L’Encyclopédie/1re édition/PAGUS

PAHAN  ►

PAGUS, (Géog. anc.) ce mot a divers sens, & vient lui-même de πάγα, mot dorique, pour πήγη, fontaine, parce que, dit Festus, les Pagi prennent à une même fontaine l’eau dont ils ont besoin.

Pagus differe de vicus, en ce qu’il n’exige pas une disposition en forme de rue, & qu’il suffit que les maisons aient un rapport de voisinage entre elles, quoique dispersées & rangées confusément.

Le pagos des Grecs veut dire une colline, & par conséquent n’est point la même chose que le pagus des Latins. Ainsi, ἀρέιος πάγος, veut dire, la colline de Mars ; c’étoit le nom qu’on donnoit à l’aréopage d’Athènes, parce qu’elle étoit sur une colline consacrée au dieu de la guerre. On peut voir dans Alde Manuce, liv. III. de quæsit. epist. vij. la différence qui distingue, selon lui les mots castellum, pagus, vicus, opidum, urbs, & villa.

Paganus dans sa signification primitive, signifie un homme qui demeure à la campagne, où il s’occupe à l’agriculture, en un mot un paysan. Comme les gens de la campagne n’ont point cette politesse qui regne dans les villes, il semble que la grossiereté soit leur partage ; c’est dans ce sens que Perse se qualifie lui-même de demi-paysan :

Ipse semi-paganus
Ad sacra vatum carmen adfero nostrum.

Varron, de lingua lat. liv. V. appelle pagantiæ feriæ, certaines fêtes communes aux gens de la campagne ; au-lieu que paganalia étoient des fêtes particulieres à chaque village. Pline, l. XXVIII. c. ij nomme pagana lex, une loi par laquelle il étoit defendu aux femmes qui étoient en voyage de tourner un fuseau, ni de le porter à découvert, parce que l’on croyoit que par cette action on pouvoit jetter un maléfice sur la campagne, & nuire aux biens de la terre.

Dans les anciens tems de la république romaine, l’agriculture & l’art militaire n’étoient pas incompatibles, & on voyoit les premiers hommes de l’état conduire eux-mêmes la charrue, de la même main dont ils venoient de gagner une bataille. Mais avec le tems le luxe augmenta les possessions, & la vanité peupla les champs d’hommes serviles, que l’on chargea du travail des terres ; il ne demeura avec eux dans les villages que les pauvres gens qui n’avoient pas de quoi subsister dans les villes.

Comme ces gens-là n’étoient point enrôlés dans les armées romaines ; de-là vint ce contraste que l’on trouve entre les mots miles, un homme de guerre, & paganus, un homme qui ne va point à la guerre. Cette opposition est fréquente dans les Jurisconsultes ; mais elle est bien expressément marquée dans ces vers de Juvénal, Sat. xvj. v. 32.

Citiùs falsum producere testem
Contrà paganum posses, quam vera loquentem
Contrà fortunam armati.

« Le soldat trouvera bien plûtôt un faux témoin contre le villageois, que le villageois n’en trouvera un véritable contre le soldat ».

De paganus nous avons fait les mots de payen & de paganisme, parce que, comme les gens de la campagne, occupés d’un travail pénible, & destitués des secours de l’éducation, qui prépare l’esprit aux matieres de raisonnement, sont toujours plus attachés que les autres aux sentimens qu’ils ont sucés avec le lait, il arriva lorsque la religion chrétienne eut fait de grands progrès dans les villes, que les gens de la campagnes conserverent l’idolâtrie long-tems après la conversion des villes. Les mots de paganus & d’idolâtre devinrent alors synonymes, & nous avons adopté ce mot en l’accommodant à notre langue : ainsi nous appellons payens les idolâtres, & paganisme l’idolâtrie, qui est la religion des payens.

Nous avons aussi adopté le mot pagus, mais dans un sens que les anciens lui donnoient semblablement, & nous en avons fait le mot de pays. Les Romains l’ont employé dans le sens de canton ou contrée. La Thrace & l’Arménie étoient divisées en stratégies ou préfectures militaires ; la Judée en toparchies ou seigneuries ; l’Egypte en nomes : de même la Gaule & la Germanie étoient partagées en pagi, cantons : c’est sur ce pié-là que Jutes-César dit que les Sueves, peuples de Germanie, étoient divisés en cent cantons, centum pagos.

Samson divise les peuples en grands & en petits. Les grands peuples étoient ce que les anciens ont appellé civitas, & chaque civitas étoit divisée en pagi ; mais il faut aussi remarquer que les grands cantons nommés pagi étoient eux-mêmes divisés en des cantons ou pagi subalternes, qui en faisoient partie. Ainsi pagus Patavus, le Poitou, comprenoit pagus Lausdunensis, le Loudunois ; pagus Toarcensis, le pays de Thouars ; pagus Ratiacensis, le duché de Rets, &c. Ainsi les grands cantons ou pagi du premier ordre, ne sont point différens des cantons appellés civitas, c’est-à-dire des grands peuples ; mais les minores pagi, c’est-à-dire les petits cantons, en différoient beaucoup. (D. J.)