L’Encyclopédie/1re édition/PÉCULAT

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PÉCULAT, s. m. (Jurisprud.) est le crime de ceux qui détournent les deniers qui se levent sur le public.

Il fut ainsi nommé chez les Romains, parce que leurs monnoies portoient l’empreinte de quelques figures d’animaux, appellés en latin pecus.

Marc Caton se plaignant que de son tems le péculat demeuroit impuni, disoit que ceux qui voloient les particuliers passoient leur vie dans les prisons & dans les fers ; mais que ceux qui pilloient le public, vivoient dans l’opulence & dans la grandeur.

Cependant chez les Romains ceux qui étoient convaincus de ce crime, étoient punis de mort, & ils ne pouvoient obtenir d’abolition : ce qui n’a pas lieu parmi nous.

Ce crime se commet par les receveurs & officiers qui ont le maniement des deniers, ou par les magistrats & autres officiers qui en sont les ordonnateurs.

Il se commet en diverses manieres, comme par omission dans la recette des comptes, faux & doubles emplois dans la dépense ; par des levées & exactions de deniers, faites outre & par-dessus les sommes contenues aux commissions du roi ; par la délivrance de doubles contraintes, pour une même somme que l’on fait payer deux fois sans en donner d’acquit ou autrement ; en cachant au peuple la remise que le roi lui a fait de certaines impositions pendant un tems, & exigeant ces impositions ; en exigeant des redevables de gros intérêts pour les délais qu’on leur accorde ; en employant dans les comptes des pertes de finances qui sont supposées ; en portant en reprise des sommes comme si elles n’avoient point été reçues, quoiqu’en effet elles l’ayent été ; en levant des deniers sans commission du roi ; enfin en retardant les payemens, & se servant des deniers pour leur profit particulier.

Ceux qui ont prêté leur nom, aide & secours à ceux qui ont commis ces malversations, se rendent coupables du même crime.

Anciennement en France, ce crime étoit puni de mort comme chez les Romains ; Bouchel en son traité de la justice criminelle, en rapporte plusieurs exemples, antérieurs même à l’ordonnance de François l. dont on va parler.

Cette ordonnance qui est du mois de Mars 1545, porte que le crime de péculat sera puni par confiscation de corps & de biens, par quelques personnes qu’il ait été commis ; que si le délinquant est noble, il sera outre ladite peine privé de noblesse, & lui & ses descendans, déclarés vilains & roturiers : & que si aucuns comptables se latitent & retirent du royaume sans avoir rendu compte, & payé le reliqua par eux dû, il sera procédé contre eux par déclaration de même peine que contre ceux qui ont commis le crime de péculat.

Mais depuis cette ordonnance, il y a eu bien peu d’exemples de personnes punies de mort pour crime de péculat.

Il y a eu néanmoins en divers tems des commissions générales & établissement de chambres de justice pour la recherche de ceux qui avoient malversé dans les finances ; mais presque toutes ces poursuites ont été terminées par des lettres d’abolition accordées moyenant certaine somme.

Louis XIII. par édit du mois d’Octobre 1624, donna grace & abolition à tous les coupables ou complices du crime de péculat, qui avant que d’être accusés & prévenus, viendroient à révélation des fautes commises par eux ou leurs complices, restitueroient ce qu’ils auroient mal pris, & donneroient mémoires & instructions contre ceux qu’ils auroient déférés ; mais au mois de Novembre suivant, il y eut une déclaration qui exempta de la recherche ceux qui avoient traité avec le roi ; & par deux édits des mois de Juillet 1665 & Août 1669, on voit que la peine du péculat n’est plus que pécuniaire.

Une chose à remarquer pour la preuve de ce crime, c’est qu’un témoin singulier est reçu & fait foi, pourvu qu’il y ait plusieurs témoins singuliers qui déposent des faits semblables. Voyez Papon, l. XXII. tit. 2. Despeisses, tom. II. tr. des Causes criminelles, part. I. tit. 12. sect. 2. art. 7. (A)

Péculat, s. m. (Art. milit. des Rom.) Je n’envisage ici le péculat que comme un larcin militaire, qui a trop souvent regné depuis que la guerre exerce ses déprédations. La fameuse loi Julia comprit sous le péculat, non-seulement le larcin des deniers publics, mais encore tout ce qui étoit sacré, ou qui appartenoit à la république : tel étoit le pillage fait sur les ennemis. Elle régloit la punition du crime selon les circonstances. Elle punissoit les uns par la déportation, & les autres par la confiscation de leurs biens. On fut obligé, sur la fin de la république, de fermer les yeux sur la punition du péculat militaire. En vain Caton se plaignit de la licence des soldats & des généraux. « Les voleurs, dit-il, des biens de nos citoyens sont punis ou par une prison perpétuelle, ou par la peine du fouet ; & ceux qui volent le public jouissent impunément de leurs larcins dans la pourpre & dans la tranquillité ». Mais alors tout le monde étoit coupable de péculat.

On commettoit même ce crime dans les commencemens de la république, quand on s’arrogeoit quelque chose de ce qui avoit été pris sur les ennemis. Ciceron, pour rendre le péculat dont il accusoit Verrés, plus odieux, lui impute d’avoir enlevé une statue qui avoit été prise dans un pillage ennemi. Non seulement on punissoit les généraux & les gouverneurs comme coupables de péculat, mais encore les soldats qui n’apportoient pas ce qu’ils avoient pris ; car on exigeoit d’eux, en recevant le serment accoutumé, qu’ils garderoient fidellement le pillage sans en rien détourner ; & c’est sur le fondement de ce serment, dont la formule est rapportée par Aulugelle, liv. XVI. ch. iv. que le jurisconsule Modestin a décidé, ff. ad l. Jul. peculat. que tout militaire qui dérobe le pillage fait sur les ennemis, est coupable de péculat.

Nous ne sommes pas aujourd’hui si séveres ; non seulement le soldat ne remet rien aux généraux de ce qu’il a pris dans un pillage, mais les généraux eux-mêmes ne rendent compte de leurs pillages ni aux princes, ni à l’état. Cependant ils ne sont pas tous dans le cas de Scipion l’Africain accuse devant le peuple de péculat. Ce grand homme, à qui sa conscience ne reprochoit rien, se présenta dans le champ de Mars, & sans daigner entrer dans la justification de son innocence : « Romains, dit-il, ce fut dans un semblable jour que je vainquis Amilcar & les Carthaginois. Suspendons nos querelles, & rendons-nous au capitole pour remercier les dieux protecteurs de la patrie. Quant à ce qui me regarde, ajouta-t-il, si depuis ma tendre jeunesse jusqu’à ce jour, vous avez bien voulu m’accorder des honneurs particuliers, j’ai tâché de les mériter, & même de les surpasser par mes actions ». En finissant ces mots, il tourna ses pas vers le capitole, & tout le peuple le suivit. (D. J.)