L’Encyclopédie/1re édition/NARD

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NARD, s. m. (Botan.) genre de plante graminée dont voici les caracteres distinctifs selon Linnœus. Il n’y a point de calice ; la fleur est composée de deux valvules qui finissent en épi. Les étamines sont trois filets capillaires. Les antheres & le germe du pistil sont oblongs. Les stiles sont au nombre de deux, chevelus, réfléchis, cotonneux. La fleur est ferme, même attachée à la graine. La semence est unique, longue, étroite, pointue aux deux extrémités.

Le nard est une plante célebre chez les anciens, qu’il importe de bien décrire pour en avoir une idée claire & complette.

On a donné le nom de nard à différentes plantes. Dioscoride fait mention de deux sortes de nards, l’un indien, l’autre syriaque, auxquels il ajoute le celtique & le nard de montagne, ou nard sauvage ; enfin il distingue deux especes de nard sauvage, savoir l’asarum & le phu.

Le nard indien, ou spic nard des Droguistes, s’appelle chez les Botanistes, nardus indica, spica, spica nardi, & spica indica, ινδικη ναρδος, Dioscor.

C’est une racine chevelue, ou plûtôt un assemblage de petits cheveux entortillés, attachés à la tête de la racine, qui ne sont rien autre chose que les filamens nerveux des feuilles fausses, desséchées, ramassées en un petit paquet, de la grosseur & de la longueur du doigt, de couleur de rouille de fer, ou d’un brun roussâtre ; d’un goût amer, âcre, aromatique ; d’une odeur agréable, & qui approche de celle du souchet.

Cette partie filamenteuse de la plante dont on fait usage, n’est ni un épi ni une racine ; mais c’est la partie inférieure des tiges, qui est d’abord garnie de plusieurs petites feuilles, lesquelles en se fanant & se desséchant tous les ans, se changent en des filets ; de sorte qu’il ne reste que leurs fibres nerveuses qui subsistent.

Le nard a cependant mérité le nom d’épi, à cause de sa figure ; il est attaché à une racine de la grosseur du doigt, laquelle est fibreuse, d’un roux foncé, solide & cassante. Parmi ces filamens, on trouve quelquefois des feuilles encore entieres, blanchâtres, & de petites tiges creuses, canelées ; on voit aussi quelquefois sur la même racine, plusieurs petits paquets de fibres chevelues.

Le nard indien vient aux Indes orientales, & croît en quantité dans la grande Java, cette île que les anciens ont connue, & ce qui est remarquable, qui portoit déja ce nom du tems de Ptolomée. Les habitans font beaucoup d’usage du nard indien dans leurs cuisines, pour assaisonner les poissons & les viandes.

Dioscoride distingue trois especes de nard indien, savoir le vrai indien, celui de Syrie, celui du Gange. On n’en trouve présentement que deux especes dans les boutiques, qui ne different que par la couleur & la longueur des cheveux.

Il le faut choisir récent, avec une longue chevelure, un peu d’odeur du souchet, & un goût amer.

La plante s’appelle gramen cyperoides, aromaticum, indicum, Breyn. 2°. Prodr. On n’en a pas encore la description. Ray avance comme une chose vraissemblable, que la racine pousse des tiges chargées à leurs sommets d’épis ou de pannicules, ainsi que le gramen ou les plantes qui y ont du rapport. Si l’on en juge par le goût & l’odeur, les vertus du nard indien dépendent d’un sel volatil huileux, mêlé avec beaucoup de sel fixe & de terre.

Il passe pour être céphalique, stomachique & néphrétique, pour fortifier l’estomac, aider la digestion, exciter les mois, & lever les obstructions des visceres. On le réduit en poudre très fine, & on le donne dans du bouillon ou dans quelqu’autre liqueur. On en prescrit la dose depuis demi-drachme jusqu’à deux drachmes en substance, & depuis demi-once en infusion, jusqu’à une once & demie.

Cependant toutes les vertus qu’on lui donne sont exagérées. Celle d’être céphalique ne signifie rien ; sa vertu néphrétique n’est pas vraie ; son utilité dans les maladies malignes n’est pas mieux prouvée : l’éloge qu’en fait Riviere pour la guérison de l’hémorrhagie des narines est sans fondement ; mais cette plante par sa chaleur, son aromat & son amertume, peut être utile dans les cas où il s’agit d’inciser, d’atténuer, d’échauffer, d’exciter la sueur, les regles, ou de fortifier le ton des fibres de l’estomac.

Dans les Indes, suivant le rapport de Bontius, on fait infuser dans du vinaigre le nard indien séché, & on y ajoute un peu de sucre. On emploie ce remede contre les obstructions du foie, de la rate & du mésentere, qui sont très-fréquentes. On en applique aussi sur les morsures des bêtes venimeuses.

Les anciens en préparoient des collyres, des essences & des onguens précieux. L’onguent de nard se faisoit de nard, de jonc odorant, de costus, d’amome, de myrrhe, de baume, d’huile de ben ou de verjus ; on y ajoutoit quelquefois de la feuille indienne. Galien a guéri Marc-Aurele, & jamais il n’a guéri personne qui valût mieux que ce prince, d’une foiblesse d’estomac qui faisoit difficilement la digestion, en appliquant sur la partie de l’onguent de nard. Quel bonheur pour les peuples, s’il eût pû prolonger les jours de cet empereur, corriger son fils corrompu dans ses inclinations, & sa femme diffamée par son incontinence !

Le nard indien entre dans un grand nombre de compositions, dont l’usage est intérieur ou extérieur. Il est employé dans la thériaque, le mithridat, l’hiera picra de Galien, l’hiera de coloquinte, les trochisques de camphre, les pilules fétides, le syrop de chicorée composé, l’huile de nard, l’huile de scorpion de Matthiol, l’onguent martiatum, la poudre aromatique de roses, &c.

Il ne paroît guere douteux que notre spic-nard ne soit le nard indien des anciens, quoi qu’en disent Anguillara & quelques autres botanistes. La description de la plante, son lieu natal, ses vertus, tout s’accorde. Garcias nous assure qu’il n’y a point différentes especes de nard dans les Indes, & les gens qui ont été depuis sur les lieux nous confirment la même chose. Il ne faut pas inférer du grand prix où le nard étoit chez les anciens, comme Pline nous l’apprend, que notre spic-nard soit une plante différente. Les Romains recevoient leur nard par de longs détours, indirectement, rarement, & l’employoient à des essences, des parfums qui renchérissoient beaucoup le prix de cette plante ; tout cela n’a pas lieu parmi nous.

Les anciens ignoroient quelle est la partie du nard qu’il faut regarder comme l’épi, ou le στάχυς. Galien croyoit que c’étoit la racine ; mais nous savons que ce n’est ni la racine ni l’épi de la plante, & que c’est la partie inférieure de ses tiges. On a donné le nom d’épi aux petites tiges de cette plante, parce qu’elles sont environnées de feuilles capillacées, qui ont quelque ressemblance à des racines.

Le nard celtique s’appelle nardus celtica, spica gallica, spica romana, νάρδος κελτικὴ & ἀλιουγγία, Dioscor. Alnardin Alsimbel, Arab.

C’est une racine fibreuse, chevelue, roussâtre, garnie de feuilles ou de petites écailles d’un verd jaunâtre ; d’un goût âcre, un peu amer, aromatique ; d’une odeur forte & un peu desagréable. On doit choisir cette racine récente, fibreuse & odorante.

Elle a été célebre dès le tems de Dioscoride. On la nomme celtique, parce qu’autrefois on la recueilloit dans les montagnes de la partie des Gaules, appellée Celtique. On en trouve encore aujourd’hui dans les montagnes des Alpes qui séparent l’Allemagne de l’Italie, dans celles de la Ligurie & de Gènes.

La plante est appellée valeriana celtica par Tournefort, I. R. H. nardus celtica Dioscoridis, par C. B. P. nardus alpina, par Clusius. Sa racine rampe de tous côtés, & se répand sur la superficie de la terre parmi la mousse : les petits rameaux qu’elle jette sont longs, couchés sur terre, couverts de plusieurs petites feuilles en maniere d’écailles seches ; ils poussent par intervalle des fibres un peu chevelues & brunes ; ils donnent naissance dans leur partie supérieure à une ou deux petites têtes, chargées de quelques feuilles, étroites d’abord & ensuite plus larges, assez épaisses & succulentes, qui sont vertes en poussant, jaunâtres au commencement de l’automne, & d’un goût un peu amer.

Du milieu de ces feuilles s’éleve une petite tige à la hauteur d’environ neuf pouces, & quelquefois plus, assez ferme, noueuse, ayant sur chaque nœud deux petites feuilles opposées : à l’extrémité de l’aisselle des feuilles, naissent de petits pédicules qui portent deux ou trois petites fleurs de couleur pâle, d’une seule piece, en forme d’entonnoir, découpées en plusieurs quartiers, soutenues chacune sur un calice qui dans la suite devient une petite graine oblongue & aigrettée.

Toute la plante est aromatique, elle imite l’odeur de la racine de la petite valériane. Selon Clusius, elle fleurit au mois d’Août, presque sous les neiges sur le sommet des Alpes de Styrie : les feuilles paroissent ensuite lorsque les fleurs commencent à tomber. Les habitans la ramassent sur la fin de l’été & lorsque les feuilles viennent à jaunir ; car alors son odeur est très-agréable.

Le nard celtique a les mêmes vertus que le spica indien, & convient dans les mêmes maladies. Quelques-uns prétendent, j’ignore sur quelles expériences, qu’on l’emploie plus utilement pour fortifier l’estomac & dissiper les vents. Il entre dans la thériaque, le mithridat, l’emplâtre de mélilot, & dans quelques autres onguens échauffans, ainsi que dans les lotions céphaliques.

Le nard de montagne se nomme, en Botanique, nardus montana ou nardus montana tuberosa ; ὀρεινὴ νάρδος, Diosc. Alnardin Gebali, Arab. C’est une racine oblongue, arrondie, & en forme de navet, de la grosseur du petit doigt ; sa tête est portée sur une petite tige rougeâtre, & est garnie de fibres chevelues, brunes ou cendrées, & un peu dures ; son odeur approche de celle du nard, & elle est d’un goût âcre & aromatique.

La description que fait Dioscoride du nard de montagne, est si défectueuse qu’il est difficile de décider si nous connoissons le vrai nard de montagne de cet auteur, ou s’il nous est encore inconnu.

On nous apporte deux racines de plantes sous le nom de nard de montagne. La premiere s’appelle valeriana maxima, pyrenaïca, cacaliæ folio, D. Fagon, I. R. H. Cette plante pousse en terre, une racine épaisse, longue, tubéreuse, chevelue, vivace, d’une odeur semblable à celle du nard indien, mais plus vive, d’un goût amer. De cette racine s’éleve une tige de trois coudées, & même plus haute, cylindrique, lisse, creuse, noueuse, rougeâtre, de l’épaisseur d’un pouce. Ses feuilles sont deux à deux, opposées, lisses, crenelées, semblables aux feuilles du cacalia, de la longueur d’une palme, & appuyées sur de longues queues. Au haut de la tige naissent des fleurs purpurines, & des graines qui sont semblables aux fleurs & aux graines de la valériane.

La seconde s’appelle valeriana alpina minor, C. B. P. nardus montana, radice olivari, C. B. P. nardus montana, radice oblongâ, C. B. P. Sa racine tubéreuse, tantôt plus longue, tantôt plus courte, se multiplie chaque année par de nouvelles radicules. Elle a beaucoup de fibres menues à sa partie inférieure ; & vers son collet elle donne naissance à des rejettons qui, dans leur partie inférieure, sont chargés de feuilles opposées, d’un verd foncé & luisant, unies, sans dentelures, & ensuite d’autres feuilles découpées, à-peu-près comme celles de la grande valériane, mais plus petites ; & à mesure que les rejettons grandissent, les feuilles sont plus découpées. Au sommet des tiges, naissent de gros bouquets de fleurs semblables à celles de la petite valériane ; elles sont odorantes, moins cependant que n’est la racine de cette plante. Le nard de montagne a les mêmes vertus que le celtique, peut-être plus foibles.

Nous avons dit que les anciens composoient avec le nard une essence dont l’odeur étoit fort agréable. Les femmes de l’Orient en faisoient un grand usage ; le nard dont j’étois parfumée, dit l’épouse dans le Cantique des Cantiques, répandoit une odeur exquise. La boîte de la Magdeleine, quand elle oignit les piés du Sauveur (Marc, ch. xiv. ℣. 3. Luc, vij. ℣. 37. Jean, xij. ℣. 3.), étoit pleine de nard pistique, c’est-à-dire selon la plûpart des interpretes, de nard qui n’étoit point falsifié, du mot grec πίστις, fides, comme qui diroit du nard fidele, sans mélange, ni tromperie.

Les latins ont dit nardus, f. & nardum, n. Le premier signifie communément la plante, & le second la liqueur, l’essence aromatique. Horace, l. V. ode 13. donne au nard l’épithete d’achæmenio, c’est-à-dire, de Perse, où Achémene avoit régné :

Nunc & achæmenio
Perfundi nardo juvat :

Ne songeons qu’à nous parfumer des essences des Indes. Les Indiens vendoient le nard aux Persans, & ceux-ci aux Syriens chez qui les Romains alloient le chercher. De-là vient que dans un autre endroit Horace l’appelle assyrium. Mais après l’année 727 qu’Auguste conquit l’Egypte, les Romains allerent eux-mêmes aux Indes chercher les aromates & les marchandises du pays, par le moyen de la flotte qui fut établie pour cela dans le golfe arabique. (D. J.)

Nard-sauvage, (Botan.) asarum, nardus rustica. Voyez Cabaret, (Botan.)