L’Encyclopédie/1re édition/ODYSSÉE

◄  ODRISAE
ODYSSIA  ►

ODYSSÉE, s. f. (Belles-lettres.) poëme épique d’Homere, dans lequel il décrit les aventures d’Ulysse retournant à Itaque après la prise de Troie. Voyez Epique. Ce mot vient du grec Ὀδυσσεία, qui signifie la même chose, & qui est dérivé d’Ὀδυσσεύς, Ulysse.

Le but de l’iliade, selon le P. le Bossu, est de faire voir la différence de l’état des Grecs réunis en un seul corps, d’avec les Grecs divisés entre eux ; & celui de l’odyssée est de nous faire connoître l’état de la Grece dans ses différentes parties. Voyez Iliade.

Un état consiste en deux parties, dont la premiere est celle qui commande, la seconde celle qui obéit. Or il y a des instructions nécessaires & propres à l’une & à l’autre ; mais il est possible de les réunir dans la même personne.

Voici donc, selon cet auteur, la fable de l’odyssée. Un prince a été obligé de quitter son royaume, & de lever une armée de ses sujets, pour une expédition militaire & fameuse. Après l’avoir terminée glorieusement, il veut retourner dans ses états, mais malgré tous ses efforts il en est éloigné pendant plusieurs années, par des tempêtes qui le jettent dans plusieurs contrées, différentes par les mœurs, les coutumes de leurs habitans, &c. Au milieu des dangers qu’il court, il perd ses compagnons, qui périssent par leur faute, & pour n’avoir pas voulu suivre ses conseils. Pendant ce même tems les grands de son royaume, abusant de son absence, commettent dans son palais les désordres les plus criants, dissipent ses trésors, tendent des pieges à son fils, & veulent contraindre sa femme à choisir l’un d’eux pour époux, sous prétexte qu’Ulysse étoit mort. Mais enfin il revient, & s’étant fait connoître à son fils & à quelques amis qui lui étoient restés fideles, il est lui-même témoin de l’insolence de ses courtisans. Il les punit comme ils le méritoient, & rétablit dans son île la paix & la tranquillité qui en avoient été bannis durant son absence. Voyez Fable.

La vérité, ou pour mieux dire la moralité enveloppée sous cette fable, c’est que quand un homme est hors de sa maison, de maniere qu’il ne puisse avoir l’œil à ses affaires, il s’y introduit de grands désordres. Aussi l’absence d’Ulysse fait dans l’odyssée la partie principale & essentielle de l’action, & par conséquent la principale partie du poëme.

L’odyssée, ajoute le P. le Bossu, est plus à l’usage du peuple que l’iliade, dans laquelle les malheurs qui arrivent aux Grecs viennent plutôt de la faute de leurs chefs que de celle des sujets ; mais dans l’odyssée le grand nom d’Ulysse représente autant un simple citoyen, un pauvre paysan, que des princes, &c. Le petit peuple est aussi sujet que les grands à ruiner ses affaires & sa famille par sa négligence, & par conséquent il est autant dans le cas de profiter de la lecture d’Homere que les rois mêmes.

Mais, dira-t-on, à quel propos accumuler tant de fictions & de beaux vers pour établir une maxime aussi triviale que ce proverbe : Il n’est rien tel que l’œil du maître dans une maison. D’ailleurs pour en rendre l’application juste dans l’odyssée, il faudroit qu’Ulysse pouvant se rendre directement & sans obstacles dans son royaume, s’en fût écarté de propos déliberé ; mais les difficultés sans nombre qu’il rencontre lui sont suscitées par des divinités irritées contre lui. Le motif de la gloire qui l’avoit conduit au siege de Troie, ne devoit pas passer pour condamnable aux yeux des Grecs, & rien ce me semble ne paroît moins propre à justifier la volonté du proverbe, que l’absence involontaire d’Ulysse. Il est vrai que les sept ans qu’il passe à soupirer pour Calypso, ne l’exemptent pas de reproche ; mais on peut observer qu’il est encore retenu là par un pouvoir supérieur, & que dans tout le reste du poëme il ne tente qu’à regagner Ithaque. Son absence n’est donc tout au plus que l’occasion des désordres qui se passent dans sa cour, & par conséquent la moralité qu’y voit le P. le Bossu paroît fort mal fondée.

L’auteur d’un discours sur le poëme épique, qu’on trouve à la tête des dernieres éditions du Télémaque, a bien senti cette inconséquence, & trace de l’odyssée un plan bien différent & infiniment plus sensé. « Dans ce poëme, dit-il, Homere introduit un roi sage, revenant d’une guerre étrangere, où il avoit donné des preuves éclatantes de sa prudence & de sa valeur : des tempêtes l’arrêtent en chemin, & le jettent dans divers pays dont il apprend les mœurs, les lois, la politique. Delà naissent naturellement une infinité d’incidens & de périls. Mais sachant combien son absence causoit de désordres dans son royaume, il sur monte tous ces obstacles, méprise tous les plaisirs de la vie, l’immortalité même ne le touche point, il renonce à tout pour soulager son peuple ».

Le vrai but de l’odyssée, considerée sous ce point de vûe, est donc de montrer que la prudence jointe à la valeur, triomphe des plus grands obstacles ; & envisagé de la sorte, ce poëme n’est point le livre du peuple, mais la leçon des rois. A la bonne heure que la moralité qu’y trouve le pere le Bossu s’y rencontre, mais comme accessoire & de la même maniere qu’une infinité d’autres semblables, telles que la nécessité de l’obéissance des sujets à leurs souverains, la fidélité conjugale, &c. Gérard Croës hollandois, a fait imprimer à Dort en 1704, un livre intitulé ΟΜΗΡΟΣ ΕΒΡΑΙΟΣ, dans lequel il s’efforce de prouver qu’Homere a pris tous ses sujets dans l’Ecriture, & qu’en particulier l’action de l’odyssée n’est autre chose que les pérégrinations des Israélites jusqu’à la mort de Moïse, & que l’odyssée étoit composée avant l’iliade, dont le sujet est la prise de Jéricho. Quelles visions !