L’Encyclopédie/1re édition/MUSC

MUSC, Animal du, (Hist. nat.) animal moschiferum. Animal quadrupede qui manque de dents incisives à la machoire supérieure, mais qui a deux dents canines dans cette machoire. Les dents sont en tout au nombre de 26 : savoir 4 molaires de chaque côté de chacune des machoires ; 8 incisives à la machoire du dessous, & 2 canines à celle du dessus ; ces dents canines sont longues d’un pouce & demi, recourbées en arriere, pointues & tranchantes par leur côté postérieur : on ne sait si cet animal rumine. Ses piés sont fourchus ; mais il n’a point de cornes. Grew a décrit une peau de cet animal, conservée dans le cabinet de la société royale de Londres. Cette peau avoit 3 piés & demi de longueur, depuis le bout du museau jusqu’à l’origine de la queue ; le museau étoit pointu ; les oreilles avoient 3 pouces de longueur, elles étoient droites & ressembloient à celles du lapin ; la queue n’avoit que 2 pouces de longueur ; le poil du dos avoit jusqu’à 3 pouces de long, il étoit alternativement de couleur brune & blanche, depuis la racine jusqu’à l’extrémité ; la tête & les cuisses avoient une couleur brune ; le dessous du ventre & de la queue étoit blanc.

La vésicule qui renfermoit le musc, s’élevoit sur le ventre de la hauteur d’un pouce & demi ; elle avoit 3 pouces de longueur & 2 de largeur. Cette poche est placée près du nombril, & revêtue d’une peau mince & d’un poil fin. Les Chinois mangent la chair de l’animal du musc. Raii, synop. anim. quad. pag. 127. Voyez Quadrupede.

Musc, (Hist. nat. des drog.) nom commun au parfum & à l’animal dont on le tire. Nous traiterons de l’un & de l’autre.

L’habitude, l’imagination & la mode, exercent un empire arbitraire & variable sur nos sens. Je n’en veux pour preuve que les différentes impressions que les hommes ont attribuées au musc sur l’organe de l’odorat. On sait qu’il a plû & déplû successivement dans tous les siecles, & chez toutes les nations.

Il y a eu des peuples qui l’ont mis au rang de ce qu’ils ont eu de plus précieux en odeurs. Il y a eu des tems où il a fourni la matiere du luxe le plus recherché ; dans d’autres tems, on est venu à le mépriser, & il y a des pays où, par cette raison, l’on appelle puans les animaux qui répandent l’odeur de musc. On est encore aujourd’hui partagé dans le monde, entre l’amour & l’aversion que l’on a pour ce parfum. Les Italiens le goûtent beaucoup, tandis que les François le décrient ; & ce qui est bien surprenant, c’est que malgré sa violence, qui sembleroit devoir seule décider, ce sont trois tyrans de nos sens qui décident presque souverainement sur cette matiere odorante.

Mais quelle que soit la décision qu’en peuvent porter l’habitude, l’imagination & la mode, il n’est pas moins nécessaire de connoître un parfum qui nous affecte si diversement, d’autant plus que l’on n’a eu que de fausses idées de son origine, avant la description qu’en a publié M. de la Peyronie dans les mémoires de l’acad. des Sciences, année 1731.

Définition du parfum. Le musc est une pommade visqueuse, filandreuse ou soyeuse, épaissie en une substance grasse, onctueuse, de couleur ambrée ou ferrugineuse-obscure, d’une odeur extrèmement violente, sur-tout si on en sent de près quelque quantité à la fois, d’un goût quelque peu âcre & amer, qui se filtre dans une bourse située intérieurement près des parties génitales d’une espece de fouïne d’Afrique, assez ressemblante à un chat, ou dans une poche extérieure, placée sous le ventre entre le nombril & les parties de la génération, d’une sorte de chevreuil d’Asie.

L’animal d’Afrique qui le donne, semble mieux mériter le nom de musc, que celui d’Asie. Je ne déciderai point entre ces deux animaux musqués, quel est celui qu’il faut honorer par préférence du nom de musc, en latin animal moschiferum. On sait que les Arabes nous ont donné sous ce nom une espece de chevreuil, ou de chevre sauvage, décrite par plusieurs auteurs, & particulierement par Schrockius, & que c’est d’elle que l’on tire le musc en Asie. Il me semble pourtant que l’animal d’Afrique, dont nous allons d’abord parler, mérite mieux le nom de musc, si l’on juge cette question par la violence de son parfum.

Il en est fort différent. Cet animal n’a aucun rapport avec les chevres d’Asie, ni avec les rats musqués du Canada ; il approche davantage de cette espece de fouïne qu’on appelle genette. On en voit une dans les observations de Bellon[1] dont la figure a quelque ressemblance avec notre animal. Il y a aussi dans Hernandès[2] la figure d’une civette amériquaine, qui paroît encore y avoir plus de rapport ; cependant elles different ensemble à plusieurs égards, & d’ailleurs son parfum est très-différent de celui de toutes les civettes.

L’animal que nous allons décrire, est arrivé en France sous le nom de musc ; il fut donné au Roi en 1726 par M. le comte de Maurepas, ministre dont le nom sera toûjours cher aux personnes qui cultivent les Sciences.

Il se trouve de semblables animaux à la côte d’Or, au royaume de Juda, & dans une grande étendue de cette partie de l’Afrique.

Le musc dont il s’agit ici, fut envoyé par ordre du Roi à la ménagerie, où il est mort après y avoir été nourri pendant six ans de viande crue qu’il mangeoit avec voracité.

Sa description. Son corps étoit plus délié & plus levreté que celui des civettes de M. Perrault ; sa queue d’un blanc grisâtre, étoit coupée par 8 anneaux noirs, posés en maniere de cercles paralleles, larges chacun d’environ 3 lignes. Il étoit tigré de taches noires & grises parallelement selon sa longueur, depuis les épaules jusqu’au bas du corps ; son poil étoit doux, à demi rasé, & par-tout d’égale grandeur.

Il avoit un pié huit pouces de long, depuis le bout du museau jusqu’à la naissance de la queue, qui étoit d’environ 15 pouces.

Le museau étoit pointu, garni de moustaches ; ses oreilles étoient plus plates que celles du chat. Il avoit au-dessous des oreilles un double collier noir, & deux bandes noires de chaque côté qui naissoient du second collier, & finissoient aux épaules. Ses pattes étoient noires ; celles de devant n’avoient que quatre doigts, armés chacun d’un ongle court, moins fort & moins pointu que ceux des chats, le cinquieme doigt étoit sans ongle & ne portoit pas à terre ; le dedans des deux pattes étoit plus maigre & aussi doux que dans les chats. Les pattes de derriere avoient cinq ongles portans tous à terre, conformés à-peu-près de même. Les papilles de la langue étoient tournées comme celles du chat, sans être ni si dures, ni si âpres.

Description de l’organe qui contient la pommade odorante. L’organe particulier qui fournit le musc dans cet animal, est situé près des parties génitales.

Après qu’on a fait l’ouverture de la vulve, comme on a fait dans ce musc-ci qui étoit une femelle, & qu’on en a écarté les deux lèvres, il se trouve une bourse qu’on peut se représenter comme un porte-feuille, c’est-à-dire, s’ouvrant en deux levres, au fond & parois desquelles sont placées deux glandes, d’où se sépare une liqueur onctueuse & filandreuse, ou plutôt soyeuse, dont l’odeur est très forte.

La pâte visqueuse qui se trouve dans cette cavité en enduit toute la surface & a une couleur ambrée ; c’est-là la liqueur l’huile ou plutôt la pommade odorante, le parfum ou le vrai musc.

A l’ouverture de la bourse qui le renfermoit, l’odeur de ce parfum se trouva si forte, que M. de la Peyronie ne put l’observer sans en être incommodé ; la cavité qui le contient est tapissée d’une membrane tendineuse qui a du ressort, qui est fort plissée, & par conséquent capable de beaucoup d’extension : voilà pourquoi nous avons dit, qu’on pouvoit se la représenter dans sa situation naturelle, comme un porte-feuille fermé, dont les deux côtés seroient un peu plissés.

Il y a deux glandes, l’une à droite, & l’autre à gauche, qui versent leur parfum dans la cavité ou le sac, dont la surface est percée comme un crible : & c’est par ce crible que le parfum passe des deux glandes dans la poche commune : ces trous sont grands & petits ; c’est par les grands trous que les follicules qui composent le centre de la glande, vuident leur pommade dans le sac ; & c’est par les petits trous que les follicules qui composent la circonférence de chaque glande, déposent aussi leur parfum dans le même sac.

Le sac est tapissé d’une membrane réticulaire, extensible, ayant un ressort qui rapproche si fort les trous les uns des autres, que si l’on presse les glandes sans étendre la membrane qui soutient les trous, le parfum paroît ne sortir que d’un seul trou. Sur la surface de cette membrane, on voit quantité de petits poils noirs, & dans la cavité d’autres petits poils blancs. Ces poils ne sont autre chose que quelque partie de la liqueur du parfum détachée & moulée en filets.

Lorsque les follicules dont la glande est composée sont pleins de pommade, les glandes sont grosses & dures : elles diminuent aussi-bien que les follicules à mesure qu’on en exprime la pommade. Tous ces follicules communiquent les uns aux autres. Si on ouvre un follicule, selon sa longueur, on découvre avec la loupe de très-petites ouvertures qui peuvent bien être la communication d’un follicule à l’autre.

La vitesse avec laquelle l’air poussé par le fond d’un follicule, passe dans les follicules voisins, fait juger qu’ils doivent communiquer par plusieurs ouvertures ; précaution utile pour favoriser le cours & l’évacuation d’une liqueur, qui par sa consistance, auroit pû être retenue trop long-tems dans son reservoir, si elle n’avoit eu que la ressource d’une seule sortie.

Ce même follicule ouvert, selon sa longueur, montre dans sa cavité sept ou huit cellules irrégulieres de différentes grandeurs, séparées par des membranes fortes & tendineuses ; chacune de ces cellules en contient plusieurs autres petites, au fond desquelles on découvre des grains glanduleux qui sont de différente grandeur ; c’est apparemment à travers leur substance, que la pommade ou le parfum est filtré. La premiere cellule à laquelle le mamelon est adapté lui sert d’entonnoir ; de-là il passe de cellule en cellule, des petites dans les grandes, jusqu’à ce que le follicule soit rempli ; alors la contraction du musc qui enveloppe la glande, & d’autres causes que je ne parcours point expriment dans le sac le parfum qui étoit renfermé dans les follicules, & dans le besoin font sortir le parfum du sac.

Cette organisation singuliere qui découvre de nouveaux moyens, pour retenir & conduire les récrémens, selon leur nature & leur destination, ne nous apprend rien de ce qui se passe dans le principe des sécrétions qui se font dans l’homme & dans les animaux. Il y a lieu de croire que les artères portent dans les papilles du sac, qui sont ses vraies glandes ou ses vrais couloirs, un sang qui y dépose la matiere du parfum qui fait partie de la masse : le résidu rentre par le moyen des veines & apparemment des vaisseaux lymphatiques dans le commerce de la circulation.

Cette organisation n’éclaircit gueres le mystere de nos sécrétions. Mais comment le parfum s’est-il séparé de la masse du sang ? Quelle a été cette manipulation ? C’est-là ce principe des sécrétions, ce point d’anatomie que les plus grands maîtres de l’art n’ont encore pû mettre en évidence. Ils ne retireront de cette nouvelle organisation aucune nouvelle lumiere pour développer cet ancien mistere. Tout se réduit ici à la seule différence de la conformation extérieure de la glande, de la forme de son récipient, & du reste de la conduite du recrément d’avec les glandes ordinaires : différences dignes d’être observées, d’être comparées avec ce qu’on trouve dans l’homme & dans les animaux, pour connoître les divers moyens employés pour les mêmes opérations. Nous devons nous en tenir-là, jusqu’à ce que ces variétés mieux connues, nous fassent voir les autres avantages qu’on en peut retirer.

Le parfum n’est jamais plus fort que quand il est récent. Les grains glanduleux & les premieres vésicules du musc sont de vrais mamelons, & de vrais entonnoirs où la pommade se forme, se ramasse dans les follicules & dans le sac.

Elle s’est trouvée d’une force extraordinaire cette pommade deux jours après la mort de notre musc : observation contraire à ce qu’en ont publié plusieurs auteurs sur la foi des marchands & des voyageurs, qui assurent que la pommade est fort puante lorsqu’on la retire de l’animal, & qu’en vieillissant dans ses bourses, elle prend peu-à-peu le parfum & la qualité de musc, toujours plus fort à mesure qu’il est gardé plus long-tems.

Cette erreur doit être imputée à la façon dont on détache les bourses : les chasseurs qui ne sont pas anatomistes, ouvrent en faisant cette opération le gros boyau & les deux poches qu’il a à ses côtés, qui donnent une liqueur d’une odeur extrèmement puante ; ils ouvrent & enlevent le boyau, & ces deux poches ; ils les renversent pour enfermer le parfum ; ils les lient & les serrent comme une bourse de paysan, pour l’empêcher de s’échapper. Son odeur, quoique forte, ne perce point à-travers la poche qui est fort épaisse, & enduite extérieurement des matieres fécales & d’une liqueur puante, la mauvaise odeur qui est au-dehors se dissipe avec le tems, au lieu que le musc bien enfermé ne perd rien, & se fait sentir fortement à la premiere ouverture du sac.

Il est constant que le parfum durant la vie du musc & d’abord après sa mort, est d’une violence extrème.

Il réside dans le seul organe qui le filtre & qui le contient. Plusieurs personnes ont cru que toutes les parties de l’animal fournissoient une odeur de la même nature ; mais on a tout lieu d’assurer, qu’elle réside uniquement dans la pommade & dans l’organe qui la filtre & la contient : si les autres parties en ont quelque impression, elle leur est étrangere, c’est la pommade qui la leur a donnée : voici des expériences qui le prouvent.

M. de la Peyronie a coupé une portion du poumon, du foie, de la rate, & de divers muscles : il a imbibé une petite éponge fine du sang & de l’humidité, qu’il a trouvé dans la poitrine & dans le bas-ventre de l’animal. Il a renfermé toutes ces parties dans différentes armoires ; il les a visitées soigneusement tous les jours, jusqu’à ce qu’elles ayent été pourries ou desséchés ; elles n’ont jamais donné d’autres odeurs que celle du sang, ou d’une chair ordinaire pourrie ou desséchée, sans le moindre parfum de musc.

La structure particuliere de l’organe forme ce parfum. La qualité des alimens peut augmenter la production de la pommade ; elle peut même fortifier ou affoiblir l’odeur du parfum. Cet animal-ci ne vivoit que de viande crue, & le parfum qu’il fournissoit avec abondance étoit excessivement fort ; il y a pourtant apparence que les diverses préparations que les alimens, quels qu’ils soient, reçoivent dans le corps de l’animal, ou plutôt la structure singuliere du couloir, à-travers lequel la sécrétion du parfum se fait, y contribue plus que toute autre cause.

C’est par cette raison qu’il y a des personnes qui exhalent une odeur musquée dans certaines parties glanduleuses & chaudes du corps : M. de la Peyronie connoissoit un homme de condition, dont le dessous de l’aisselle gauche répandoit durant les chaleurs de l’été, une odeur de musc surprenante qui l’auroit rendu très-incommode dans la société, s’il n’eût pris des précautions pour affoiblir la force de cette odeur ; cependant son aisselle droite n’en donnoit presque point. On ne peut attribuer ce phénomene qu’à une structure particuliere des glandes de l’aisselle gauche de cet homme.

Il se trouve en très-petite quantité dans tous les animaux musqués. Au reste, on retire très-peu de pommade odorante de tous les animaux musqués : il ne s’est trouvé ici dans chacune des grandes vésicules dont les glandes étoient composées, que le poids d’environ trois grains de pommade ; & dans les médiocres ou les petites, la moitié ou le tiers de moins que dans les grandes, ce qui fait en tout environ une demi-once de vraie pommade, sans mélange d’aucune autre substance ; c’est à-peu-près la quantité de vrai musc que l’organe de l’animal dissequé par M. de la Peyronnie, pouvoit contenir.

Noms de l’animal d’Asie qui donne le musc de l’orient. L’autre animal qui donne le musc dans l’orient est de la classe des chevreuils ; & c’est proprement celui qui est décrit & représenté dans les ouvrages de nos Naturalistes, & qu’ils désignent en latin sous les noms suivans.

Moschus, Schrock. Animal moschiferum ; Raii synops. anim. 127. moschius, sive moschi capreolus. Schrod. 5. 301. capra moschius. Aldrov. de quad. Filule, 743. Jonst, de quad. 55. capreolus moschi, ejusd. tab. 29. Gesn. de quad. 695. capta mosch, a iis cervus odoratus. Chart. exer. 10.

Lieux qu’habite cet animal. On commence à voir cet animal qui produit le musc de l’orient aux environs du lac de Baikal, sur les frontieres de la Tartarie moscovite : mais il est beaucoup plus commun à mesure qu’on avance dans la Tartarie chinoise.

Les lieux de la Chine où l’on en trouve davantage sont la province de Xanxi, particulierement aux environs de la ville de Leao : la province de Suchum, celle de Hanhungfu, celle de Paoningfu, près de Kiating, & de la forteresse de Tiencinen, & dans quelques endroits de la province de Junan ; mais il n’y a point de pays où il soit plus commun que dans les royaumes de Boutan & de Tunquin.

Sa description. Les voyageurs ne s’accordent point dans les récits qu’ils nous font de cet animal : voici ce que j’ai trouvé de plus vraissemblable sur sa description.

Il est du genre des chevreuils, assez semblable au daim pour la grandeur, à la réserve qu’il n’a point de cornes, & que la couleur de son poil est plus foncée. Sa tête a quelque chose de celle du loup, mais il a deux défenses comme celles du sanglier. Les Chinois l’appellent hiang-tchang tse, c’est-à-dire, chevreuil odoriférant, chevreuil musqué. Il habite les bois & les forêts où l’on va le chasser.

Il porte le musc dans une bourse sous le nombril. La drogue qu’on nomme musc est renfermée dans une bourse ou vessie qu’il a au-dessous du ventre, entre les parties génitales & le nombril.

Cette bourse couverte de poil au-dehors est de la grosseur d’un œuf de poule, d’une substance membraneuse & musculeuse, garnie d’un sphincter. Sa surface interne est revêtue d’une membrane fine qui enveloppe le parfum, sur laquelle on découvre plusieurs vaisseaux sanguins & un grand nombre de glandes qui servent à la sécrétion de la pommade.

Aussi-tôt que la bête est tuée, on lui coupe cette vessie. On la taille & l’on la coût en forme de rognons, tels qu’on les apporte en Europe : voilà la poche qui contient le véritable musc d’Asie, sur l’origine & la nature duquel on ne croiroit jamais, combien d’opinions bisarres nos Naturalistes ont embrassé.

Fausses idées de l’origine de ce parfum. Les uns le regardent comme un sang excrementiciel qu’on ramasse après que l’excrétion en a été faite, ou qui se trouve dans ce sac de l’animal, lorsqu’on le tue dans un tems convenable ; mais l’analyse seule du parfum détruit cette idée : d’ailleurs le tems de la mort de l’animal ne change rien à la qualité de son musc, elle est toujours la même.

D’autres prétendent que la vessie de ce chevreuil sauvage, pendant qu’il est en rut, se tourne en un abscès, qui l’incommodant & lui causant de la demangeaison, le porte à se frotter si fortement dans cet endroit contre des pierres ou contre des troncs d’arbres, qu’il le fait crever, & que la sanie en étant répandue & sechée au soleil, devient le musc qu’on ramasse avec soin ; mais quelle apparence qu’il fût possible de ramasser le pus que ces animaux auroient jetté, tantôt dans des lieux inaccessibles, tantôt dans des boues, tantôt dans du sable ? un tel musc seroit bien rare & bien cher. De plus, un abcès desséché seroit d’un gris blanchâtre, & par conséquent d’une couleur fort différente de celle du musc.

D’autres veulent qu’il naisse des coups dont ils ont imaginé qu’on accabloit l’animal pris dans des pieges, jusqu’à ce qu’il survienne des tumeurs sur son corps, & que ces tumeurs réduites en forme de poches, au moyen d’une ligature, ensuite coupées, donnoient le parfum odoriférant. Mais sans parler du ridicule de cette fiction, pour produire l’effet qu’on suppose, il est certain que le tissu des cruautés qui y regne est imputé gratuitement aux chasseurs des muscs ; aucun voyageur de mérite n’en parle.

D’autres enfin se sont persuadés que les Asiatiques font le musc avec la chair de l’animal qu’ils broyent dans un mortier de pierre jusqu’à la consistance de bouillie, y mêlant de tems en tems du sang de la bête, qu’ils ont eu soin de recueillir aussi-tôt après sa mort. Cette bouillie mise dans des sacs faits de la peau de l’animal puis séchée à l’ombre est, disent-ils, la drogue que nous appellons musc, mais cette opinion n’est pas plus vraissemblable que les précédentes. Le sang & la chair de l’animal n’ont aucune odeur de musc, elles ne sauroient l’acquérir par le mélange, & ne peuvent que se pourrir ou se dessécher comme nous l’avons prouvé ci-dessus.

Concluons que la substance grasse & onctueuse, contenue dans la vessie du chevreuil musqué, est le fruit de la structure singuliere des vaisseaux, des glandes, & des couloirs qui en font la sécrétion dans cette partie.

On le sophistique en Asie. On en retire à peine trois ou quatre drachmes, aussi est-ce une des marchandises où l’on cherche le plus à tromper, & que les habitans ont l’adresse d’altérer d’une infinité de manieres, avec de la terre, du sang desséché, les testicules, les rognons de l’animal & autres ingrédiens de cette espece ; & ces tromperies se font dans le pays malgré les défenses des princes de l’Asie, & des précautions qu’ils ont tâche de prendre pour les empêcher, à ce que rapporte Tavernier : d’ailleurs, comme ils aiment extrèmement ce parfum, ils font enlever pour eux-mêmes le plus pur qu’on peut trouver ; c’est ainsi qu’en agit l’empereur de la Chine.

On le vend en vessie ou hors de vessie. Le musc se vend en Europe chez les marchands Epiciers & Droguistes, de deux manieres, ou en vessie, ou séparé de son enveloppe.

Choix du musc en vessie. Quand on achete le musc en vessie, il faut le tirer de bonne main, le choisir sec, onctueux, odorant ; que la peau de la vessie soit mince, peu garnie de poil ; car plus il s’y rencontre de peau & de poil, & moins il y a de marchandise. Il faut que le poil soit de couleur brune qui est la marque du musc de Tunquin qu’on estime le plus. Le musc de Bengale est enveloppé dans des vessies garnies de poil blanc.

Choix du musc séparé des vessies. Quand le musc est séparé de la vessie, on doit le conserver dans une boîte de plomb & dans un lieu frais, parce que la fraîcheur du lieu & du métal, empêchent qu’il ne se desseche trop, & tendent à lui conserver ses parties les plus volatiles. Le bon musc sans enveloppe doit être gras, mais sec, pur, sans mélange, d’une couleur tannée, d’une odeur forte & insupportable, d’un goût amer ; mis sur le feu, il doit se consumer tout entier, quoique cette derniere marque de bonté soit équivoque, l’épreuve n’étant bonne que pour le musc mélangé de terre, de plomb, de chair hachée, & ne servant de rien pour celui qui est mêlé de sang.

Son prix est en Hollande. Le musc dont on fait négoce à Amsterdam, vient ordinairement de Tunquin & de Bengale, & quelquefois de Moscovie. Celui de Tunquin est de deux sortes, en vessie ou hors de vessie, l’un & l’autre se vend à l’once ; celui en vessie se vend jusqu’à neuf florins, celui hors des vessies jusqu’à douze florins, celui de Bengale est le meilleur marché. A l’égard du musc de Moscovie, on l’estime moins que les autres, son odeur quoique très-forte d’abord, s’évapore fort aisément.

On en débitoit autrefois en France quatre à cinq cens onces par année. On seroit surpris aujourd’hui du peu qui s’en consomme dans le royaume.

Son odeur est violente. Ce parfum est presque tout huile & sel volatil, il contient très-peu de terre. Son odeur est fort incommode & desagréable, quand on en sent quelque quantité à la fois ; mais elle est suave & douce, lorsqu’on en mélange seulement quelques grains avec d’autres matieres. La raison de cette différence vient, de ce qu’étant en trop grande quantité, il s’en exhale tant de parties, qu’elles pressent & fatiguent les nerfs olfactoires, au lieu qu’étant en petite quantité, le peu de parties volatiles qui s’en élevent ne font que chatouiller les nerfs de l’odorat.

Elle se répare quand elle est perdue. Si le musc perd son odeur, comme il arrive quelquefois, il la reprend & se raccommode, en le suspendant pour quelque tems au haut d’un plancher humide, & surtout près d’un privé, ce qui dénote que la nature du musc est recrémenticielle.

Elle est composée de corpuscules très-subtils. On peut juger de la subtilité des parties volatiles qui constituent son odeur, puisqu’en s’exhalant perpétuellement, le musc paroît au poids ne rien perdre de sa masse. Il faut, sans doute, qu’à mesure que les petits corpuscules odoriférans s’exhalent, ils soient remplacés par de nouvelles particules mêlées dans l’air.

Le musc n’est plus d’usage en Médecine. On a attribué précédemment au musc de grandes vertus médicinales ; on le donnoit intérieurement seul ou avec d’autres aromates pour fortifier l’estomac, pour les maux de tête, pour résister au venin, pour exciter la semence, pour dissoudre le sang grumelé, & dans divers autres cas ; il entroit aussi dans plusieurs compositions pharmaceutiques, mais présentement on n’en fait plus d’usage, & c’est le mieux. D’ailleurs, les vapeurs que son odeur provoque aux femmes & à la plûpart des hommes, lui ont ôté tout crédit, tant en médecine que dans les parfums, qui de leur côté sont extrèmement tombés de mode. (Le chevalier de Jaucourt.)


  1. Liv. II. ch. lxxvj.
  2. Rerum medicarum novæ Hispan. Thesaurus, Romæ 1752. fol. p. 528.