L’Encyclopédie/1re édition/PAQUE

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PAQUE des juifs, (Critiq. sacrée.) dans la vulgate pascha, en chaldaïque phase, mot qui signifie passage. Cette fête fut établie en mémoire du passage de la mer Rouge, & de celui de l’ange exterminateur, qui tua tous les premiers-nés des Egyptiens, & épargna toutes les maisons des Israélites marquées du sang de l’agneau, est enim phase, id est transitus Domini, Exod. xij. 11.

Voici les cérémonies prescrites aux Juifs pour la célébration de cette fête : dès le dixieme jour du premier mois, qui s’appelloit Nisan, ils choisissoient un agneau mâle & sans défaut qu’ils gardoient jusqu’au quatorze, & ce jour, sur le soir, ils l’immoloient ; & après le coucher du soleil ils le faisoient rôtir pour le manger la nuit, avec des pains sans levain & des laitues sauvages : ils se servoient de pains sans levain, parce qu’il n’y avoit pas de tems pour faire lever la pâte, & sur-tout afin que ce pain insipide les fît ressouvenir de l’affliction qu’ils avoient soufferte en Egypte ; ils y mêloient les laitues ameres, pour se rappeller l’amertume & les angoisses de leur servitude passée.

On leur ordonna de manger un agneau tout entier dans une même maison, ayant les reins ceints, des souliers aux piés & un bâton à la main, c’est-à-dire en posture de voyageurs prêts à partir ; mais cette derniere cérémonie ne fut d’obligation que la nuit de la sortie d’Egypte On teignoit du sang de l’agneau immolé le haut & les jambages de chaque maison, afin que l’ange exterminateur voyant ce sang, passât outre, & épargnât les enfans des Hébreux.

Enfin ils eurent ordre d’immoler chaque année un agneau mystérieux & d’en manger la chair, afin d’en conserver la mémoire du bienfait de Dieu, & du salut qu’ils recevoient par l’aspersion du sang de cette victime. Il leur fut défendu d’user du pain levé pendant toute l’octave de cette fête ; & l’obligation de la célébrer étoit telle que quiconque auroit négligé de le faire, étoit condamné à mort. Exterminabitur anima illa de populis suis. Num. ix. 13.

Le mot de pâque signifie dans l’Ecriture 1° la solemnité de pâque, qui duroit sept jours ; 2° le jour même auquel on immoloit l’agneau le quatorzieme de la lune, Luc xxij. 1 ; 3° le sabbat qui arrivoit dans la semaine de pâque ou des azymes, ce qui est nommé le parasceve de pâque, Jean xix. 14 ; 4° l’agneau paschal qu’on immoloit le quatorzieme jour de la lune du premier mois, Luc xxij. 7 ; enfin Jesus-Christ lui-même est appellé notre pâque ou l’agneau paschal, I. Cor. v. 7. (D. J.)

Paque des Chrétiens, (Critiq. sacrée.) la pâque des Chrétiens est la fête qu’ils célebrent tous les ans en mémoire de la résurrection du Christ : on l’appelle pâque à cause de son rapport avec celle des Juifs.

Dans le premier siecle de l’Eglise, les Chrétiens suivoient ordinairement les Juifs pour le tems de la célébration de la pâque : seulement les uns l’observoient le même jour que les Juifs, c’est-à-dire le quatorzieme jour de leur premier mois du printems, appellé Nisan, sur quelque jour de la semaine que tombât ce quatorzieme de la lune, & les autres ne la célébroient que le dimanche d’après. Ceux qui la célébroient le même jour que les Juifs, sans aucun égard au jour de la semaine, prétendoient suivre en cela l’exemple des apôtres saint Jean & saint Philippe, & les autres celui de saint Pierre & de saint Paul, qui avoient toujours, à ce qu’ils disoient, célébré cette fête le dimanche qui suivoit immédiatement le 14 de la lune.

Tandis que ceux de la circoncision qui avoient embrassé le christianisme, & qui pourtant observoient toujours la loi de Moïse, aussi-bien que celle de l’Evangile, entretinrent la communion avec l’Eglise ; cette diversité ne causa point de démêlé. Mais quand ils s’en furent séparés, l’Eglise jugea à propos de s’écarter aussi de leur usage à cet égard ; &, après plusieurs assemblées & plusieurs conciles, on résolut que la pâque ne s’observeroit plus le quatorzieme jour de la lune, comme cela se pratiquoit parmi les Juifs ; mais le dimanche d’après, & tout le monde reçut ce réglement, hormis les Eglises d’Asie, qui prétendoient avoir pour elles l’exemple des apôtres saint Jean & saint Philippe, & le saint martyr Polycarpe qui ne voulut jamais s’en écarter.

Victor, évêque de Rome, les excommunia à cause du refus qu’elles firent de s’y conformer. Tant l’esprit de domination commença promptement à se glisser dans ce siege ! Car ceci arriva dès l’an 197. Mais Irénée & la plûpart des autres chrétiens de ce tems-là blâmerent la conduite de Victor comme téméraire & injuste. Cependant la dispute continua à s’échauffer, & les chrétiens d’Asie qui soutenoient leur ancien usage, quoique traités par les Occidentaux de quartodecimans, parce qu’ils observoient, comme les Juifs, le quatorzieme de la lune, conserverent cet usage jusqu’à ce qu’enfin au concile de Nicée l’an 325 elles l’abandonnerent ; & cette dispute tomba. Depuis ce tems-là, le premier jour de la semaine, en mémoire de la résurrection de Jesus-Christ arrivée ce jour-là, a toujours été regardé parmi tous les Chrétiens comme le premier de la solemnité de leur pâque.

On a encore beaucoup disputé dans le dernier siecle sur la pâque de Jesus-Christ ; a-t-il mangé l’agneau paschal le même jour que les Juifs, ou même l’a-t-il mangé ? Sans entrer dans ces sortes de discussions qui ne sont point de notre plan, nous nous contenterons de dire que les peres & les auteurs ecclésiastiques ont pensé que Jesus-Christ avoit mangé la pâque le même jour que les Juifs, avant que d’instituer l’Eucharistie qui est la pâque des Chrétiens : cela paroît assez clairement décidé par les textes des trois premiers évangélistes ; & il est aisé d’y rapporter ceux de saint Jean, qui d’abord semblent contraires à ce sentiment, mais qui bien entendus se concilient avec les autres pour établir la même vérité.

Enfin une autre question sur laquelle il y a eu bien de la diversité d’opinions, c’est celle du nombre des pâques que Jesus-Christ a célébrées pendant son ministere. Ce ne sont pas seulement les Valentiniens, qui, au rapport de saint Irénée, croyoient que Jesus-Christ ne célébra que trois pâques depuis son baptême, les autres ont dit quatre pâques, & d’autres ont prétendu qu’il en célébra cinq, & fut crucifié après avoir solemnisé la derniere. La premiere opinion a été suivie par presque tous les anciens ; la seconde est de l’antiquité moyenne ; & la troisieme est des modernes. C’est celle que Scaliger a introduite & défendue. Clément d’Alexandrie, qui a imaginé, comme Tertulien, que notre Seigneur ne prêcha qu’un an, s’est servi, pour le prouver, des paroles d’Isaïe, citées par saint Luc, chap. iv. vers. 19. pour prêcher l’année agréable du Seigneur. D’autre l’ont imité : c’est ainsi qu’une fausse explication d’un passage de l’Ecriture a aveuglé ces savans peres sur le tems de la durée du ministere du Sauveur. (D. J.)