nat. Voet, in Pandectas, &c. ils ont même la plupart soutenu l’affirmative purement & simplement, sans les précautions & les restrictions que nous avons établies au préalable. Il y a dans Sophocle un passage que Grotius n’a pas oublié dans ses Excerpta ex veter. con. & trag. on y fait dire à Œdipe, que quand même il auroit connu son pere lorsqu’il le tua à son corps défendant, il ne pourroit pas être regardé comme coupable. (D. J.)

Parricide, (Littérat.) il n’y avoit point de loi contre ce crime à Athènes ; Solon n’ayant pu croire que personne fût capable de le commettre. Il n’y en avoit point encore à Rome avant l’an 652 de sa fondation, quoiqu’on trouve qu’un Lucius Ostius le commit peu de tems après la premiere guerre punique, sans que Plutarque, qui rapporte ce fait, en dise la punition. Selon Pausanias, c’est d’avoir dans l’autre monde son propre pere qui l’étrangle ; il y avoit un tableau de Polygnote, qui représentoit ainsi le supplice d’un fils dénaturé, qui avoit maltraité son pere. Mais l’an 652 de Rome, un Publicius Maléolus ayant tué sa mere, donna occasion d’en regler la peine dans ce monde. Ce fut d’abord d’être noyé, cousu simplement dans un sac de cuir de bœuf. Ce genre de supplice fut ordonné par Tarquin le Superbe, pour un prêtre qui avoit révélé le secret des mysteres. Apparemment qu’on l’appliqua aux parricides, pour les distinguer des autres criminels, autant qu’ils devoient l’être en les châtiant comme les plus grands impies ; car l’impiété chez les Romains, étoit le manque de respect pour son pere & sa mere. Enfin, Pompée consul pour la seconde fois, en confirmant la loi qui avoit reglé cette peine, y ajouta qu’on mettroit un chien, un coq, un singe & des serpens, le tout en vie, dans le même sac avec le criminel, avant que de le noyer.

Mais quoique le nom de parricide, s’appliquât proprement chez les Romains à ceux qui avoient tué leur pere ou leur mere, il faut savoir qu’une loi de Numa, avoit étendu ce crime jusques à ceux qui de mauvaise foi, & de propos délibéré, ôteroient la vie à quelque homme que ce fut : c’est pourquoi Ciceron donna cette odieuse épithete à Catilina, à cause des trames indignes qu’il brassoit pour abimer sa patrie, qui étoit la mere commune de tous les citoyens romains. (D. J.)