L’Encyclopédie/1re édition/MITE

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MITE, s. f. (Insectolog.) On appelle mites ces petits animaux qu’on trouve en grande abondance dans le fromage tombant en poussiere, & qui paroissent à la vûe simple comme des particules de poussiere mouvante ; mais le microscope fait voir que ce sont des animaux parfaits dans tous leurs membres, qui ont une figure réguliere, & qui font toutes les fonctions de la vie avec autant d’ordre & de régularité que les animaux plusieurs millions de fois plus grands.

Hook & Lower ont découvert que les mites étoient de animaux crustacées, & ordinairement transparens ; leurs parties principales sont la tête, le col, & le corps ; la tête est petite à proportion du corps ; leur museau est pointu, & leur bouche s’ouvre & se ferme comme celle d’une taupe ; elles ont deux petits yeux, & la vûe extrémement perçante ; car si on les touche une fois avec une épingle ou un autre instrument, on voit avec quelle promptitude elles évitent un second attouchement. Quelques-uns ont six jambes, & d’autres huit ; ce qui prouve déja qu’il y en a de différentes especes, quoique d’ailleurs elles paroissent semblables en tout le reste. Chaque jambe a six jointures environnées de poils, & deux petits ongles crochus à leur extrémité, avec lesquels elles peuvent aisément saisir ce qu’elle rencontrent ; la partie de derriere du corps est grosse & potelée, & se termine en figure ovale, avec quelques poils extraordinairement longs qui en sortent ; les autres parties du corps, ainsi que la tête, sont aussi environnées de poils. Ces insectes sont mâles & femelles ; les femelles font leurs œufs, d’où sortent leurs petits avec tous leurs membres parfaits (comme dans les pous & les araignées), quoiqu’excessivement menus ; mais sans changer de figure, ils changent quelquefois de peau avant qu’ils aient tout leur accroissement.

On peut les conserver en vie plusieurs mois entre deux verres concaves, & les appliquer au microscope lorsqu’on le juge à propos : en les observant souvent on y découvrira beaucoup de particularités curieuses : Leuwenhock les a vû accouplés queue à queue ; car quoique le pénis du mâle soit au milieu du ventre, il le tourne en arriere comme le rhinoceros. L’accouplement se fait, à ce qu’il dit, avec une vitesse incroyable. Leurs œufs dans un tems chaud viennent à éclore dans douze ou quatorze jours ; mais en hiver, & lorsqu’il fait froid, il leur faut plusieurs semaines. Il n’est pas rare de voir les petits se démener violemment pour sortir de leur coque.

Le diametre de l’œuf d’une mite paroît égal à celui d’un cheveu de la tête d’un homme, dont six cent font environ la longueur d’un pouce. Supposant donc que l’œuf d’un pigeon a les trois quarts d’un pouce de diametre, quatre cent cinquante diametres de l’œuf d’une mite feront le diametre de l’œuf d’un pigeon, & par conséquent, si leurs figures sont semblables, nous pouvons conclure que quatre vingt-onze millions & cent vingt mille œufs d’une mite n’occupent pas plus d’espace qu’un œuf de pigeon.

Les mites sont des animaux très-voraces, car elles mangent non-seulement le fromage, mais encore toute sorte de poissons, de chair crue, de fruits secs, des grains de toute espece, & presque tout ce qui a un certain degré de moisissure, sans être mouillé au-dessus : on les voit même se dévorer les unes les autres. En mangeant elles portent en avant une machoire, & l’autre en arriere alternativement, par où elles paroissent moudre leur nourriture ; & après qu’elles l’ont prise, il semble qu’elles la mâchent & la ruminent.

Il y a une espece de mite qui s’insinue dans les cabinets des curieux, & qui mange leurs plus jolis papillons, & autres insectes choisis, ne laissant à leur place, que des ruines & de la poussiere : l’unique moyen de les prévenir, est de faire brûler de tems en tems du soufre dans les tiroirs ou dans les boîtes. Ses écoulemens chauds & secs pénetrent, rident, & détruisent les corps tendres de ces petits insectes.

Les diverses especes de mites sont distinguées par quelques différences particulieres, quoiqu’elles aient en général la même figure & la même nature ; par exemple, suivant les observations de Power, les mites qu’on trouve dans les poussieres de dreche & de gruau d’avoine, sont plus vives que celles du fromage, & ont des poils plus longs & plus nombreux. Les mites de figues ressemblent à des escargots ; elles ont au museau deux instrumens & deux cornes fort longues au-dessus, avec trois jambes de chaque côté. Leuwenhock observa qu’elles avoient les poils plus longs que ceux qu’il avoit vûs dans toutes les autres especes ; & en les examinant de près, il trouva que ces poils étoient en forme d’épis. M. Hook a décrit une espece de mites, qu’il appelle mites vagabondes, parce qu’on les trouve dans tous les endroits où elles peuvent subsister.

M. Baker ayant jetté les yeux sur un pot vuide de fayence, le crut couvert de poussiere ; mais en le regardant de plus près, il apperçut que les particules de cette poussiere étoient en mouvement ; il les examina pour lors avec le microscope, & vit que c’étoient des essains de ces mites vagabondes, qui avoient été attirées par l’odeur de quelque drogue mise dans ce pot peu de jours auparavant.

La mite est excessivement vivace ; on en a gardé des mois entiers sans leur donner aucune nourriture ; & Leuwenhock assure qu’il en fixa une sur une épingle devant son microscope, qui vécut dans cette situation pendant onze semaines.

Quoique les Naturalistes ne parlent que de mites ovipares, cependant M. Lyonnet, sur les observations duquel on doit beaucoup compter, déclare avoir souvent vû des mites de fromages vivipares, & qui mettent des petits tout vivans au monde. Ces petits de mites, direz-vous peut-être, devoient être bien petits de taille ; soit ; mais enfin une mite sur un gros fromage d’Hollande, est aussi grande à proportion qu’un homme sur la terre. Les petits insectes qui se nourrissent sur une feuille de pêcher représentent un troupeau de bœufs broutans dans un gros pâturage ; les animalcules nagent dans une goutte d’eau de poivre avec autant de liberté que les baleines dans l’Océan ; ils ont tous un espace égal à proportion de leur volume. Nos idées de matiere, d’espace, & de durée, ne sont que des idées de comparaison ; mais je crains bien que la petitesse des animaux microscopiques, & le petit espace qu’ils occupent, comparés à nous-mêmes, ne nous fassent imaginer que nous jouons un grand rôle dans le système du monde. Pour confondre notre orgueil, comparons le corps d’un homme avec la masse d’une montagne, cette montagne avec la terre, la terre elle-même avec le cercle qu’elle décrit au-tour du soleil, ce cercle avec la sphere des étoiles fixes, cette sphere avec le circuit de toute la création, & ce circuit même avec l’espace infini qui est tout au-tour, alors, selon toute apparence, nous nous trouverons nous-mêmes réduits à rien. (D. J.)