L’Encyclopédie/1re édition/OPHIOMANCIE

OPHIOMANCIE, s. f. divination par les serpens. Ce mot est formé du grec ὄφις, serpent, & de μαντεία, divination. L’ophiomancie étoit fort en usage chez les anciens ; elle consistoit à tirer des présages bons ou mauvais des divers mouvemens qu’on voyoit faire aux serpens. On en trouve plusieurs exemples dans les Poëtes. Ainsi dans Virgile, Ænéïd. liv. V. Enée voit sortir du tombeau d’Anchise un serpent énorme, dont le corps fait mille replis tortueux ; ce serpent tourne autour du tombeau & des autels, se glisse entre les vases & les coupes, goûte de toutes les viandes offertes, & se retire ensuite au fond du sépulchre sans faire aucun mal aux assistans. Le héros en tire un heureux présage pour le succès de ses desseins.

Rien n’étoit si simple que l’origine de cette divination. « Le serpent, dit M. Pluche, symbole de vie & de santé, si ordinaire dans les figures sacrées, faisant si souvent partie de la coëffure d’Isis, toujours attaché au bâton de Mercure & d’Esculape, inséparable du coffre qui contenoit les mysteres, & éternellement ramené dans le cérémonial, passa pour un des grands moyens de connoître la volonté des dieux.

» On avoit tant de foi, ajoute t-il, aux serpens & à leurs prophéties, qu’on en nourrissoit exprès pour cet emploi ; & en les rendant familiers, on étoit à portée des prophetes & des prédictions. Une foule d’expériences faites depuis quelques années par nos apoticaires & par la plûpart de nos botanistes, auxquels l’occasion s’en présente fréquemment dans leurs herborisations, nous ont appris que les couleuvres sont sans dents, sans piquûre & sans venin. La hardiesse avec laquelle les devins & les prêtres des idoles manioient ces animaux, étoit fondée sur l’épreuve de leur impuissance à mal faire ; mais cette sécurité en imposoit aux peuples, & un ministre qui manioit impunément la couleuvre, devoit sans doute avoir des intelligences avec les dieux. Hist. du ciel, tome premier, page 447 ».

Les Marses, peuples d’Italie, se vantoient de posséder le secret d’endormir & de manier les serpens les plus dangereux. Les anciens racontent la même chose des Prylles, peuples d’Afrique ; & l’on pourroit même regarder comme une espece d’ophiomancie la coutume qu’avoient ceux-ci d’exposer aux cérastes leurs enfans lorsqu’ils étoient nés, pour connoître s’ils étoient légitimes ou adultérins. Car dit Lucain, traduit par Brébeuf :

L’enfant par les serpens constamment respecté,
D’un pur attouchement prouve la pureté ;
Et lorsque sa naissance est un présent du crime,
De ces monstres cruels il devient la victime.

On trouve sur cette matiere une dissertation très curieuse de M. l’abbé Souchay, dans les mémoires de l’académie des Belles Lettres, tome VII. p. 273.