L’Encyclopédie/1re édition/NEUTRE

NEUVAINE  ►

NEUTRE, adj. ce mot nous vient du latin neuter, qui veut dire ni l’un ni l’autre : en le transportant dans notre langue avec un léger changement dans la terminaison, nous en avons conservé la signification originelle, mais avec quelque extension ; neutre veut dire, qui n’est ni de l’un ni de l’autre, ni à l’un ni à l’autre, ni pour l’un ni pour l’autre, indépendant de tous deux, indifférens ou impartial entre les deux : & c’est dans ce sens qu’un état peut demeurer neutre entre deux puissances belligérantes, un savant entre deux opinions contraires, un citoyen entre deux partis opposés, &c.

Le mot neutre est aussi un terme propre à la grammaire, & il y est employé dans deux sens différens.

I. Dans plusieurs langues, comme le grec, le latin, l’allemand, qui ont admis trois genres ; le premier est le genre masculin, le second est le genre feminin, & le troisieme est celui qui n’est ni l’un ni l’autre de ces deux premiers, c’est le genre neutre. Si la distinction des genres avoit été introduite dans l’intention de favoriser les vûes de la Métaphysique ou de la Cosmologie ; on auroit rapporté au genre neutre tous les noms des êtres inanimés, & même les noms des animaux, quand on les auroit employés dans un sens général & avec abstraction des sexes, comme les Allemands ont fait du nom kind (enfant) pris dans le sens indéfini : mais d’autres vûes & d’autres principes ont fixé sur cela les usages des langues, & il faut s’y conformer sans réserve, voyez Genre. Dans celles qui ont admis ce troisieme genre, les adjectifs ont reçu des terminaisons qui marquent l’application & la relation de ces adjectifs à des noms de cette classe ; & on les appelle de même des terminaisons neutres : ainsi bon se dit en latin bonus pour le genre masculin, bona pour le genre féminin, & bonum pour le genre neutre.

II. On distingue les verbes adjectifs ou concrets en trois especes générales, caractérisées par les différences de l’attribut déterminé qui est renfermé dans la signification concrete de ces verbes ; & ces verbes sont actifs, passifs ou neutres, selon que l’attribut individuel de leur signification est une action du sujet, ou une impression produite dans le sujet sans concours de sa part ou un simple état qui n’est dans le sujet, ni action ni passion. Ainsi aimer, battre, courir, sont des verbes actifs, parce qu’ils expriment l’existence sous des attributs qui sont des actions du sujet : être aimé, être battu, (qui se disent en latin amari, verberari,) tomber, mourir, sont des verbes passifs, parce qu’ils expriment l’existence, sous des attributs qui sont des impressions produites dans le sujet sans concours de sa part, & quelquefois même malgré lui : demeurer, exister, sont des verbes neutres, qui ne sont ni actifs ni passifs, parce que les attributs qu’ils expriment sont de simples états, qui à l’egard du sujet ne sont ni action ni passion.

Sanctius (Minerv. III. 2.) ne veut reconnoître que des verbes actifs & des verbes passifs, & rejette entierement les verbes neutres. L’autorité de ce grammairien est si grande qu’il n’est pas possible d’abandonner sa doctrine, sans examiner & réfuter ses raisons. Philosophia, dit-il, id est, recta & incorrupta judicandi ratio nullum concedit medium inter Agere & Pati : omnis namque motus aut actio est aut passio… Quare quod in rerum naturâ non est, ne nomen quidem habebit… Quid igitur agent verba neutra, si nec activa nec passiva sunt ? Nam si agit, aliquid agit ; cur enim concedas rem agentem in verbis quæ neutra vocas, si tollis quid agant ? An nescis omnem causam efficientem debere necessario effectum producere ; deinde etiam effectum non posse consistere sine causa ? Itaque verba neutra neque ulla sunt, neque naturâ esse possunt, quoniam illorum nulla potest demonstrari definitio. Sanctius a regardé le raisonnement comme concluant, parce qu’en effet la conclusion est bien déduite du principe ; mais le principe est-il incontestable ?

Il me semble en premier lieu, qu’il n’est rien moins que démontré que la Philosophie ne connoisse point de milieu entre agir & pâtir. On peut au moins par abstraction, concevoir un être dans une inaction entiere & sur lequel aucune cause n’agisse actuellement : dans cette hypothese qui est du ressort de la Philosophie, parce que son domaine s’étend sur tous les possibles ; on ne peut pas dire de cet être ni qu’il agisse, ni qu’il pâtisse, sans contredire l’hypothèse même ; & l’on ne peut pas rejetter l’hypothèse sous prétexte qu’elle implique contradiction, puisqu’il est évident que ni l’une ni l’autre des deux parties de la supposition ne renferme rien de contradictoire, & qu’elles ne le sont point entr’elles : il y a donc un état concevable, qui n’est ni agir ni pâtir ; & cet état est dans la nature telle que la Philosophie l’envisage, c’est-à-dire, dans l’ordre des possibles.

Mais quand on ne permettroit à la Philosophie que l’examen des réalités, on ne pourroit jamais disputer à notre intelligence la faculté de faire des abstractions, & de parcourir les immenses régions du pur possible. Or, les langues sont faites pour rendre les opérations de notre intelligence, & par conséquent ses abstractions mêmes : ainsi elles doivent fournir à l’expression des attributs qui seront des états mitoyens entre agir & pâtir, & de-là la nécessité des verbes neutres, dans les idiomes qui admettront des verbes adjectifs ou concrets.

Le sens grammatical, si je puis parler ainsi, du verbe exister, par exemple, est un & invariable ; & les différences que la Métaphysique pourroit y trouver, selon la diversité des sujets auxquels on en feroit l’application, tiennent si peu à la signification intrinseque de ce verbe, qu’elles sortent nécessairement de la nature même des sujets. Or, l’existence en Dieu n’est point une passion, puisqu’il ne l’a reçue d’aucune cause ; dans les créatures ce n’est point une action, puisqu’elles la tiennent de Dieu : c’est donc dans le verbe exister, un attribut qui fait abstraction d’action & de passion ; car il ne peut y avoir que ce sens abstrait & général qui rende possible l’application du verbe à un sujet agissant ou pâtissant, selon l’occurrence : ainsi le verbe exister est véritablement neutre, & on en trouve plusieurs autres dans toutes les langues, dont on peut porter le même jugement, parce qu’ils renferment dans leur signification concrete un attribut qui n’est qu’un état du sujet, & qui n’est en lui ni action ni passion.

J’observe en second lieu, que quand il seroit vrai qu’il n’y a point de milieu entre agir & pâtir, par la raison qu’allegue Sanctius, que omnis motus aut actio est aut passio ; on ne pourroit jamais en conclure qu’il n’y ait point de verbes neutres, renfermant dans leur signification concrete, l’idée d’un attribut qui ne soit ni action ni passion : sinon il faudroit supposer encore que l’essence du verbe consiste à exprimer les mouvemens des êtres, motus. Or, il est visible que cette supposition est inadmissible, parce qu’il y a quantité de verbes comme existere, stare, quiescere, &c. qui n’expriment aucun mouvement, ni actif, ni passif, & que l’idée générale du verbe doit comprendre sans exception, les idées individuelles de chacune. D’ailleurs, il paroît que le grammairien espagnol n’avoit pas même pensé à cette notion générale, puisqu’il parle ainsi du verbe (Min. 1. 12.) : verbum est vox particeps numeri personalis cum tempore ; & il ajoute d’un ton un peu trop décidé : hæc definitio vera est & perfecta, reliquæ omnes grammaticorum ineptæ. Quelque jugement qu’il saille porter de cette définition, il est difficile d’y voir l’idée de mouvement, à moins qu’on ne la conclue de celle du tems, selon le système de S. Augustin (Confess. XI.) ; mais cela même mérite encore quelque examen, malgré l’autorité du saint docteur, parce que les vérités naturelles sont soumises à notre discussion & ne se décident point par l’autorité.

Je remarque en troisieme lieu, que les Grammairiens ont coutume d’entendre par verbes neutres, non-seulement ceux qui renferment dans leur signification concrete l’idée d’un attribut, qui, sans être action ni passion, n’est qu’un simple état du sujet ; mais encore ceux dont l’attribut est, si vous voulez, une action, mais une action qu’ils nomment intransitive ou permanente, parce qu’elle n’opere point sur un autre sujet que celui qui la produit ; comme dormire, sedere, currere, ambulare, &c. Ils n’appellent au contraire verbes actifs, que ceux dont l’attribut est une action transitive, c’est-à-dire, qui opere ou qui peut operer sur un sujet différent de celui qui la produit, comme battre, porter, aimer, instruire, &c. Or, c’est contre ces verbes neutres que Sanctius se déclare, non pour se plaindre qu’on ait réuni dans une même classe des verbes qui ont des caracteres si opposés, ce qui est effectivement un vice ; mais pour nier qu’il y ait des verbes qui énoncent des actions intransitives : cur enim concedas, dit-il, rem agentem in verbis quæ neutra vocas, si tollis quid agant ?

Je réponds à cette question, qui paroît faire le principal argument de Sanctius ; 1°. que si par son quid agant, il entend l’idée même de l’action, c’est supposer faux que de la croire exclue de la signification des verbes que les Grammairiens appellent neutres ; c’est au contraire cette idée qui en constitue la signification individuelle, & ce n’est point dans l’abstraction que l’on en pourroit faire que consiste la neutralité de ces verbes : 2°. que si par quid agant, il entend l’objet sur lequel tombe cette action, il est inutile de l’exprimer autrement que comme sujet du verbe, puisqu’il est constant que le sujet est en même tems l’objet : 3°. qu’enfin, s’il entend l’effet même de l’action, il a tort encore de prétendre que cet effet ne soit pas exprimé dans le verbe, puisque tous les verbes actifs ne le sont que par l’expression de l’effet qui suppose nécessairement l’action, & non pas par l’expression de l’action même avec abstraction de l’effet ; autrement il ne pourroit y avoir qu’un seul verbe actif, parce qu’il ne peut y avoir qu’une seule idée de l’action en général, abstraction faite de l’effet, & qu’on ne peut concevoir de différence entre action & action, que par la différence des effets.

Il paroît au reste que c’est de l’effet de l’action que Sanctius prétend parler ici, puisqu’il supplée le nom abstrait de cet effet, comme complément nécessaire des verbes qu’il ne veut pas reconnoître pour neutres : ainsi, dit-il, utor & abutor, c’est utor usum, ou abutor usum ; ambulare, c’est ambulare viam, & si l’on trouve ambulare per viam, c’est alors ambulare ambulationem per viam ; &c. Il pousse son zele pour cette maniere d’interpréter, jusqu’à reprendre Quintilien d’avoir trouvé qu’il y avoit solécisme dans ambulare viam.

Il me semble qu’il est assez singulier qu’un espagnol, pour qui le latin n’est qu’une langue morte, prétende mieux juger du degré de faute qu’il y a dans une phrase latine, qu’un habile homme dont cet idiome étoit le langage naturel : mais il me paroît encore plus surprenant qu’il prenne la défense de cette phrase, sous prétexte que ce n’est pas un solécisme mais un pléonasme ; comme si le pléonasme n’étoit pas un véritable écart par rapport aux lois de la Grammaire aussi bien que le solécisme. Car enfin si l’on trouve quelques pléonasmes autorisés dans les langues sous le nom de figure, l’usage de la nôtre n’a-t-il pas autorisé de même le solécisme mon ame, ton épée, son humeur ? Cela empêche t-il les autres solécismes non autorisés d’être des fautes très-graves, & pourroit-on soutenir sérieusement qu’à l’imitation des exemples précédens, on peut dire mon femme, ton fille, son hauteur ? C’est la même chose du pléonasme : les exemples que l’on en trouve dans les meilleurs auteurs ne prouvent point qu’un autre soit admissible, & ne doivent point empêcher de regarder comme vicieuses toutes les locutions où l’on en feroit un usage non autorisé : tels sont tous les exemples que Sanctius fabrique pour la justification de son système contre les verbes neutres.

Il faut pourtant avouer que Priscien semble avoir autorisé les modernes à imaginer ce complément qu’il appelle cognatæ significationis ; mais comme Priscien lui même l’avoit imaginé pour ses vues particulieres, sans s’appuyer de l’autorité des bons écrivains, la sienne n’est pas plus recevable en ce cas, que si le latin eût été pour lui une langue morte.

J’ai remarqué un peu plus haut que c’étoit un vice d’avoir réuni sous la même dénomination de neutres, les verbes qui ne sont en effet ni actifs ni passifs, avec ceux qui sont actifs intransitifs ; & cela me paroît évident : si ceux-ci sont actifs, on ne doit pas faire entendre qu’ils ne le sont pas, en les appellant neutres ; car ce mot, quand on l’applique aux verbes, veut dire qui n’est ni actif ni passif, & c’est dans le cas présent une contradiction manifeste. Sans y prendre trop garde, on a encore réuni sous la même cathégorie des verbes véritablement passifs, comme tomber, pâlir, mourir, &c. C’est le même vice, & il vient de la même cause.

Ces verbes passifs réputés neutres, & les verbes actifs intransitifs ont été envisagés sous le même aspect que ceux qui sont effectivement neutres ; parce que ni les uns ni les autres n’exigent jamais de complément pour présenter un sens fini : ainsi comme on dit sans complément, Dieu existe, on dit sans complément au sens actif, ce lievre couroit, & au sens passif, tu mourras. Mais cette propriété d’exiger ou de ne pas exiger un complément pour la plénitude du sens, n’est point du tout ce qui doit faire les verbes actifs, passifs ou neutres : car comment auroit-on trouvé trois membres de division dans un principe qui n’admet que deux parties contradictoires ?

La vérité est donc qu’on a confondu les idées, & qu’il falloit envisager les verbes concrets sous deux aspects généraux qui en auroient fourni deux divisions différentes.

La premiere division, fondée sur la nature générale de l’attribut auroit donné les verbes actifs, les verbes passifs, & les verbes neutres : la seconde, fondée sur la maniere dont l’attribut peut être énoncé dans le verbe, auroit donné des verbes absolus & des verbes relatifs, selon que le sens en auroit été complet en soi, ou qu’il auroit exigé un complement.

Ainsi amo & curro sont des verbes actifs, parce que l’attribut qui y est énoncé est une action du sujet : mais amo est relatif, parce que la plénitude du sens exige un complément, puisque quand on aime, on aime quelqu’un ou quelque chose ; au contraire curro est absolu parce que le sens en est complet, par la raison que l’action exprimée dans ce verbe ne porte son effet sur aucun sujet différent de celui qui la produit.

Amor & pereo sont des verbes passifs, parce que les attributs qui y sont énoncés sont dans le sujet des impressions indépendantes de son concours : mais amor est relatif, parce que la plénitude du sens exige un complément qui énonce par qui l’on est aimé ; au contraire pereo est absolu, par la raison que l’attribut passif exprimé dans ce verbe est suffisamment connu indépendamment de la cause de l’impression. Voyez Relatif.

Les verbes neutres sont essentiellement absolus, parce qu’exprimant quelque état du sujet, il n’y a rien à chercher pour cela hors du sujet.

Les Grammairiens ont encore porte bien plus loin l’abus de la qualification de neutre à l’égard des verbes, puisqu’on a même distingué des verbes neutres actifs & des verbes neutres passifs ; ce qui est une véritable antilogie. Il est vrai que les Grammairiens n’ont pas prétendu par ces dénominations désigner la nature des verbes, mais indiquer simplement quelques caracteres marqués de leur conjugaison.

« De ces verbes neutres, dit l’abbé de Dangeau (opusc. pag. 187.), il y en a quelques-uns qui forment leurs parties composées… par le moyen du verbe auxiliaire avoir : par exemple, j’ai couru, nous avons dormi. Il y a d’autres verbes neutres qui forment leurs parties composées par le moyen du verbe auxiliaire être ; par exemple, les verbes venir, arriver ; car on dit, je suis venu, & non pas, j’ai venu ; ils sont arrivés, & non pas, ils ont arrivé. Et comme ces verbes sont neutres de leur nature, & qu’ils se servent de l’auxiliaire être qui marque ordinairement le passif, je les nomme des verbes neutres-passifs… Quelques gens même sont allés plus loin, & ont donné le nom de neutres-actifs aux verbes neutres qui forment leurs tems composés par le moyen du verbe avoir, parce que ce verbe avoir est celui par le moyen duquel les verbes actifs, comme chanter, battre, forment leurs tems composés. C’est pourquoi ils disent que dormir, qui fait j’ai dormi ; éternuer, qui fait j’ai éternué, sont des verbes neutres-actifs ».

Sur les mêmes principes on a établi la même distinction dans la grammaire latine, si ce n’est même de-là qu’elle a passé dans la grammaire françoise : on y appelle verbes neutres-actifs ceux qui se conjuguent à leurs prétérits comme les verbes actifs ; dormio, dormivi, comme audio, audivi : & l’on appelle au contraire neutres passifs ceux qui se conjuguent à leurs prétérits comme les verbes passifs, c’est-à-dire, avec l’auxiliaire sum & le prétérit du participe ; gaudeo, gavisus sum ou fui. Voyez Participe.

Mais outre la contradiction qui se trouve entre les deux termes réunis dans la même dénomination, ces termes ayant leur fondement dans la nature intrinseque des verbes, ne peuvent servir, sans inconséquence & sans équivoque, à désigner la différence des accidens de leur conjugaison. S’il est important dans notre langue de distinguer ces différentes especes, il me semble qu’il suffiroit de réduire les verbes à deux conjugaisons générales, l’une où les prétérits se formeroient par l’auxiliaire avoir, & l’autre où ils prendroient l’auxiliaire être : chacune de ces conjugaisons pourroit se diviser, par rapport à la formation des tems simples, en d’autres especes subalternes. M. l’abbé de Dangeau n’étoit pas éloigné de cette voie, quand il exposoit la conjugaison des verbes par section ; & je ne doute pas qu’un partage fondé sur ce principe ne jettât quelque lumiere sur nos conjugaisons. Voyez Paradigme.

Au reste, il est important d’observer que nous avons plusieurs verbes qui forment leurs prétérits ou par l’auxiliaire avoir, ou par l’auxiliaire être ; tels sont convenir, demeurer, descendre, monter, passer, repartir : & la plûpart dans ce cas changent de sens en changeant d’auxiliaire.

Convenir se conjuguant avec l’auxiliaire avoir, signifie être convenable : si cela m’avoit convenu, je l’aurois fait ; c’est-à-dire, si cela m’avoit été convenable. Lorsqu’il se conjugue avec l’auxiliaire être, il signifie avouer ou consentir : vous etes convenu de cette premiere vérité, c’est-à-dire, vous avez avoué cette premiere vérité ; ils sont convenus de le faire, c’est-à-dire, ils ont consenti à le faire.

Demeurer se conjugue avec l’auxiliaire avoir, quand on veut faire entendre que le sujet n’est plus au lieu dont il est question, qu’il n’y étoit plus, ou qu’il n’y sera plus dans le tems de l’époque dont il s’agit : il a demeuré long-tems à Paris, veut dire qu’il n’y est plus ; j’avois demeuré six ans à Paris lorsque je retournai en province, il est clair qu’alors je n’y étois plus. Quand il se conjugue avec l’auxiliaire être, il signifie que le sujet est en un autre lieu dont il est question, qu’il y étoit, ou qu’il y sera encore dans le tems de l’époque dont il s’agit : mon frere est demeuré à Paris pour finir ses études, c’est à-dire qu’il y est encore ; ma sœur étoit demeurée à Rheims pendant les vacances, c’est-à dire qu’elle y étoit encore.

Les trois verbes de mouvement descendre, monter, passer, prennent l’auxiliaire avoir, quand on exprime le lieu par où se fait le mouvement : nous avons monté ou descendu les degrés ; nous avons passé par la Champagne après avoir passé la Meuse. Ces mêmes verbes prennent l’auxiliaire être, si l’on n’exprime pas le nom du lieu par où se fait le mouvement, quand même on exprimeroit le lieu du départ ou le terme du mouvement : votre fils étoit descendu quand vous êtes monté dans ma chambre ; notre armée étoit passée de Flandre en Alsace.

Repartir signifie répondre, ou partir une seconde fois ; les circonstances les font entendre : mais dans le premier sens il forme ses préterits avec l’auxiliaire avoir ; il a reparti avec esprit, c’est-à-dire, il a répondu : dans le second sens il prend à ses prétérits l’auxiliaire être ; il est reparti promptement, c’est-à-dire, il s’en est allé.

Le verbe perir se conjugue assez indifféremment avec l’un ou l’autre des deux auxiliaires : tous ceux qui étoient sur ce vaisseau ont péri, ou sont péris.

On croit assez communément que le verbe aller prend quelquefois l’auxiliaire avoir, & qu’alors il emprunte été du verbe être ; l’abbé Regnier le donne à entendre de cette sorte (Gramm. fr. in-12. pag. 389.) Mais c’est une erreur : dans cette phrase, j’ai été à Rome on ne fait aucune mention du verbe aller, & elle signifie littéralement en latin fui Romæ ; si elle rappelle l’idée d’aller, c’est en vertu d’une métonymie, ou si vous voulez, d’une métalepse du conséquent qui réveille l’idée de l’antécédent, parce qu’il faut antecédemment aller à Rome pour y être, & y être allé pour y avoir été. Ce n’est donc pas en parlant de la conjugaison, qu’un grammairien doit traiter du choix de l’un de ces tours pour l’autre ; c’est au traité des tropes qu’il doit en faire mention. (B. E. R. M.)

Neutre, sel, (Chimie.) voyez sous le mot Sel.