L’Encyclopédie/1re édition/MORÉE, la

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MORÉE, la, (Géog.) c’est le Péloponnèse des anciens ; grande presqu’île, contiguë à la Grece, au midi de laquelle elle est attachée par un isthme assez étroit, entre les golfes de Lépante & d’Engia.

Cette presqu’île contenoit autrefois un grand nombre d’états très-peuplés, mais les choses ont bien changé de face. Ce pays fit partie du diocèse de Macédoine, après la division des deux empires. Alaric le désola par son incursion, les despotes en jouirent ensuite, les Turcs le posséderent, les Vénitiens le leur enleverent en 1687, & le perdirent en 1715.

Le P. Coronelli a faussement divisé la Morée en quatre provinces, parce qu’il a copié les erreurs de Baudrand & de Moréri.

En effet, on ne connoît en Morée que trois provinces, qui sont la Zaconie, le Brazzo di Maina, & le Belvédere.

La Zaconie occupe le royaume de Sicyone, Corinthe, & toute l’Argie.

Le Belvédere répond à l’Achaïe proprement dite, & comprend outre cela l’ancienne Elide, une partie de la Messénie, & une partie de l’Arcadie.

Le Brazzo di Maina, ou le pays des Magnotes, répond au reste de l’Arcadie, & à toute la Zaconie.

La Morée est assez fertile, excepté vers le milieu où sont les montagnes. Aussi l’Arcadie qui jadis occupoit ce milieu, avoit beaucoup d’habitans menant la vie pastorale. Le Brazzo di Maina est encore plus stérile que le reste ; aussi voyons-nous que ses anciens habitans, les Lacédémoniens, faisoient de nécessité vertu, & suppléoient, par leur frugalité, à ce qui leur manquoit du côté de l’abondance ; mais ce qui vaut cent fois mieux, ils étoient libres. Les Magnotes, leurs successeurs, le sont encore ; & les Turcs qui les environnent, n’ont pû les subjuguer entierement.

Il y a dans la Morée beaucoup d’Albanois qui, ne sachant ni porter le joug du turc, ni le secouer, attirent souvent aux habitans de fâcheuses affaires.

Le morabégi ou sangiac qui commande en Morée, a sa résidence à Modon.

Le pere Briet compte soixante-quinze lieues françoises pour la largeur de la Morée, depuis le cap de Matapan jusqu’à l’Examile, c’est-à-dire, jusqu’à cette fameuse muraille que les Péloponnésiens avoient élevée anciennement, pour se garantir des courses des ennemis durant la guerre contre le roi de Perse ; muraille qui avoit été rétablie par les despotes, percée par Amurath II. relevée par les Vénitiens, & finalement rasée par Mahomet II. Le même pere Briet prend la longueur de la Morée, de Castel Fornèse jusqu’à Cabo Schillo, & l’évalue à quatre-vingt-dix lieues françoises.

La Morée est à-peu-près comprise entre le 35°. de latitude, & le 37. 30′. Strabon dit qu’anciennement on l’appelloit Argos, d’un nom qui fut après cela donné à une de ses villes. Sous le regne d’Apis, le troisieme roi de la ville d’Argos, la Morée fut appellée Apia, environ 1747 ans avant la naissance de Jesus-Christ. Au bout de quatre cens vingt années, elle prit le nom de Péloponnèse du phrygien Pélops, célebre non seulement par les miracles de son épaule d’ivoire dont Pline vous entretiendra, mais encore par les incestes & les parricides de ses fils Atrée & Thyeste, dont toute l’antiquité peut vous instruire.

Le nom de Morée lui a été donné sous les derniers empereurs de Constantinople, parce que sa figure topographique ressemble à une feuille de mûrier, que les Grecs appellent Morea. Strabon, & beaucoup d’autres, ont écrit qu’elle ressembloit à une feuille de platane, qui ne differe guère de la feuille de mûrier. (D. J.)