L’Encyclopédie/1re édition/MORVE

MORVE, s. f. (Physiol.) nom vulgaire de l’humeur aqueuse & gluante qui se filtre dans la membrane pituitaire ; c’est cette humeur que les Medecins appellent mucosité du nez, mucus narium. Voyez Mucosité du nez.

Morve, s. f. (Maréchal.) maladie particuliere aux chevaux.

Pour rendre plus intelligible ce que l’on va dire sur la morve, & sur les différens écoulemens auxquels on a donné ce nom, il est à-propos de donner une description courte & précise du nez de l’animal & de ses dépendances.

Le nez est formé principalement par deux grandes cavités nommées fosses nasales ; ces fosses sont bornées antérieurement par les os du nez & les os du grand angle ; postérieurement par la partie postérieure des os maxillaires, & par les os palatins ; latéralement par les os maxillaires & les os zygomatiques ; supérieurement par l’os ethmoïde, l’os sphénoide, & le frontal. Ces deux fosses répondent inférieurement à l’ouverture des naseaux, & supérieurement à l’arriere-bouche avec laquelle elles ont communication par le moyen du voile du palais. Ces deux fosses sont séparées par une cloison en partie osseuse, & en partie cartilagineuse. Aux parois de chaque fosse sont deux lames osseuses, très-minces, roulées en forme de cornets, appellées, à cause de leur figure, cornets du nez ; l’un est antérieur & l’autre postérieur. L’antérieur est adhérent aux os du nez & à la partie interne de l’os zygomatique ; il ferme en partie l’ouverture du sinus zygomatique. Le postérieur est attaché à la partie interne de l’os mamillaire, & ferme en partie l’ouverture du sinus maxillaire. Ces deux os sont des appendices de l’os ethmoide. La partie supérieure est fort large & évasée. La partie inférieure est roulée en forme de cornets de papier, & se termine en pointe. Au milieu de chaque cornet il y a un feuillet osseux situé horisontalement, qui sépare la partie supérieure de l’inférieure.

Dans l’intérieur de la plûpart des os qui forment le nez, sont creusées plusieurs cavités à qui on donne le nom de sinus ; les sinus sont les zygomatiques, les maxillaires, les frontaux, les ethmoidaux & les sphénoidaux.

Les sinus zygomatiques sont au nombre de deux, un de chaque côté : ils sont creusés dans l’épaisseur de l’os zygomatique : ce sont les plus grands ; ils sont adossés aux sinus maxillaires, desquels ils ne sont séparés que par une cloison osseuse.

Les sinus frontaux sont formés par l’écartement des deux lames de l’os frontal ; ils sont ordinairement au nombre de deux : un de chaque côté, séparés par une lame osseuse.

Les sinus ethmoïdaux sont les intervalles qui se trouvent entre les cornets ou les volutes de cet os.

Les sinus sphénoïdaux sont quelquefois au nombre de deux, quelquefois il n’y en a qu’un ; ils sont creusés dans le corps de l’os sphénoide : tous ces sinus ont communication avec les fosses nasales. Tous ces sinus, de même que les fosses nasales, sont tapissés d’une membrane nommée pituitaire, à raison de l’humeur pituiteuse qu’elle filtre. Cette membrane semble n’être que la continuation de la peau à l’entrée des naseaux ; elle est d’abord mince, ensuite elle devient plus épaisse au milieu du nez sur la cloison & sur les cornets. En entrant dans les sinus frontaux, zygomatiques & maxillaires, elle s’amincit considérablement ; elle ressemble à une toile d’araignée dans l’étendue de ces cavités ; elle est parsemée de vaisseaux sanguins & lymphatiques, & des glandes dans toute l’étendue des fosses nasales ; mais elle semble n’avoir que des vaisseaux lymphatiques dans l’étendue des sinus ; sa couleur blanche & son peu d’épaisseur dans ces endroits le dénotent.

La membrane pituitaire, après avoir revêtu les cornets du nez, se termine inférieurement par une espece de cordon qui va se perdre à la peau à l’entrée des naseaux ; supérieurement elle se porte en arriere sur le voile du palais qu’elle recouvre.

Le voile du palais est une espece de valvule, située entre la bouche & l’arriere-bouche, recouverte de la membrane pituitaire du côté des fosses nasales, & & de la membrane du palais du côté de la bouche : entre ces deux membranes sont des fibres charnues, qui composent sur-tout sa substance. Ses principales attaches sont aux os du palais, d’où il s’étend jusque à la base de la langue ; il est flottant du côté de l’arriere bouche, & arrêté du côté de la bouche ; de façon que les alimens l’élevent facilement dans le tems de la déglutition, & l’appliquent contre les fosses nasales ; mais lorsqu’ils sont parvenus dans l’arriere-bouche, le voile du palais s’affaisse de lui-même, & s’applique sur la base de la langue, il ne peut être porté d’arriere en avant, il intercepte ainsi toute communication de l’arriere-bouche avec la bouche, & forme une espece de pont, par-dessus lequel passent toutes les matieres qui viennent du corps, tant par l’ésophage que par la trachée-artere ; c’est par cette raison que le cheval vomit & respire par les naseaux ; c’est par la même raison qu’il jette par les naseaux le pus qui vient du poumon, l’épiglote étant renversée dans l’état naturel sur le voile palatin. Par cette théorie il est facile d’expliquer tout ce qui arrive dans les différens écoulemens qui se font par les naseaux.

La morve est un écoulement de mucosité par le nez, avec inflammation ou ulcération de la membrane pituitaire.

Cet écoulement est tantôt de couleur transparente, comme le blanc d’œuf, tantôt jaunâtre, tantôt verdâtre, tantôt purulent, tantôt sanieux, mais toujours accompagné du gonflement des glandes lymphatiques de dessous la ganache ; quelquefois il n’y a qu’une de ces glandes qui soit engorgée, quelquefois elles le sont toutes deux en même tems.

Tantôt l’écoulement ne se fait que par un naseau, & alors il n’y a que la glande du côté de l’écoulement qui soit engorgée ; tantôt l’écoulement se fait par les deux naseaux, & alors les deux glandes sont engorgées en même tems : tantôt l’écoulement vient du nez seulement, tantôt il vient du nez, de la trachée-artere, & du poumon en même-tems.

Ces vérités ont donné lieu aux différences suivantes.

1°. On distingue la morve en morve proprement dite, & en morve improprement dites.

La morve proprement dite est celle qui a son siege dans la membrane pituitaire ; à proprement parler il n’y a pas d’autre morve que celle-là.

Il faut appeller morve improprement dite, tout écoulement par les naseaux, qui vient d’un autre partie que de la membrane pituitaite ; ce n’est pas la morve, c’est à tort qu’on lui donne ce nom : on ne lui conserve ce nom que pour se conformer au langage ordinaire.

Il faut diviser la morve proprement dite à raison de sa nature, 1°. en morve simple, & en morve composée ; en morve primitive, & en morve consécutive. 2°. A raison de son degré, en morve commençante, en morve confirmée, & en morve invéterée.

La morve simple est celle qui vient uniquement de la membrane pituitaire.

La morve composée n’est autre chose que la morve simple combinée avec quelqu’autre maladie.

La morve primitive est celle qui est indépendante de toute autre maladie.

La morve consécutive est celle qui vient à la suite de quelqu’autre maladie, comme à la suite de la pulmonie, du farcin, &c.

La morve commençante est celle où il n’y a qu’une simple inflammation & un simple écoulement de mucosité par le nez.

La morve confirmée est celle où il y a exulcération dans la membrane pituitaire.

La morve invétérée est celle où l’écoulement est purulent & sanieux, où les o ; & les cartilages sont affectés.

2°. Il faut distinguer la morve improprement dite en morve de morfondure, & en morve de pulmonie.

La morve de morfondure est un simple écoulement de mucosité par les naseaux, avec toux, tristesse & dégoût, qui dure peu de tems.

On appelle du nom de pulmonie toute suppuration faite dans le poumon, qui prend écoulement par les naseaux, de quelque cause que vienne cette suppuration.

La morve de pulmonie se divise, à raison des causes qui la produisent, en morve de fausse gourme, en morve de farcin, & en morve de courbature.

La morve de fausse gourme est la suppuration du poumon, causée par une fausse gourme, ou une gourme maligne qui s’est jettée sur les poumons.

La morve de farcin est la suppuration du poumon, causée par un levain farcineux.

La morve de courbature n’est autre chose que la suppuration du poumon après l’inflammation, qui ne s’est pas terminée par résolution. Enfin on donne le nom de palmonie à tous les écoulemens de pus qui viennent du poumon, de quelque cause qu’ils procedent ; c’est ce qu’on appelle vulgairement morve, mais qui n’est pas plus morve qu’un abscès au foie, à la jambe, ou à la cuisse.

Il y a encore une autre espece de morve improprement dite, c’est la morve de pousse : quelquefois les chevaux poussifs jettent de tems en tems, & par floccons, une espece de morve tenace & glaireuse ; c’est ce qu’il faut appeller morve de pousse.

Causes. Examinons d’abord ce qui arrive dans la morve.

Il est certain que dans le commencement de la morve proprement dite (car on ne parle ici que de celle-ci) il y a inflammation dans les glandes de la membrane pituitaire ; cette inflammation fait séparer une plus grande quantité de mucosité ; de-là l’écoulement abondant de la morve commençante.

L’inflammation subsistant, elle fait resserrer les tuyaux excréteurs des glandes, la mucosité ne s’échappe plus, elle séjourne dans la cavité des glandes, elle s’y échauffe, y fermente, s’y putréfie, & se convertit en pus ; de là l’écoulement purulent dans la morve confirmée.

Le pus en croupissant devient acre, corrode les parties voisines ; carie les os, & rompt les vaisseaux sanguins ; le sang s’extravase, & se mêle avec le pus ; de-là l’écoulement purulent, noirâtre & sanieux dans la morve invétérée. La lymphe arrêtée dans ses vaisseaux, qui se trouvent comprimés par l’inflammation, s’épaissit, ensuite se durcit ; de-là les callosités des ulceres.

La cause évidente de la morve est donc l’inflammation. L’inflammation reconnoît des causes générales & des causes particulieres. Les causes générales sont la trop grande quantité, la rarefaction & l’épaississement du sang ; ces causes générales ne sont qu’une disposition à l’inflammation, & ne peuvent pas la produire, si elles ne sont aidées par des causes particulieres & déterminantes : ces causes particulieres sont 1°. le défaut de ressort des vaisseaux de la membrane pituitaire, causé par quelque coup sur le nez : les vaisseaux ayant perdu leur ressort n’ont plus d’action sur les liqueurs qu’ils contiennent, & favorisent par-là le séjour de ces liqueurs ; de-là l’engorgement & l’inflammation. 2°. Le déchirement des vaisseaux de la membrane pituitaire par quelque corps poussé de force dans le nez. Les vaisseaux étant déchirés, les extrémités se ferment, & arrêtent le cours des humeurs ; de-là l’inflammation.

3°. Les injections acres, irritantes, corrosives & caustiques, faites dans le nez ; elles font crisper & resserrer les extrémités des vaisseaux de la membrane pituaire ; de-là l’engorgement & l’inflammation.

4°. Le froid. Lorsque le cheval est échauffé, le froid condense le sang & la lymphe ; il fait resserrer les vaisseaux ; il épaissit la mucosité, & engorge les glandes : de-là l’inflammation.

5°. Le farcin. L’humeur du farcin s’étend & affecte successivement les différentes parties du corps ; lorsqu’elle vient à gagner la membrane pituitaire, elle y forme des ulceres, & cause la morve proprement dite.

Symptomes. Les principaux symptomes sont l’écoulement qui se fait par les naseaux, les ulceres de la membrane pituitaire, & l’engorgement des glandes de dessous la ganache.

1°. L’écoulement est plus abondant que dans l’état de santé, parce que l’inflammation distend les fibres, les sollicite à de fréquentes oscilliations, & fait par-là séparer une plus grande quantité de mucosité ; ajoutez à cela que dans l’inflammation le sang abonde dans la partie enflammée, & fournit plus de matiere aux secrétions.

2°. Dans la morve commençante, l’écoulement est de couleur naturelle, transparente comme le blanc d’œuf, parce qu’il n’y a qu’une simple inflammation, sans ulcere.

3°. Dans la morve confirmée, l’écoulement est purulent, parce que l’ulcere est formé, le plus qui en découle se mêle avec la morve.

4°. Dans la morve invétérée, l’écoulement est noirâtre & sanieux, parce que le pus ayant rompu quelques vaisseaux sanguins, le sang s’extravase & se mêle avec le pus.

5°. L’écoulement diminue & cesse même quelquefois, parce que le pus tombe dans quelque grande cavité, comme le sinus zygomatique & maxillaire, d’où il ne peut sortir que lorsque la cavité est pleine.

6°. La morve affecte tantôt les sinus frontaux, tantôt les sinus ehtmoïdaux, tantôt les sinus zygomatiques & maxillaires, tantôt la cloison du nez, tantôt les cornets, tantôt toute l’étendue des fosses nasales, tantôt une portion seulement, tantôt une de ces parties seulement, tantôt deux, tantôt trois, souvent plusieurs, quelquefois toutes à-la-fois, suivant que la membrane pituitaire est enflammée dans un endroit plutôt que dans un autre, ou que l’inflammation a plus ou moins d’étendue. Le plus ordinairement cependant elle n’affecte pas du tout les sinus zygomatiques, maxillaires & frontaux ; parce que dans ces cavités la membrane pituitaire est extremement mince, qu’il n’y a point de vaisseaux sanguins visibles, ni de glandes : on a observé 1° qu’il n’y a jamais de chancres dans ces cavités, parce que les chancres ne se forment que dans les glandes de la membrane pituitaire ; 2°. que les chancres sont plus abondans & plus ordinaires dans l’étendue de la cloison, parce que c’est l’endroit où la membrane est la plus épaisse & la plus parsemée de glandes : les chancres sont aussi fort ordinaires sur les cornets du nez.

L’engorgement de dessous la ganache étoit un symptome embarrassant. On ne-concevoit guere pourquoi ces glandes ne manquoient jamais de s’engorger dans la morve proprement dite ; mais on en a enfin trouvé la cause.

Assuré que ces glandes sont, non des glandes salivaires, puisqu’elles n’ont point de tuyau qui aille porter la salive dans la bouche, mais des glandes lymphatiques, puisqu’elles ont chacune un tuyau considérable qui part de leur substance pour aller se rendre dans un plus gros tuyau lymphatique qui descend le long de la trachée-artere, & va enfin verser la lymphe dans la veine souclaviere ; on a remonté à la circulation de la lymphe, & à la structure des glandes & des veines lymphatiques.

Les veines lymphatiques sont des tuyaux cylindriques qui rapportent la lymphe nourriciere des parties du corps dans le réservoir commun nommé dans l’homme le réservoir de Pecquet, ou dans la veine souclaviere : ces veines sont coupées d’intervalle en intervalle par des glandes qui servent comme d’entrepôt à la lymphe. Chaque glande a deux tuyaux ; l’un qui vient à la glande apporter la lymphe ; l’autre qui en sort pour porter la lymphe plus loin. Les glandes lymphatiques de dessous la ganache ont de même deux tuyaux, ou, ce qui est la même chose, deux veines lymphatiques ; l’une qui apporte la lymphe de la membrane pituitaire dans ces glandes ; l’autre qui reçoit la lymphe de ces glandes pour la porter dans la veine sousclaviere. Par cette théorie, il est facile d’expliquer l’engorgement des glandes de dessous la ganache : c’est le propre de l’inflammation d’épaissir toutes les humeurs qui se filtrent dans les parties voisines de l’inflammation ; la lymphe de la membrane pituitaire dans la morve, doit donc contracter un caractere d’épaississement ; elle se rend avec cette qualité dans les glandes de dessous la ganache, qui en sont comme les rendez-vous, par plusieurs petits vaisseaux lymphatiques, qui après s’être réunis forment un canal commun qui pénetre dans la substance de la glande. Comme les glandes lymphatiques sont composées de petits vaisseaux repliés sur eux-mêmes, qui sont mille contours, la lymphe déja épaissie doit y circuler difficilement, s’y arrêter enfin, & les engorger.

Il n’est pas difficile d’expliquer par la même théorie, pourquoi dans la gourme, dans la morfondure, & dans la pulmonie, les glandes de dessous la ganache sont quelquefois engorgées, quelquefois ne le sont pas ; ou, ce qui est la même chose, pourquoi le cheval est quelquefois glandé, quelquefois ne l’est pas.

Dans la morfondure, les glandes de dessous la ganache ne sont pas engorgées, lorsque l’écoulement vient d’un simple reflux de l’humeur de la transpiration dans l’intérieur du nez, sans inflammation de la membrane pituitaire ; mais elles sont engorgées lorsque l’inflammation gagne cette membrane.

Dans la gourme bénigne, le cheval n’est pas glandé, parce que la membrane pituitaire n’est pas affectée ; mais dans la gourme maligne, lorsqu’il se forme un abcès dans l’arriere-bouche, le pus en passant par les naseaux, corrode quelquefois la membrane pituitaire par son acreté ou son séjour, l’enflamme, & le cheval devient glandé.

Dans la pulmonie, le cheval n’est pas glandé, lorsque le pus qui vient du poumon est d’un bon caractere, & n’est pas assez acre pour ulcérer la membrane pituitaire ; mais à la longue, en séjournant dans le nez, il acquiert de l’acreté, il irrite les fibres de cette membrane, l’enflamme, & alors les glandes de la ganache s’engorgent.

Dans toutes ces maladies, le cheval n’est glandé que d’un côté, lorsque la membrane pituitaire n’est affectée que d’un côté ; au-lieu qu’il est glandé des deux côtés, lorsque la membrane est affectée des deux côtés : ainsi dans la pulmonie & la gourme maligne, lorsque le cheval est glandé, il l’est ordinairement des deux côtés, parce que l’écoulement venant de l’arriere-bouche ou du poumon, il monte par-dessus le voile du palais, entre dans le nez également des deux côtés, & affecte également la membrane pituitaire. Cependant dans ces deux cas mêmes, il ne seroit pas impossible que le cheval fut glandé d’un côté, & non de l’autre ; soit parce que le pus en séjournant plus d’un côté que de l’autre, affecte plus la membrane pituitaire de ce côté-là, soit parce que la membrane pituitaire est plus disposée à s’enflammer d’un côté que de l’autre, par quelque vice local, comme par quelque coup.

Diagnostic. Rien n’est plus important & rien en même tems plus difficile, que de bien distinguer chaque écoulement qui se fait par les naseaux. Il faut pour cela un grand usage & une longue étude de ces maladies. Pour décider avec sûreté, il faut être familier avec ces écoulemens ; autrement on est exposé à porter des jugemens faux, & à donner à tout moment des décisions qui ne sont pas justes. L’œil & le tact sont d’un grand secours pour prononcer avec justesse sur ces maladies.

La morve proprement dite, étant un écoulement qui se fait par les naseaux, elle est aisément confondue avec les différens écoulemens qui se sont par le même endroit ; aussi il n’y a jamais eu de maladie sur laquelle il y ait tant en d’opinions différentes & tant de disputes, & sur laquelle on ait tant débité de fables : sur la moindre observation chacun a bâti un système, de-là est venu cette foule de charlatans qui crient, tant à la cour qu’à l’armée, qu’ils ont un secret pour la morve, qui sont toûjours sûrs de guérir, & qui ne guérissent jamais.

La distinction de la morve n’est pas une chose aisée, ce n’est pas l’affaire d’un jour ; la couleur seule n’est pas un signe suffisant, elle ne peut pas servir de regle, un signe seul ne suffit pas ; il faut les réunir tous pour faire une distinction sûre.

Voici quelques observations qui pourront servir de regle.

Lorsque le cheval jette par les deux naseaux, qu’il est glandé des deux côtés, qu’il ne tousse pas, qu’il est gai comme à l’ordinaire, qu’il boit & mange comme de coutume, qu’il est gras, qu’il a bon poil, & que l’écoulement est glaireux, il y a lieu de croire que c’est la morve proprement dite. Lorsque le cheval ne jette que d’un côté, qu’il est glandé, que l’écoulement est glaireux, qu’il n’est pas triste, qu’il ne tousse pas, qu’il boit & mange comme de coutume, il y a plus lieu de croire que c’est la morve proprement dite.

Lorsque tous ces signes existans, l’écoulement subsiste depuis plus d’un mois, on est certain que c’est la morve proprement dite.

Lorsque tous ces signes existans, l’écoulement est simplement glaireux, transparent, abondant & sans pus, c’est la morve proprement dite commençante.

Lorsque tous ces signes existans, l’écoulement est verdâtre ou jaunâtre, & mêlé de pus, c’est la morve proprement dite confirmée.

Lorsque tous ces signes existans, l’écoulement est noirâtre ou sanieux & glaireux en même tems, c’est la morve proprement dite invéterée.

On sera encore plus assûré que c’est la morve proprement dite, si avec tous ces signes on voit en ouvrant les naseaux, de petits ulceres rouges, ou des érosions sur la membrane pituitaire, au commencement du conduit nasal.

Lorsqu’au contraire l’écoulement se fait également par les deux naseaux, qu’il est simplement purulent, que le cheval tousse, qu’il est triste, abattu, dégoûté, maigre, qu’il a le poil hérissé, & qu’il n’est pas glandé, c’est la morve improprement dite.

Lorsque l’écoulement succede à la gourme, c’est la morve de fausse gourme.

Lorsque le cheval jette par les naseaux une simple mucosité transparente, & que la tristesse & le dégoût ont précédé & accompagnent cet écoulement, on a lieu de croire que c’est la morfondure : on en est certain lorsque l’écoulement ne dure pas plus de 15 jours.

Lorsque le cheval commence à jetter également par les deux naseaux une morve mêlée de beaucoup de pas, ou le pus tout pur sans être glandé, c’est la pulmonie seule ; mais si le cheval devient glandé par la suite, c’est la morve composée, c’est-à-dire la pulmonie & la morve proprement dite tout à la fois.

Pour distinguer la morve par l’écoulement qui se fait par les naseaux, prenez de la matiere que jettoit un cheval morveux proprement dit, mettez-la dans un verre, versez dessus de l’eau que vous ferez tomber de fort haut : voici ce qui arrivera, l’eau sera troublée fort peu ; & il se déposera au fond du verre une matiere visqueuse & glaireuse.

Prenez de la matiere d’un autre cheval morveux depuis plus long-tems, mettez-la de même dans un verre, versez de l’eau dessus, l’eau se troublera considérablement ; & il se déposera au fond une matiere glaireuse, de même que dans le premier : versez par inclination le liquide dans un autre verre, laissez-le reposer, après quelques heures l’eau deviendra claire ; & vous trouverez au fond du pus qui s’y étoit déposé.

Prenez ensuite de la matiere d’un cheval pulmonique, mettez-la de même dans un verre, versez de l’eau dessus, toute la matiere se délayera dans l’eau ; & rien n’ira au fond.

D’où il est aisé de voir que la matiere glaireuse est un signe spécifique de la morve proprement dite ; & que l’écoulement purulent est un signe de la pulmonie : on connoîtra les différens degrés de la morve proprement dite, par la quantité du pus qui se trouvera mêlé avec l’humeur glaireuse ou la morve. La quantité différente du pus en marque toutes les nuances.

Pour avoir de la matiere d’un cheval morveux ou pulmonique, on prend un entonnoir, on en adapte la base à l’ouverture des naseaux, & on le tient par la pointe ; on introduit par la pointe de l’entonnoir une plume, ou quelqu’autre chose dans le nez, pour irriter la membrane pituitaire, & faire ébrouer le cheval, ou bien on serre la trachée-artere avec la main gauche, le cheval tousse & jette dans l’entonnoir une grande quantité de matiere qu’on met dans un verre pour faire l’expérience ci-dessus. Il y a une infinité d’expériences à sur cette maladie ; mais les dépenses en seroient fort considérables.

Prognostic. Le danger varie suivant le degré & la nature de la maladie. La morve de morfondure n’a pas ordinairement de suite ; elle ne dure ordinairement que 12 ou 15 jours, pourvû qu’on fasse les remedes convenables : lorsqu’elle est négligée, elle peut dégénerer en morve proprement dite.

La morve de pulmonie invétérée est incurable.

La morve proprement dite commençante peut se guérir par les moyens que je proposerai ; lorsqu’elle est confirmée elle ne se guérit que difficilement : lorsqu’elle est invétérée, elle est incurable jusqu’à-présent. La morve simple est moins dangereuse que la morve composée ; il n’y a que la morve proprement dite qui soit contagieuse, les autres ne le sont pas.

Curation. Avant que d’entreprendre la guérison, il faut être bien assuré de l’espece de morve que l’on a à traiter & du degré de la maladie : 1° de peur de faire inutilement des dépenses, en entreprenant de guérir des chevaux incurables ; 2° afin d’empêcher la contagion, en condamnant avec certitude ceux qui sont morveux ; 3° afin d’arracher à la mort une infinité de chevaux qu’on condamne très-souvent mal-à-propos : il ne s’agit ici que de la morve proprement dite.

La cause de la morve commençante étant l’inflammation de la membrane pituitaire, le but qu’on doit se proposer est de remédier à l’inflammation : pour cet effet, on met en usage tous les remedes de l’inflammation ; ainsi dès qu’on s’apperçoit que le cheval est glandé, il faut commencer par saigner le cheval, réiterer la saignée suivant le besoin, c’est le remede le plus efficace : il faut ensuite tâcher de relâcher & détendre les vaisseaux, afin de leur rendre la souplesse nécessaire pour la circulation ; pour cet effet on injecte dans le nez la décoction des plantes adoucissantes & relâchantes, telles que la mauve, guimauve, bouillon-blanc, brancursine, pariétaire, mercuriale, &c. ou avec les fleurs de camomille, de mélilot & de sureau : on fait aussi respirer au cheval la vapeur de cette décoction, & sur-tout la vapeur d’eau tiede, où l’on aura fait bouillir du son ou de la farine de seigle ou d’orge ; pour cela on attache à la tête du cheval, un sac où l’on met le son ou les plantes tiedes. Il est bon de donner en même tems quelques lavemens rafraîchissans, pour tempérer le mouvement du sang, & l’empêcher de se porter avec trop d’impétuosité à la membrane pituitaire.

On retranche le foin au cheval, & on ne lui fait manger que du son tiede, mis dans un sac de la maniere que je viens dire : la vapeur qui s’en exhale adoucit, relâche & diminue admirablement l’inflammation. Par ces moyens on remédie souvent à la morve commençante.

Dans la morve confirmée, les indications que l’on a sont de détruire les ulceres de la membrane pituitaire. Pour cela on met en usage les détersifs un peu forts : on injecte dans le nez, par exemple la décoction des feuilles d’aristoloche, de gentiane & de centaurée. Lorsque par le moyen de ces injections l’écoulement change de couleur, qu’il devient blanc, épais & d’une louable consistance, c’est un bon signe ; on injecte alors de l’eau d’orge, dans laquelle on fait dissoudre un peu de miel rosat ; ensuite, pour faire cicatriser les ulceres, on injecte l’eau seconde de chaux, & on termine ainsi la guérison, lorsque la maladie cede à ces remedes.

Mais souvent les sinus sont remplis de pus, & les injections ont de la peine à y pénétrer ; elles n’y entrent pas en assez grande quantité pour en vuider le pus, & elles sont insuffisantes ; on a imaginé un moyen de les porter dans ces cavités, & de les faire pénétrer dans tout l’intérieur du nez ; c’est le trépan, c’est le moyen le plus sûr de guérir la morve confirmée.

Les fumigations sont aussi un très-bon remede ; on en a vu de très-bons effets. Pour faire recevoir ces fumigations, on a imaginé une boëte dans laquelle on fait brûler du sucre ou autre matiere détersive ; la fumée de ces matieres brûlées est portée dans le nez par le moyen d’un tuyau long, adapté d’un côté à la boëte, & de l’autre aux naseaux.

Mais souvent ces ulceres sont calleux & rebelles, ils résistent à tous les remedes qu’on vient d’indiquer ; il faudroit fondre ou détruire ces callosités, cette indication demanderoit les caustiques : les injections fortes & corrosives rempliroient cette intention, si on pouvoit les faire sur les parties affectées seulement ; mais comme elles arrosent les parties saines, de même que les parties malades, elles irriteroient & enflammeroient les parties qui ne sont pas ulcerées, & augmenteroient le mal ; de-là la difficulté de guérir la morve par les caustiques.

Dans la morve invétérée, où les ulceres sont en grand nombre, profonds & sanieux, où les vaisseaux sont rongés, les os & les cartilages cariés, & la membrane pituitaire épaissie & endurcie, il ne paroît pas qu’il y ait de remede ; le meilleur parti est de tuer les chevaux, de peur de faire des dépenses inutiles, en tentant la guérison.

Tel est le résultat des découvertes de MM. de la Fosse pere & fils, telles que celui-ci les a publiées dans une dissertation présentée à l’académie des Sciences, & approuvée par ses commissaires.

Auparavant il y avoit ou une profonde ignorance, ou une grande variété de préjugés sur le siége de cette maladie ; mais pour le reconnoître, dit M. de la Fosse, il ne faut qu’ouvrir les yeux. En effet, que voit-on lorsqu’on ouvre un cheval morveux proprement dit, & uniquement morveux ? On voit la membrane pituitaire plus ou moins affectée ; les cornets du nez & les sinus plus ou moins remplis de pus & de morve, suivant le degré de la maladie, & rien de plus ; on trouve les visceres & toutes les autres parties du corps dans une parfaite santé. Il s’agit d’un cheval morveux proprement dit, parce qu’il y a une autre maladie, à qui on donne mal-à-propos le nom de morve ; d’un cheval uniquement morveux, parce que la morve peut être accompagnée de quelque autre maladie qui pourroit affecter les autres parties.

Mais le témoignage des yeux s’appuie de preuves tirées du raisonnement.

1°. Il y a dans le cheval & dans l’homme des plaies & des abscès qui n’ont leur siége que dans une partie ; pourquoi n’en seroit-il pas de même de la morve ?

2°. Il y a dans l’homme des chancres rongeans aux levres & dans le nez ; ces chancres n’ont leur siége que dans les levres ou dans le nez ; ils ne donnent aucun signe de leur existance après leur guérison locale. Pourquoi n’en seroit-il pas de même de la morve dans le cheval ?

3°. La pulmonie ou la suppuration du poumon, n’affecte que le poumon ; pourquoi la morve n’affecteroit-elle pas uniquement la membrane pituitaire ?

4°. Si la morve n’étoit pas locale, ou, ce qui est la même chose, si elle venoit de là corruption générale des humeurs, pourquoi chaque partie du corps, du moins celles qui sont d’un même tissu que la membrane pituitaire, c’est-à-dire d’un tissu mol, vasaileux & glanduleux, tels que le cerveau, le poumon, le foie, le pancréas, la rate, &c. ne seroient-elles pas affectées de même que la membrane pituitaire ? pourquoi ces parties ne seroient-elles pas affectées, plusieurs & même toutes à-la-fois, puisque toutes les parties sont également abreuvées & nourries de la masse des humeurs, & que la circulation du sang, qui est la source de toutes les humeurs, se fait également dans toutes les parties ? Or il est certain que dans la morve proprement dite, toutes les parties du corps sont parfaitement saines, excepté la membrane pituitaire. Cela a été démontré par un grand nombre de dissections.

5°. Si dans la morve la masse totale des humeurs étoit viciée, chaque humeur particuliere qui en émane, le seroit aussi, & produiroit des accidens dans chaque partie ; la morve seroit dans le cheval, ainsi que la vérole dans l’homme, un composé de toutes sortes de maladies ; le cheval maigriroit, souffriroit, languiroit, & périroit bientôt ; des humeurs viciées ne peuvent pas entretenir le corps en santé. Or on sait que dans la morve le cheval ne souffre point ; qu’il n’a ni fievre ni aucun mal, excepté dans la membrane pituitaire ; qu’il boit & mange comme à l’ordinaire ; qu’il fait toutes ses fonctions avec aisance ; qu’il fait le même service que s’il n’avoit point de mal ; qu’il est gai & gras ; qu’il a le poil lisse & tous les signes de la plus parfaite santé.

Mais voici des faits qui ne laissent guere de lieu au doute & à la dispute.

Premier Fait. Souvent la morve n’affecte la membrane pituitaire que d’un côté du nez, donc elle est locale ; si elle étoit dans la masse des humeurs, elle devroit au-moins attaquer le membrane pituitaire des deux côtés.

II. Fait. Les coups violens sur le nez produisent la morve. Dira-t-on qu’un coup porté sur le nez a vicié la masse des humeurs ?

III. Fait. La lésion de la membrane pituitaire produit la morve. En 1559 au mois de Novembre, après avoir trépané & guéri du trépan un cheval, il devint morveux, parce que l’inflammation se continua jusqu’a la membrane pituitaire. L’inflammation d’une partie ne met pas la corruption dans toutes les humeurs.

IV. Fait. Un cheval sain devient morveux presque sur le-champ, si on lui fait dans le nez des injections acres & corrosives. Ces injections ne vicient pas la masse des humeurs.

V. Fait. On guérit la morve par des remedes topiques. M. Desbois, médecin de la faculté de Paris, a guéri un cheval morveux par le moyen des injections. On ne dira pas que les injections faites dans le nez, ont guéri la masse du sang ; d’où M. de la Fosse le fils conclut que le siége qu’il lui assigne dans la membrane pituitaire, est son unique & vrai siége. Voyez là-dessus sa Dissert. sur la morve, imprimée en 1761.

Morve, s. f. (Jardinage.) maladie qui survient aux chicorées & aux laitues ; c’est une espece de pourriture dont le nom a été fait de son aspect. On dit aussi morver.