L’Encyclopédie/1re édition/NAITRE

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NAITRE, v. neut. (Gram.) venir au monde. S’il falloit donner une définition bien rigoureuse de ces deux mots, naître & mourir, on y trouveroit peut-être de la difficulté. Ce que nous en allons dire est purement systématique. A proprement parler, on ne naît point, on ne meurt point ; on étoit dès le commencement des choses, & on sera jusqu’à leur consommation. Un point qui vivoit s’est accru, développé, jusqu’à un certain terme, par la juxtaposition successive d’une infinité de molécules. Passé ce terme, il décroît, & se résout en molécules séparées qui vont se répandre dans la masse générale & commune. La vie ne peut être le résultat de l’organisation ; imaginez les trois molécules A, B, C ; si elles sont sans vie dans la combinaison A, B, C, pourquoi commenceroient elles à vivre dans la combinaison B, C, A, ou C, A, B ? Cela ne se conçoit pas. Il n’en est pas de la vie comme du mouvement ; c’est autre chose : ce qui a vie a mouvement ; mais ce qui se meut ne vit pas pour cela. Si l’air, l’eau, la terre, & le feu viennent à se combiner, d’inerts qu’ils étoient auparavant, ils deviendront d’une mobilité incoercible ; mais ils ne produiront pas la vie. La vie est une qualité essentielle & primitive dans l’être vivant ; il ne l’acquiert point ; il ne la perd point. Il faut distinguer une vie inerte & une vie active : elles sont entre elles comme la force vive & la force morte : ôtez l’obstacle, & la force morte deviendra force vive : ôtez l’obstacle, & la vie inerte deviendra vie active. Il y a encore la vie de l’élément, & la vie de l’agrégat ou de la masse : rien n’ôte & ne peut ôter à l’élément sa vie : l’agrégat ou la masse est avec le tems privée de la sienne ; on vit en un point qui s’étend jusqu’à une certaine limite, sous laquelle la vie est circonscrite en tout sens ; cet espace sous lequel on vit diminue peu-à-peu ; la vie devient moins active sous chaque point de cet espace ; il y en a même sous lesquels elle a perdu toute son activité avant la dissolution de la masse, & l’on finit par vivre en une infinité d’atomes isolés. Les termes de vie & de mort n’ont rien d’absolu ; ils ne désignent que les états successifs d’un même être ; c’est pour celui qui est fortement instruit de cette philosophie, que l’urne qui contient la cendre d’un pere, d’une mere, d’un époux, d’une maîtresse, est vraiment un objet qui touche & qui attendrit : il y reste encore de la vie & de la chaleur : cette cendre peut peut-être encore ressentir nos larmes & y répondre ; qui sçait si ce mouvement qu’elles y excitent en les arrosant, est tout-à-fait dénué de sensibilité ? Naître a un grand nombre d’acceptions différentes : l’homme, l’animal, la plante, naissent ; les plus grands effets naissent souvent des plus petites causes ; les passions naissent en nous, l’occasion les dévelope, &c.