L’Encyclopédie/1re édition/MYRRHE

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MYRRHE, s. f. (Hist. nat. des drog. exot.) suc résineux, gommeux, qui découle naturellement ou par incision, d’un arbre duquel nous ne savons autre chose, sinon qu’il croît dans l’Arabie-heureuse, en Egypte, en Ethiopie, en Abyssinie, & au pays des Troglodytes, autrement dit la côte d’Abex.

Les anciens ont parlé de plusieurs sortes de myrrhe, qu’ils ont décrites & distinguées les unes des autres avec peu d’exactitude. Présentement même, on trouve dans des caisses de myrrhe, que nous recevons des Indes orientales ou des échelles du Levant, plusieurs morceaux de myrrhe différens par le goût, l’odeur & la consistence. Tantôt ils ont une odeur suave de myrrhe, tantôt une odeur incommode & désagréable, tantôt ils n’ont qu’une légere amertume, & tantôt ils répugnent par leur amertume, & excitent des nausées. Ajoutez, qu’ils sont mêlés de bdellium & de gomme arabique.

L’on voit du-moins qu’il y a grande différence entre les larmes de la myrrhe, selon qu’elle provient de différens arbres, de diverses parties d’un même arbre, selon les différentes saisons de l’année où on la recueille, selon le pays, selon la culture, & selon que ces larmes découlent d’elles-mêmes, ou par incision ; car il ne s’agit pas ici des sophistiqueries particulieres qu’on peut y faire en Europe dans le débit.

Quelques auteurs doutant que notre myrrhe soit la même que celle des anciens, prétendent que ce que nous appellons myrrhe, étoit leur bdellium ; cependant on l’en distingue facilement, parce qu’elle est amere, moins visqueuse, d’une odeur plus piquante que celle du bdellium. D’autres soupçonnent, que nous n’avons point la belle myrrhe des anciens, mais seulement l’espece la plus vile, à laquelle Dioscoride donnoit le surnom de caucalis & d’ergasine ; cependant il est plus vraissemblable qu’on nous apporte encore la vraie myrrhe antique, quoique mélangée avec d’autres especes d’une qualité inférieure.

Je sai bien que les anciens comptoient leur myrrhe parmi les plus doux aromates, & qu’ils s’en servoient pour donner de l’odeur aux vins les plus précieux ; mais outre qu’ils avoient peut-être un art particulier de la préparer pour leurs parfums, & leurs vins, on ne doit pas disputer des goûts, ni des odeurs.

Il faut remarquer, que les anciens connoissoient deux especes de myrrhe, une liquide qu’ils appelloient stacte, & une myrrhe solide ou en masse. Ils distinguoient encore trois sortes de myrrhe liquide, l’une qui étoit naturelle, & qui découloit d’elle-même des arbres sans incision ; c’est, dit Pline, la plus estimable de toutes. La seconde, tirée par incision, étoit également naturelle, mais plus épaisse & plus grossiere. La troisieme, qu’on faisoit artificiellement, étoit de la myrrhe récente en masse, pilée avec une petite quantité d’eau, que l’on passoit en l’exprimant fortement ; cette préparation qu’on peut nommer émulsion de myrrhe, ne se pratique point aujourd’hui ; mais on trouve quelquefois dans les boutiques des morceaux de myrrhe récente, pleins d’un suc huileux, que nos parfumeurs appellent stacte.

Outre les myrrhes liquides, les anciens distinguoient plusieurs sortes de myrrhe solide ou en musse, entre lesquelles Galien regardoit la myrrhe troglodityque pour la meilleure, & après elle la myrrhe minnéenne, minnœa, ainsi nommée des Minnéens, peuples de l’Arabie heureuse, que Strabon, l. XVI. p. 798. met sur les côtes de la mer rouge. Enfin, Dioscoride fait mention d’une myrrhe de Béotie, mais on ne la connoît point du-tout aujourd’hui.

La myrrhe donc, myrrha, off. Σμύρνα, Diosc. μύῤῥα Hipprocratis mor. des Arabes, est un suc résineux, gommeux, en morceaux fragiles de différentes grandeurs ; tantôt de la grosseur d’une noisette ou d’une noix, tantôt plus gros ; de couleur jaune, rousse ou ferrugineuse, transparens en quelque maniere, & brillans. Quand on les brise, on y voit des veines blanchâtres à demi-circulaires ou sphéroides ; son goût est amer, aromatique, avec un peu d’âcreté, qui cause des nausées. Quand on la pile, elle donne une odeur forte, qui frappe les narines ; & quand on la brûle, elle répand une agréable fumée.

Myrrhe, (Chimie, Pharmacie & Mat. médic.) on doit choisir celle qui est friable, légere, égale en couleur dans toutes ses parties, sans ordures, très aromatique, d’un roux foncé & demi-transparente ; la plus mauvaise est celle qui est noire, pesante & sale.

Il s’ensuit de sa qualité de gomme-résine, voyez Gomme-résine, qu’elle ne doit être soluble qu’en partie dans l’eau, dans l’esprit de vin rectifié, & dans les huiles. Elle se dissout cependant en entier, ou peut s’en faut, dans l’esprit de vin tartarisé, & presque entierement aussi dans la liqueur qui se sépare du blanc d’œuf durci, que l’on fait résoudre ou tomber en deliquium avec la myrrhe, en les exposant ensemble dans un lieu humide ; opération qui fournit ce qu’on appelle très-improprement dans les boutiques, huile de myrrhe par défaillance. Ces deux derniers phénomenes méritent d’être constatés par de nouvelles observations, & ils sont très singuliers, si ce qu’en ont dit les auteurs est conforme à la vérité : selon l’analyse de M. Cartheuser, une once de belle myrrhe est composée de sept gros de substance gommeuse inséparablement barbouillée d’un peu de résine & d’huile, de deux scrupules & quelques grains de résine chargée d’huile essentielle & d’environ douze grains d’ordure absolument insoluble. La myrrhe choisie, distillée à l’eau, donne au rapport de Fred. Hoffman, qui prétend avoir exécuté cette opération le premier, Obs. phys. chim. l. I. obs. 5. environ deux dragmes, & même la plus parfaite, jusqu’à trois dragmes par livre d’huile essentielle, dont une partie est plus pesante que l’eau, & une autre partie nage à sa surface.

La myrrhe est un des remedes que les anciens ont le plus célébré, & que les modernes ont aussi compté parmi les médicamens les plus précieux. Elle possede toutes les qualités des gommes-résines à un degré que l’on peut appeller temperé ou moyen, qui permet de l’employer dans tous les sujets & dans tous les cas où les gommes-résines sont indiquées : dire de ce remede, que les anciens & les modernes l’ont également célébré, c’est assez faire entendre qu’ils lui ont attribué généralement toutes les vertus. Celles qui sont le plus reconnues sont sa qualité stomachique, roborante, apéritive & utérine ; aussi son usage le plus fréquent est pour donner du ton à l’estomac, pour fondre les obstructions, surtout bilieuses ; pour ranimer, & sur-tout pour faire couler les regles ; on la donne rarement seule, mais on la fait entrer fort communément dans les pillules ou bols stomachiques, fondans, emménagogues, & dans les préparations officinales, dont la vertu dominante est d’être cordiale ou excitante. Les qualités bézoardique & antiputride, ne sont fondées que sur des préjugés : la derniere sur-tout qu’on a estimée sur l’usage que les anciens faisoient de la myrrhe dans les embaumemens, est on ne peut pas plus précaire, voyez Embaumement & Mumie : la vertu vulnéraire & cicatrisante est commune à la myrrhe & à tous les sucs balsamiques, liquides & concrets ; mais notre gomme-résine n’a aucun avantage à cet égard, au contraire. Cartheuser met cependant au-dessus de toutes les propriétés de la myrrhe, celle qu’il lui attribue d’être un remede souverain contre la toux invétérée & plusieurs autres maladies chroniques de la poitrine, qui dépendent principalement de la foiblesse du poumon & du ventricule. Au reste, cet auteur moderne est très-enthousiaste sur les éloges de la myrrhe ; ce remede doit se donner en substance & incorporé à cause de son amertume, avec un excipient qui le réduise sous forme solide. La teinture de myrrhe est beaucoup plus efficace que la myrrhe en substance, selon la remarque de Sthal, soit parce que cette teinture ne contient que la résine & l’huile essentielle qui sont ses principes les plus actifs, débarrassés de la partie gommeuse qui masquoit ou châtroit en partie leur action ; mais plus encore parce que ces principes sont très-divisés dans l’esprit de vin, & enfin parce que ce menstrue concourt très-efficacement à leur activité. Au reste, cette remarque doit être commune aux teintures en général. Voyez Teinture.

L’huile essentielle de la myrrhe doit être comptée, si l’on en croit Cartheuser & Frid. Hoffman, parmi les moins âcres & les plus convenables pour l’usage intérieur, voyez Huile essentielle. Le dernier auteur recommande particulierement celle-ci prise à la dose de quelques gouttes sous forme d’œleosaccharum dans une infusion de véronique ou dans du caffé, contre plusieurs maladies chroniques de la poitrine, telles que la toux invétérée, l’asthme humide, &c. il conseille aussi de prendre le même œleosaccharum le matin dans du bouillon, du chocolat ou du caffé, comme une excellente ressource contre l’influence d’un air épais & chargé d’exhalaisons putrides ou de miasmes épidémiques.

La myrrhe réduite en poudre & la teinture de myrrhe sont aussi des remedes extérieurs très-usités dans les pansemens des plaies & des ulceres, & sur-tout dans la gangrene & dans la carie.

Il est peu de drogues qui entrent dans autant de compositions officinales, soit internes, soit externes, que la myrrhe, son efficacité est sur-tout remarquable dans l’élixir de propriété, les pillules de Rufus, & la thériaque diatessaron, parce que ces remedes sont composés de très-peu d’ingrédiens. (b)