L’Encyclopédie/1re édition/PALMYRE

PALMYRE, (Géog. anc. & mod.) ville de Syrie dans un désert de la Syrie, sur les confins de l’Arabie déserte en tirant vers l’Euphrate. Son nom hébreu est Tadmor, Thamor, ou Tedmor, selon Josephe, antiq. liv. VIII. ch. ij. qui la place à deux journées de la haute Syrie, à un jour de l’Euphrate, & à six de Babylone.

Ptolomée, liv. V. ch. xv. la met dans la Palmyrene, province de Syrie, & Procope ædif. liv. II. ch. xj. la place dans la Phénicie ; ce qui revient au même : car il parle de la Phénicie proche du Liban, qui est plus à l’orient que la Phénicie maritime. Il ajoute que Palmyre, qui avoit autrefois été bâtie dans un désert, se trouvant dans une situation fort commode pour observer les Sarrasins, & pour découvrir les courses qu’ils faisoient sur les terres de l’empire, Justinien la répara, y mit une puissante garnison, la pourvut d’eau, & réprima par ce moyen les irruptions de ces peuples. Cette ville eut le titre de colonie romaine, & Etienne le géographe dit qu’on la nomma quelquefois Hadrianopolis.

Il reste encore de superbes racines de cette ville, élevée dans un désert, possédée par les rois de Babylone, ensuite devenue capitale d’un état célebre par ses richesses, par la puissance d’Odenath, & par le courage de Zénobie sa femme. Il n’est pas probable que la curiosité du lecteur en demeure-là : les ruines de cette ville sont trop intéressantes pour ne le pas porter à rechercher ce qu’elle a été, quand & par qui elle a été fondée, d’où vient qu’elle se trouve située si singulierement séparée du reste du genre humain par un désert inhabitable, & quelle a dû être la source des richesses nécessaires pour soutenir sa magnificence. Voilà bien des motifs de curiosité.

L’Ecriture, I. Rois, ix. v. 18. & II. liv. Chron. viij. v. 4. nous apprend que Salomon fit bâtir Tadmor ou Tedmor dans le désert, après qu’il eut fait la conquête du pays d’Hamath-Zoba ; & Josephe nous assure que c’est la même ville que les Grecs & les Romains appellerent par la suite Palmyre, quoique les Syriens conservassent toujours le premier nom. Saint Jérôme pense que Tadmor & Palmyre ne sont que les noms syriens & grecs de la même ville. Ce qui semble fortifier cette opinion, c’est qu’à présent les arabes du pays l’appellent Tadmor. Mais il y a long-tems que tous les édifices que Salomon a pu élever dans ce lieu ne sont plus, puisque Nabuchodonozor détruisit cette Tadmor avant que d’assiéger Jérusalem.

On ne sauroit raisonnablement se persuader que des édifices dans le goût de ceux de Palmyre, soient antérieurs à ceux que les Grecs établirent en Syrie ; aussi n’en est-il point parlé dans l’expédition de Cyrus le jeune, ni dans celle d’Alexandre le grand, ni dans celle du regne de Séleucus Nicator, qui fit bâtir & réparer tant de lieux en Syrie. L’importance de cette ville, en qualité de place frontiere, a dû être considérable même du tems de Séleucus Callinicus ; cependant l’histoire des Séleucides n’en dit mot.

Si nous examinons à présent l’histoire romaine, nous verrons qu’il n’en est pas encore fait mention quand Pompée fit la conquête de ce pays-là ; ce n’est que du tems de Marc-Antoine qu’il en est parlé pour la premiere fois dans cette histoire. Ce capitaine romain se voyant épuisé d’argent par les dépenses excessives qu’il faisoit en Syrie, & n’ayant pas de quoi payer ses troupes, imagina de donner le pillage de Palmyre à sa cavalerie au lieu de paye, & elle s’y rendit dans l’espérance de s’y enrichir ; mais les Palmyréniens ayant été avertis de bonne heure des desseins d’Antoine, mirent à couvert leurs familles & leurs meilleurs effets de l’autre côté de l’Euphrate, dont ils défendirent si bien le passage avec leurs archers, que l’armée d’Antoine s’en retourna sans succès. Cependant les Palmyréniens outrés du projet du triumvir, prirent le parti de s’unir avec les Parthes, pour se mettre à couvert de l’avarice des Romains.

Les Palmyréniens étoient alors un peuple riche, commerçant & libre. Ptolomée marque les noms des différentes villes de l’état palmyrénien ; mais Pline, l. V. a ramassé en peu de lignes les circonstances les plus frappantes de Palmyre, excepté qu’il ne parle pas des édifices. « Cette ville, dit-il, est remarquable par sa situation, son riche terroir & ses ruisseaux agréables. Elle est environnée de tous côtés d’un vaste désert sablonneux qui la sépare totalement du reste du monde ; & elle a conservé son indépendance entre les deux grands empires de Rome & des Parthes, dont le soin principal est, quand ils sont en guerre, de l’engager dans leurs intérêts ».

Palmyre dans son état florissant, ne pouvoit qu’absolument répondre à cette description. La situation en est belle, cette ville étant au pié d’une chaîne de montagnes à l’occident, & s’élevant un peu au-dessus du niveau d’une vaste plaine qu’elle commande à l’orient. Ces montagnes étoient chargées de monumens funebres, dont plusieurs subsistent encore presqu’en entier, & ont un air vénérable. Elles étoient aussi couvertes de palmiers, de même qu’une partie du désert ; car les palmiers croissent dans les déserts sablonneux les plus arides. Abulfeda fait mention des palmiers aussi-bien que des figuiers de Palmyre, & les négocians anglois qui y allerent d’Alep en 1691, rapportent y en avoir vu plusieurs.

Il n’est point parlé de Palmyre dans le voyage que fit Trajan en cette partie de l’orient, ni dans celui d’Adrien, quoiqu’ils ayent dû passer près de cette ville. On caractérise Palmyre de colonie romaine sur la monnoie de Caracalla. On trouve par les inscriptions qu’elle se joignit à Alexandre Severe dans son expédition contre les Perses. Elle se distingua sous Gallien par la politique & les vertus d’Odenath palmyrénien, que l’empereur déclara Auguste, & associa à l’empire. Odenath laissa après lui sa femme Zénobie, si célebre par sa beauté mâle, sa science & ses conquêtes. On sait qu’Aurélien ayant pris Palmyre & fait cette princesse prisonniere, il l’amena à Rome pour orner son triomphe.

Sans doute que Palmyre, après avoir perdu sa liberté, eut un gouverneur romain. Justinien la fit réparer, & depuis lors, on n’apprend plus rien de Palmyre dans l’histoire romaine. On ne sait pas davantage ce qui est arrivé à Palmyre depuis Mahomet. Abulfeda, qui ecrivoit vers l’an 1321, est presque le seul qui en parle ; encore fait-il mention très-succinte de sa situation, de son terroir, de ses palmiers, de ses figuiers, des colomnes anciennes & en assez grand nombre qu’on y voyoit de son tems, de ses murs & de son château. Il est vraissemblable qu’il ignoroit & le nom grec, & l’histoire de cette ville ; il ne l’appelle que Tedmor.

Enfin on connoissoit si peu ses ruines avant la fin du dernier siecle, que si on en eût employé les matériaux à fortifier la place, ce qui auroit pû naturellement arriver, en conséquence d’une guerre entre la Turquie & la Perse, on sauroit à peine aujourd’hui que Palmyre a existé : exemple frappant du sort précaire auquel sont sujets les plus grands monumens de l’industrie & de la puissance humaine !

Mais en 1691 des négocians anglois eurent la curiosité d’aller voir ses ruines. On a publié dans les Transactions philosophiques la relation qu’ils en ont faite avec toute la candeur & la vérité possible. C’est ce que reconnoissent les gens de lettres également habiles & curieux, qui entreprirent en 1751 le voyage exprès de Palmyre : je parle de MM. Dawkins, Wood & Bouvery.

Ces hommes illustres, riches, unis par l’amour qu’ils avoient pour les antiquités & pour les beaux arts, l’habitude où ils étoient de voyager, savans dans le dessein & dans l’art de lever des plans, freterent un vaisseau à leurs dépens, parcoururent les îles de l’Archipel, pénétrerent dans l’Asie mineure, dans la Syrie, dans la Phénicie, dans la Palestine & l’Egypte, pour en voir les endroits les plus remarquables, moins encore pour connoître l’état présent de ce pays, que l’état ancien. Ils se pourvurent de livres, d’instrumens de mathématiques, de présens convenables pour les turcs de distinction, & autres auxquels ils se trouveroient obligés de s’adresser dans le cours de leur voyage.

Ces savans ont copié toutes les inscriptions qu’ils ont rencontrées sur leur route : ils ont plus fait, ils ont même emporté les marbres en Angleterre, toutes les fois qu’ils l’ont pu. Ils ont eu soin de se pourvoir d’instrumens pour creuser la terre ; & ils ont quelquefois employé les paysans à ce travail pendant plusieurs jours avec succès. Enfin de retour dans leur pays, ils nous ont donné les ruines de Palmyre, que le public desiroit avec empressement. Cet ouvrage magnifique publié à Londres en 1753, en anglois & en françois, contient 57 planches de forme d’Atlas, & qui sont admirablement gravées.

Il semble qu’on peut conclure par-tout ce qu’ils nous en rapportent, qu’on a dû connoître les sources abondantes & continuelles des richesses de Palmyre, tout aussi-tôt qu’on a trouvé le passage du désert, & que dès le tems auquel le commerce a commencé d’attirer l’attention des hommes, on a dû faire cas de la situation d’une telle ville, qui étoit nécessaire pour entretenir la communication entre l’Euphrate & la Méditerranée, Palmyre n’étant qu’à environ 20 lieues de cette riviere, & à environ 50 de Tyr & de Sidon sur la côte.

Il est probable que les Phéniciens commercerent à Palmyre, & que ses richesses sont dues au commerce des Indes, commerce qui doit avoir considérablement fleuri dans cette ville avant la naissance de Jesus-Christ ; car on trouve par les inscriptions, que vers ce tems-là les Palmyréniens étoient opulens, & donnoient dans le luxe. Aussi Appien les appelle expressément commerçans en marchandises des Indes, du tems de Marc Antoine.

Ainsi les Palmyréniens ont été en état de faire la dépense magnifique de leurs édifices, que les écrivains ont jusqu’ici attribuée sans aucune preuve aux successeurs d’Alexandre, ou aux empereurs romains. En effet, le commerce donnoit à Palmyre les richesses de l’orient & de l’occident ; car les caravanes de Perse & des Indes, qui viennent se décharger à Alep, s’arrêtoient alors à Palmyre ; de-là on portoit les marchandises de l’orient qui lui venoient par terre dans les ports de la Méditerranée, d’où elles se répandoient dans tout l’occident ; & les marchandises d’occident lui revenoient de la même maniere. Les caravanes de l’orient les portoient ici par terre en s’en retournant ; de sorte que comme Tyr & ensuite Alexandrie avoient eu autrefois tout le négoce de l’orient qui se faisoit par mer, Palmyre eut aussi pendant quelque tems, & seule, tout le commerce qui se faisoit par terre. D’ailleurs ce pays ne pouvoit subsister que par le négoce ; mais la perte de la liberté de ses habitans ayant entraîné celle de leur commerce, la ruine de leur ville a été prompte.

Il est difficile de deviner le siecle des édifices dont on voit les ruines par monceaux, & qui sont gravées dans le bel ouvrage dont nous avons parlé ; mais il est évident qu’ils sont d’une plus grande antiquité, que ceux dont les ruines sont encore élevées en partie. Si ces ruines sont les restes les plus considérables & les plus complets de l’antiquité que l’on connoisse, cela vient sans doute de ce que le climat est sec, de ce qu’il y a peu d’habitans dans le pays pour les gâter, & de ce qu’étant éloignée des autres villes, on n’a pas pu en employer les matériaux à d’autres usages.

On sait que la religion des Palmyréniens étoit la payenne ; & il paroît par la magnificence extraordinaire du temple du soleil, qu’ils rendoient un grand honneur à cette divinité, ainsi que les peuples de la Syrie dont ils étoient voisins.

On voit par l’histoire & par les inscriptions, que leur gouvernement étoit républicain ; mais il ne reste rien du tout de leurs lois & de leur police. On sait très-peu de choses de leurs coutumes ; leur méthode d’embaumer les corps étoit la même que celle des Egyptiens, & vraissemblablement ils avoient emprunté plusieurs autres coutumes de l’Egypte. Ils tenoient de ce pays-là la pompe extraordinaire des monumens pour leurs morts.

Enfin les Palmyréniens imitoient de grands modeles dans leurs manieres, dans leurs vices & dans leurs vertus. Les coutumes qu’ils observoient dans leurs funérailles venoient d’Egypte, leur luxe de Perse, leurs lettres & leurs arts de Grece ; situés au milieu de ces trois grandes nations, on peut raisonnablement supposer qu’ils en avoient adopté plusieurs autres choses. Qu’il est fâcheux de n’en pas savoir davantage d’un pays qui a laissé des monumens splendides, qui a eu pour reine Zénobie, & Longin pour son premier ministre !

Il faut compter entre les monumens de Palmyre, le temple du soleil. Tout son enclos étoit un espace quarré, fermé de chaque côté d’une haute & belle muraille, & orné de pilastres par-dedans & par-dehors. Cet enclos renfermoit le temple environné de plusieurs rangs de colomnes de différens ordres, & d’environ cinquante piés de hauteur. Il n’en reste plus que seize : ces colomnes soutenoient la couverture d’une galerie ; le temple avoit 92 piés de longueur, & 40 de largeur. Ce lieu est changé en une mosquée, avec des ornemens à la mode des Turcs ; c’est-à-dire quelques inscriptions arabes, & des sentences tirées de l’alcoran, entrelacées de quelques feuillages. Tout l’espace de l’enclos est aujourd’hui rempli de méchantes huttes qui servent de demeure à des habitans également pauvres & misérables. Il n’y a peut-être pas de lieu au monde où l’on voie tout ensemble & plus de restes d’une ancienne grandeur, & plus de marques d’une désolation présente.

A la sortie de ce temple, on trouve dans l’espace d’un mille, une prodigieuse quantité de colonnes de marbre, dont quelques-unes sont debout, & les autres renversées dans la derniere confusion. Plus loin on apperçoit un grand nombre de ruines, mais parmi lesquelles on voit encore tant de grandeur, qu’on ne peut douter que Palmyre n’ait été une des plus belles villes de toute l’Asie.

En continuant à marcher du côté du nord, on découvre un obélisque considérable ; c’est une colomne composée de sept grandes pierres, outre son couronnement qui est au-dessus. La sculpture en est fort belle, ainsi que celle de tous les autres endroits. Sa hauteur est de plus de cinquante piés ; & apparemment il y avoit sur le sommet une statue que les Turcs ont mise en pieces. Sa grosseur au-dessus de son piédestal, est de douze piés & demi.

A l’orient & à l’occident de cet obélisque, on voit deux autres colonnes, qui en sont éloignées chacune d’environ un quart de mille. Elles semblent se répondre l’une à l’autre ; & auprès de celle qui est du côté de l’orient, il y en a une autre rompue, d’où l’on juge qu’on en avoit mis un rang tout du long dans cet endroit-là. On a mesuré celle qui est à l’orient, & l’on a trouvé qu’elle avoit plus de 42 piés de haut. Elle est grosse à proportion, & on y lit une inscription en langue greque.

Cette inscription apprend que ceux qui avoient fait dresser cette colonne, étoient une nation libre, gouvernée par un sénat & par le peuple, & peut-être sous la protection de quelque puissant empire, tel que fut premierement celui des Parthes, & ensuite celui des Romains, qui ont souvent disputé aux Parthes la domination de ce pays-là. Cette forme de gouvernement des Palmyréniens avoit duré jusqu’au tems d’Aurélien qui prit cette ville en 272, sur la célebre Zénobie, la seconde femme du grand Odenath, chef ou prince des Palmyréniens, & qui ne rendit pas son nom moins recommandable.

Odenath avoit vengé sur les Perses la prise de l’empereur Valérien ; il avoit vaincu la plûpart des lieutenans de Sapor, & chassé de la Mésopotamie ce roi victorieux. Ces beaux exploits engagerent Gallien à lui conférer la qualité d’Auguste dans les provinces romaines, en-deçà & au-delà de l’Euphrate ; mais ses victoires furent bornées par sa mort. Le perfide Méonius son parent, l’assassina dans un festin l’an 267 ; & l’on soupçonna Zénobie d’avoir consenti à cette action, indignée de la tendresse qu’Odenath témoignoit à son fils Hérode qu’il avoit eu d’une autre femme.

Sans ce crime de cruelle marâtre, dont l’accuse Trebellius Pollion, on pourroit mettre Zénobie au nombre des plus grandes raretés qu’on ait vues sur la terre. Ce fut une belle femme, chaste, savante, courageuse, sobre, & sachant par politique boire beaucoup de vin dans certaines occasions. Voici son portrait : Mulierum omnium nobilissima orientalium fæminarum, & ut Cornelius Capitolinus asserit, expeditissima, vultu subaquilo, fusci coloris, oculis suprà modum vigentibus, nigris, spiritus divini, venustatis incredibilis : tantus candor in dentibus, ut margaritas eam plerique putarent habere, non dentes.

Elle avoit beaucoup contribué aux victoires qu’Odenath remporta sur les Perses, & qui conserverent l’orient aux Romains. Aussi fut-elle honorée de la qualité d’Auguste par le même Gallien. Après la mort de son mari, elle se maintint dans l’autorité, & regna d’une maniere très-vigoureuse & très-glorieuse. Elle se mit à la tête de ses troupes, força les Perses d’accepter la paix, & devint la terreur de toute l’Asie. Elle ne put souffrir que les Romains y tinssent aucune place que sous sa protection ; & les barbares ayant fait irruption de tous côtés dans leurs provinces, elle étendit ses conquêtes depuis les bords du Tigre jusqu’à ceux de l’Hellespont, prit le superbe nom de reine d’Orient, après que Zaba, l’un de ses plus grands capitaines, eut achevé de lui assujettir l’Egypte.

Cette princesse dont la valeur soutenue d’une prudence extraordinaire, avoit subjugué tant de provinces de l’Asie, fut enfin obligée de céder aux armes romaines. Aurélien, qui avoit défait les Sarmates, les Marcomans, & chassé tous les Barbares hors de l’empire romain, eut honte qu’une femme usurpât sur lui tant de pays : il le prépara à humilier cette reine ambitieuse. Il n’ignoroit pas sa réputation ni ses exploits. Il savoit qu’elle étoit aimée de ses soldats, respectée de ses voisins & redoutée de ses ennemis, & qu’elle égaloit Odenath en mérite & en courage.

Il marcha donc contr’elle avec toutes les forces de l’empire. Il la vainquit auprès de la ville d’Emese ; mais il lui en coûta ses meilleures troupes. Il mit ensuite le siege devant Palmyre, où cette princesse s’étoit retirée, & où il trouva plus de résistance qu’il ne l’imaginoit. Fatigué de la longueur du siege, & redoutant toujours les événemens que pouvoit amener le courage de Zénobie, il lui écrivit une lettre dans laquelle il lui marquoit que si elle se remettoit entre ses mains, il lui offroit la vie, un état honnête, & un lieu de retraite convenable à son rang. Cette illustre reine avoit trop de cœur pour écouter de pareilles conditions. Voici la réponse qu’elle fit à Aurélien.

« Zénobie, reine de l’Orient, à l’empereur Aurélien. Personne jusqu’ici n’a fait une demande pareille à la tienne. C’est la vertu, Aurélien, qui doit agir dans la guerre. Tu me mandes de me remettre entre tes mains : comme si tu ne savois pas que Cléopatre aima mieux mourir avec le titre de reine, que de vivre dans toute autre dignité. Nous attendons le secours des Perses. Les Sarrasins arment pour nous. Les Arméniens se sont déclarés en notre faveur. Une troupe de voleurs dans la Syrie a défait ton armée. Juge ce que tu dois attendre, quand toutes ces forces seront jointes. Tu rabattras de cet orgueil avec lequel, comme maître absolu de toutes choses, tu m’ordonnes de me rendre ».

Cette lettre n’inspira que de la colere à Aurélien ; il poussa le siege de Palmyre avec vigueur, & Zénobie n’ayant plus d’espérance d’empêcher la prise de sa capitale, en sortit secrettement. Aurélien en fut averti, & la fit suivre avec tant de diligence, qu’on l’atteignit lorsqu’elle étoit déja dans le bac pour passer l’Euphrate : ce fut en 272, & la ville de Palmyre fut prise peu de jours après.

Quoique toute l’armée demandât la mort de Zénobie, Aurélien aima mieux la reserver pour servir d’ornement à son triomphe. Elle fut menée à Rome deux ans après, chargée de pierreries, de fers d’or aux piés, & de chaînes d’or aux mains ; ensuite l’empereur lui permit de passer le reste de ses jours avec ses enfans en personne privée dans une maison qu’il lui donna, & dont on voit encore les ruines près de Tibur.

Mais Aurélien fit mourir les ministres qui avoient assisté Zénobie de leurs conseils. Entre ceux-là, Longin fut extrèmement regretté. On le soupçonna d’être l’auteur de la lettre dont nous avons donné la copie, & sa mort fut aussi glorieuse pour lui qu’honteuse pour l’empereur, dont elle a pour jamais flétri la mémoire. Longin mourut en philosophe, avec une constance admirable, consolant lui-même tous ceux que son malheur touchoit de pitié & d’indignation. Je vais donc achever de faire connoître ce grand personnage.

Il se nommoit Dionysius Longinus Cassius. On ignore le nom & la qualité de son pere ; sa mere étoit sœur du fameux orateur Cornelius Fronto, petit-fils du philosophe Plutarque. Fronton enseigna long-tems l’éloquence dans Athènes avec beaucoup de réputation. Il y mourut, après avoir institué pour héritier son neveu Longin, qui étoit vraissemblablement syrien & natif d’Emèse : c’est pour cela que Zénobie le fit venir à sa cour, & l’admit dans son conseil.

Ce qui donne encore du poids à l’opinion que Longin étoit natif de Syrie, c’est une inscription que le savant Hudson a trouvée dans le comté de Chester, & qui prouve que les Longins étoient citoyens de Samosate en Syrie. Voici cette inscription : Flavius Longinus Trib. Mil. Leg. XX. Longinus filius ejus domo samosata.

Longin employa, comme il nous l’apprend lui-même, dans un fragment conservé par Porphyre, sa jeunesse à voyager avec ses parens, pour s’instruire de plus en plus dans les belles lettres & dans la philologie, en étudiant sous tous les hommes de son tems les plus célebres. Son traité du sublime lui acquit la plus grande réputation, & fut cause qu’on lui donna le droit de revoir & de juger souverainement les ouvrages des anciens. C’est dommage que ce traité du sublime ne soit parvenu à nous tout entier, & qu’il s’y trouve même plusieurs endroits défectueux. Néanmoins tout défiguré qu’il est, il nous en reste encore assez pour nous faire concevoir une grande idée de son auteur, & pour nous donner du regret de la perte de ses autres ouvrages de critique. Le nombre n’en étoit pas médiocre. Suidas en compte jusqu’à neuf, dont il ne nous reste plus que le titre assez confus. Zénobie, après l’avoir appellé auprès d’elle pour s’instruire dans la langue greque, en fit un de ses principaux ministres, & ce rang éminent lui coûta la vie.

Il est vraissemblable que ce fut lui qui engagea la reine de Palmyre à protéger Paul de Samosate, qui avoit été condamné au concile d’Antioche ; & cette protection puissante empêchoit pour lors qu’il ne fût chassé de son église. Il n’en a pas fallu davantage à S. Athanase pour assurer que Zénobie étoit juive de religion. Mais par quelle raison une princesse payenne n’auroit-elle pas protégé un savant qu’on lui recommandoit comme malheureux & opprimé ?

Les anglois qui furent aux ruines de Palmyre en 1691, y recueillirent dès-lors plusieurs inscriptions greques, & quelques-unes en langue palmyrénienne. On les a communiquées au public, & elles ont été imprimées à Utrecht en 1698, sous le titre de Inscriptiones græcæ Palmyrenorum. On y en joignit en même tems quelques-unes en caracteres du pays, dans l’espérance qu’on pourroit déchiffrer ces caracteres pour en faire un alphabet ; mais personne n’a pu encore remplir ce desir, & peut-être que cette recherche doit être mise au nombre des curiosités inutiles.

Il n’en est pas de même de la médaille de la reine Zénobie, trouvée en 1690 dans les ruines de Palmyre, & que M. Vaillant le pere a expliquée dans les mémoires de littérature, tom. II. in-4°.

Cette médaille est de bronze, & de petit moule ; mais quoique le métal n’en soit pas considérable, non plus que la grandeur, la rareté en récompense bien le prix & le mérite. Elle a d’un côté une tête de femme avec cette inscription : Ϲερτιμία Ζηνοβια Ϲεβαστη. Sa coëffure est à la romaine, comme celles du tems de Salonine, femme de l’empereur Gallien ; & quoique cette princesse soit étrangere, elle ne porte pas le nom de reine, ni le diadème. Elle prend le titre d’Auguste qui avoit été accordé à son mari.

M. Seguin est le premier qui nous a donné le portrait de cette illustre conquérante, qu’il a mis dans ses médailles choisies au nombre des plus rares, avec le type de l’espérance au revers. Patin, dans son livre du moyen bronze, y a ajouté un second type de l’image de l’abondance. Tristan avant eux avoit écrit une partie de la vie de Zénobie, quoiqu’il n’eût donné aucun monument de cette héroïne. (Le chevalier de Jaucourt.)