L’Encyclopédie/1re édition/NIVEAU

◄  NIVE
NIVELLE  ►

NIVEAU, s. m. (Arpent.) instrument propre à tirer une ligne parallele à l’horison, & à la continuer à volonté, ce qui sert à trouver la différence de hauteur de deux endroits, lorsqu’il s’agit de conduire de l’eau de l’un à l’autre, de dessécher des marais, &c. ce mot vient du latin libella, verge ou fléau d’une balance, laquelle pour être juste doit se tenir horisontalement.

On a imaginé des instrumens de plusieurs especes & de différentes matieres pour perfectionner le nivellement, ils peuvent tous, pour la pratique, se réduire à ceux qui suivent.

Le niveau d’air est celui qui montre la ligne de niveau par le moyen d’une bulle d’air enfermée avec quelque liqueur dans un tuyau de verre d’une longueur & d’une grosseur indéterminées, & dont les deux extrémités sont scellées hermétiquement, c’est-à-dire fermées par la matiere même du verre, qu’on a fait pour cela chauffer au feu d’une lampe. Lorsque la bulle d’air vient se placer à une certaine marque pratiquée au milieu du tuyau, elle fait connoître que le plan sur lequel la machine est posée est exactement de niveau ; mais lorsque ce plan n’est point de niveau, la bulle d’air s’éleve vers l’une des extrémités. Ce tuyau de verre peut se placer dans un autre de cuivre, qui a dans son milieu une ouverture, au moyen de laquelle on observe la position & le mouvement de la bulle d’air ; la liqueur, dont le tuyau est rempli, est ordinairement ou de l’huile de tartre, ou de l’eau seconde, aqua secunda, parce que ces deux liqueurs ne sont sujettes ni à se geler, comme l’eau ordinaire, ni à la raréfaction & à la condensation, comme l’esprit de vin.

On attribue l’invention de cet instrument à M. Thevenot.

Le niveau d’air avec pinules n’est autre chose que le niveau d’air perfectionné, auquel on a ajouté quelques pieces pour le rendre plus commode & plus exact : cet instrument est composé d’un niveau d’air (Pl. d’Arpent. fig. 4.) d’environ 8 pouces de long, & de 7 à 8 pouces de diametre ; il est renfermé dans un tuyau de cuivre, avec une ouverture au milieu : les tuyaux sont placés dans un conducteur ou une espece de regle droite d’une matiere solide, & longue d’un pié, aux extrémités de laquelle il y a des pinules exactement perpendiculaires aux tuyaux & d’égale hauteur ; elles sont percées chacune d’une ouverture quarrée, où sont deux filets de cuivre qui se croisent à angles droits, & au milieu desquels est pratiqué un très-petit trou, pour voir à travers le point auquel on veut viser. Le tuyau de cuivre est attaché au conducteur au moyen de deux vis, dont l’une sert à élever & à abaisser le tube à volonté pour le mettre de niveau. Le haut de la boule ou du bec est rivé à un petit conducteur qui saille en haut, dont un des bouts est attaché à vis au grand conducteur, & l’autre est garni d’une vis 5, qui sert à élever & à abaisser l’instrument. Cet instrument est pourtant moins commode qu’un autre dont nous allons parler, parce que, quelque petits que soient les trous, ils font cependant appercevoir toujours un trop grand espace pour qu’il soit possible de déterminer précisément le point de niveau.

Le niveau d’air avec lunettes (Pl. d’Arp. fig. 5.) est semblable au précédent, avec cette seule différence qu’au lieu de simple pinules, il est garni d’un télescope qui le rend propre à déterminer exactement ce point de niveau à une grande distance.

Le télescope est dans un tuyau de cuivre d’environ 15 pouces de long, attaché au même conducteur que le niveau ; par l’extrémité du tube du télescope, on fait entrer le petit tube, qui porte le verre oculaire, & un cheveu placé horisontalement dans le foyer du verre objectif 2 ; on peut faire avancer & reculer ce petit tuyau, afin que le télescope soit propre à différentes vûes ; à l’autre extrémité du télescope est placé le verre objectif ; la vis 3 sert à élever ou à abaisser la petite fourchette qui porte le cheveu, & à le faire cadrer avec la bulle d’air, lorsque l’instrument est de niveau : la vis 4 sert à faire cadrer la bulle d’air avec le télescope, & tout l’instrument s’ajuste sur un genou.

On regarde M. Huyghens comme l’inventeur de ce niveau, qui a l’avantage de pouvoir se retourner, ce qui sert à en vérifier les opérations ; car si après que l’instrument a été retourné, le cheveu coupe toujours le même point qu’auparavant, c’est une preuve certaine de la justesse de l’opération.

On doit remarquer ici qu’on peut ajouter un télescope à telle espece de niveau qu’on voudra, lorsqu’il sera question de prendre le niveau d’objets fort éloignés : il ne faut pour cela qu’appliquer une lunette sur la base ou parallelement à la base.

Le niveau simple a la forme d’une équerre dont les deux branches sont d’égale longueur. A leur intersection est un petit trou d’où pend une corde avec un petit plomb qui bat sur une ligne perpendiculaire au milieu d’un quart de cercle qui joint les extrémités des deux branches : ce quart de cercle est souvent divisé en 90 degrés, ou plûtôt en 2 fois 45 degrés pour en marquer le milieu, voyez fig. 6. lettre F. On peut faire usage de cet instrument en d’autres circonstances que celles de l’artillerie ; pour s’assurer, par exemple, si un plan est de niveau, il faut pour cela placer les extrémités de ses deux jambes sur le plan, & le tenir de façon que la corde rase le limbe du quart de cercle. Si elle bat alors exactement sur la division du milieu de ce quart de cercle, on en pourra conclure avec certitude que le plan est de niveau.

Le niveau des Charpentiers & des Paveurs est une longue regle, au milieu de laquelle est ajustée à angles droits une autre plus petite, qui porte vers le haut un fil avec un plomb, lequel lorsqu’il bat sur une ligne de foi perpendiculaire à la base, marque que la base est horisontale.

Ce niveau & celui des Maçons, quoique très communs, sont regardés comme les meilleurs pour les bâtimens ; mais leurs opérations ne peuvent s’étendre qu’à de très-petites distances.

Le niveau des Canonniers, ou celui dont on se sert pour niveler les canons & les mortiers, est un instrument (Pl. d’Arpent. fig. 8.) qui est composé d’une plaque triangulaire, haute d’environ 4 pouces. au bas de laquelle est un arc de cercle de 45 degrés divisé en degrés ; ce nombre de degrés étant suffisant pour la plus grande hauteur à laquelle on éleve les canons & les mortiers, & pour donner aux coups la plus grande portée. Au centre de ce segment de cercle est attachée à vis une piece ou espece d’alidade de cuivre, laquelle par le moyen de la vis, peut se fixer ou se mouvoir à volonté ; l’extrémité de cette piece de cuivre est faite de façon à pouvoir porter un petit plomb ou index qui marque les différens degrés d’élévation de la piece d’artillerie ; cet instrument a aussi un pié de cuivre qui se place sur le canon ou mortier, & qui fait prendre à tout l’instrument une situation verticale quand la piece est horisontale.

L’usage de ce niveau se présente de lui-même, & consiste à placer le pié de l’instrument sur la piece à laquelle on veut donner un certain degré d’élévation, de maniere que l’index tombe sur le nombre de degrés proposés.

Le niveau des Maçons est composé de trois regles, qui forment en se joignant un triangle isocele rectangle assez ressemblant à la lettre romaine A ; du sommet pend une corde qui porte un plomb, & qui lorsque le plan sur lequel est appliqué le niveau se trouve horisontal, vient battre exactement sur une ligne de foi marquée dans le milieu de la base, mais qui décline de cette ligne lorsque la surface en question est plus basse d’un côté que d’un autre.

Le niveau à plomb ou à pendule est celui qui fait connoître la ligne horisontale au moyen d’une ligne verticale décrite par son plomb ou pendule. Cet instrument (Pl. d’Arpent. fig. 6.) est composé de deux jambes ou branches qui se joignent à angles droits, & dont celle qui porte la corde ou le plomb a environ un pié & demi de long : cette corde est attachée au haut de la branche ; le milieu de la branche où passe le fil est évidé, afin que la corde puisse pendre librement de tous côtés, excepté vers le bas de la jambe, où se trouve une petite lame d’argent, sur laquelle est tracée une ligne perpendiculaire au télescope. Cette cavité pratiquée dans l’une des jambes de l’instrument est couverte de deux pieces de cuivre qui en font comme une boîte, pour empêcher que l’impression du vent ne se fasse sentir à la corde ; c’est pourquoi la lame d’argent est couverte d’un verre G, pour pouvoir reconnoître quand le plomb bat sur la perpendiculaire. Le télescope est attaché à l’autre branche ou jambe de l’instrument ; il a environ deux piés de long, & est garni d’un cheveu placé horisontalement, qui traverse le foyer du verre objectif, & qui détermine le point de niveau lorsque le fil & le plomb battent sur la ligne tracée sur la bande d’argent.

Cet instrument tire toute sa justesse de la précision avec laquelle on met le télescope à angles droits sur la perpendiculaire. Il a un genou par le moyen duquel il se soutient sur son pié ; l’invention en est attribuée à M. Picard.

Le niveau de réflexion est celui que forme une surface d’eau-assez étendue, laquelle représentant renversés les mêmes objets que nous voyons naturellement droits, est par conséquent de niveau avec le point où l’objet & son nuage paroissent seuls s’unir : il est de l’invention de M. Mariotte.

Il y a encore un autre niveau de réflexion fait d’un miroir d’acier ou d’autre matiere semblable, bien poli & placé un peu devant le verre objectif d’un télescope suspendu perpendiculairement, & avec lequel il doit faire un angle de 45 degrés ; auquel cas la direction perpendiculaire d’un télescope se changera en horisontale, ou en ligne de niveau, c’est-à-dire que les rayons qui seront réfléchis du miroir dans la lunette verticale, devront être situés horisontalement : ce niveau est de l’invention de M. Cassini.

Le niveau de M. Huyghens est composé d’un télescope, Pl. d’Arpentage, fig. 7. n°. 2. en forme de cylindre qui passe par une virole où il est arrêté par le milieu : cette virole a deux branches plates bb, l’une en-haut, l’autre en-bas ; au bout de chacune de ces deux branches est attachée une petite piece mouvante, en forme de pince, dans laquelle est arrêtée une soie assez forte, & passée en plusieurs doubles dans un anneau ; l’un de ces anneaux sert à suspendre le télescope à un crochet placé à l’extrémité de la vis 3 ; à l’autre anneau est suspendu un poids assez pesant, pour tenir le télescope en équilibre. Ce poids est suspendu dans la boëte 5, qui est remplie d’huile de lin, de noix, ou d’autres matieres, qui ne se figent pas aisément, afin de mieux arrêter les balancemens du poids & du télescope. Cet instrument est chargé de deux télescopes, fort près l’un de l’autre & exactement paralleles, & placés à contre sens l’un de l’autre, afin qu’on puisse voir des deux côtés, sans retourner le niveau. Au foyer de l’objectif de chaque télescope il doit se trouver un petit cheveu tendu horisontalement, & qui puisse se lever & s’abaisser suivant le besoin, par le moyen d’une petite vis. Si le tube du télescope ne se trouve point de niveau lorsqu’on le suspend, on y met au-dessus un anneau ou virole 4, & on l’y fait couler jusqu’à ce qu’il se soit mis de niveau. Le crochet auquel l’instrument est suspendu, est attaché à une croix plate de bois, laquelle porte à l’extrémité de chacun de ses bras d’autres crochets, qui servent à garantir les télescopes d’une trop grande agitation dans les différens usages qu’on en peut faire, ou quand on les transporte d’un lieu en un autre. Cette croix de bois est renfermée dans une autre croix qui sert comme de caisse à l’instrument, mais dont on laisse les deux extrémités ouvertes, afin que le télescope puisse être garanti des injures du tems, & qu’il soit toûjours en état de servir. Le pié de l’instrument est une plaque de cuivre ronde, à laquelle sont attachées trois viroles à charnieres, dans lesquelles sont placés trois bâtons qui forment le pié sur lequel se place la boëte.

Niveau a équerre, est un instrument qui fait l’office d’un niveau, d’une équerre, d’une regle à jambes. Voyez Niveau, &c.

Cet instrument qui est représenté dans la Pl. d’Arpentage, fig. 22. est composé de deux branches, larges environ d’un pouce, qui s’ouvrent & qui se ferment comme une regle à deux jambes.

Chacune de ces branches est percée dans le milieu pour recevoir une espece de langue, ou une piece de cuivre fort mince, attachée à l’une des deux ; moyennant laquelle ces deux branches peuvent être appliquées l’une à l’autre exactement. L’usage de cette langue consiste en ce que, si l’on place son extrémité dans la branche où elle n’est pas attachée, & où il y a une cheville qui la tient ou l’arrête, les deux branches seront alors à angles droits. On met pareillement sur la tête de cet instrument une piece de cuivre quarrée, avec laquelle l’instrument tient lieu d’une équerre ; au bas de l’angle de la piece de cuivre est un petit trou, auquel est attachée une petite corde avec un plomb : cette corde tombant le long d’une ligne perpendiculaire, tracée sur la langue ou piece de cuivre, fait voir si l’instrument est de niveau ou non, quand on l’applique sur quelque chose que ce puisse être. Chambers. (E)

Niveau, (Hydraul.) le niveau dont on se sert dans l’hydraulique est ordinairement un niveau d’eau à fioles, qui est un grand tuyau de fer-blanc d’un pouce de grosseur, & de quatre piés de long, voyez nos Pl. soutenu dans son milieu par deux liens de fer, & par une douille. Au milieu, & aux deux extrémités, sont soudés trois bouts de tuyaux qui se communiquent, & dans lesquels on met des fioles de verre du même diametre qui y sont jointes avec de la cire ou du mastic. On remplit le tout d’une eau rougie avec du vinaigre ou du vin, pour qu’elle puisse mieux se distinguer de loin.

On a perfectionné cet instrument en écartant d’environ deux lignes le tuyau du milieu de l’alignement des autres, ce qui sert de pinules & dirige beaucoup mieux le rayon visuel.

Pour établir cet instrument sur le terrein, on met dans la douille qui est dessous le tuyau, un bâton pointu que l’on fiche en terre, & on assure le niveau le plus droit qu’il est possible, en le pointant du côté où doit se faire le nivellement. Il y a même des instrumens où il y a un plomb dessous pour le mettre parfaitement droit, d’autres où il y a un genou avec trois douilles, ce qui facilite de se retourner de tous sens, sans déplacer l’instrument. Quant à la maniere d’opérer, voyez Nivellement. (K)