L’Encyclopédie/1re édition/MONT AIGUILLE

◄  MONTAGNIAC
MONTAIN  ►

MONT AIGUILLE, (Géog.) & par le peuple, montagne inaccessible, qui a passé long-tems pour une merveille du Dauphiné, phantôme que la crédulité de nos peres avoit produit. Cette merveille se réduit à un rocher vif & escarpé ; ce rocher est détaché de tous côtes, & planté sur une montagne ordinaire dans le petit pays de Trèves, à deux lieues de Die, & à neuf de Grenoble.

On l’a donné jusqu’au commencement de ce siecle, pour une pyramide ou cône renversé, & l’on assuroit très-sérieusement, qu’il étoit beaucoup plus large par le haut que par le bas ; cette opinion même fut presque autorisée par l’histoire de l’académie royale des Sciences, année 1700. p. iv. car on y lit, que la pyramide n’a par le bas que mille pas de circuit, & qu’elle en a deux mille par le haut. Il est vrai que l’historien ajoute, que cette pyramide se seroit peut-être redressée, si elle avoit été examinée par M. Dieulamant.

On sçut bien-tôt après, en 1703, que rien n’étoit plus faux que cette prétendue figure extraordinaire d’un cône renversé qu’on donnoit à ce rocher. Sa base est comme elle doit naturellement être, plus large que le haut. Comme ce rocher est à la vérité fort escarpé, & qu’il ne présente de tous côtés que le roc nud, dégarni de terre & d’arbres, il est assez difficile & fort inutile d’y grimper ; mais il s’en faut beaucoup qu’il soit inaccessible, les paysans y montent tous les jours, & il y a plus de deux cens ans qu’ils le pratiquent ; Aimard de Rivail, conseiller au parlement de Grenoble, auteur d’une histoire manuscrite du pays des Allobroges, qui écrivoit en 1530. le dit formellement. Hodie frequens est in eum montem ascensus, ce sont ces termes lûs & rapportés par M. Lancelot, de l’académie des Inscriptions. Que devient donc l’histoire de dom Julien, gouverneur de Montelimar, qui y monta le premier par ordre de Charles VIII. le 26 Juin 1492, avec dix autres personnes, qui fit dire la mesle dessus, qui manda au premier président de Grenoble, que c’étoit le plus horrible & le plus épouventable passage qu’on pût se figurer, & en conséquence y planta trois grandes croix, qu’on n’a pas vû depuis ! On ne sait point encore assez, remarque très-bien M. de Fontenelle, jusqu’où peut aller le génie fabuleux des hommes. (D. J.)