L’Encyclopédie/1re édition/MIGRAINE

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MIGRAINE, s. f. (Médecine.) espece de douleur de tête qu’on a cru n’occuper que la moitié de cette partie. Ce nom est dérivé du mot grec ἡμιϰράνια, composé d’ἡμὶ qui signifie demi ou moitié, & ϰράνιον, crâne ou le dessus de la tête. Les signes qui caractérisent cette maladie, sont d’abord des douleurs vives, aiguës, lancinantes, qui quelquefois sont restreintes à un côté de la tête ; & on a observé que la partie gauche étoit le plus souvent affectée : quelquefois elles occupent tout ce côté, le plus souvent elles sont fixées à la tempe, d’autres fois elles courent, comme on dit, par toute la tête sans distinction de côté ; elles s’étendent aussi jusqu’aux yeux, aux oreilles, aux dents, & même au cou & aux bras. La violence de ces douleurs est telle qu’il semble aux malades qu’on leur fend la tête, qu’on en déchire les enveloppes ; ils ne peuvent quelquefois supporter la lumiere, ni le bruit qu’on fait en marchant sur le même plancher où ils se trouvent ; ils sont tellement sensibles à cette impression, qu’on en a vû s’enfermer seuls dans une chambre pendant plus d’un jour, sans souffrir que personne en approchât. Il est rare que les malades éprouvent sans relâche ces cruelles douleurs ; elles reviennent par especes d’accès qui n’ont pour l’ordinaire aucun type réglé ; ils sont déterminés par quelque erreur dans l’usage des six choses non-naturelles, par un air froid qui saisit inopinément la tête, par un excès dans le manger, par la suppression d’une excrétion naturelle, par une passion d’ame, & ils sont annoncés & accompagnés de constipation, d’un flux abondant d’urines crues & limpides, qui, sur la fin du paroxysme, deviennent chargées & déposent beaucoup de sédiment. L’observation a appris que les femmes, sur tout celles qui menent une vie sédentaire, oisive, & qui mariées sont stériles, étoient plus communément attaquées de cette maladie que les hommes. Les causes qui y disposent, qui la déterminent, sont le plus souvent un vice des premieres voies, quelquefois la suppression du flux menstruel ou hémorrhoidal, des veilles excessives, un travail d’esprit forcé, un refroidissement subit de tout le corps, sur-tout des piés, joint à leur humidité, un changement trop prompt d’une vie active & laborieuse en sédentaire, des coleres fréquentes mais réprimées ; & on en a vû succéder à des gouttes repercutées, à des simples douleurs de tête mal traitées. Chez quelques-uns, la migraine est un vice héréditaire transmis par les parens, sans que le malade y ait donné lieu par la moindre irrégularité de régime.

Le siege de cette douleur est extérieur, vraissemblablement dans le péricrâne, & il y a lieu de présumer qu’elle ne dépend que d’une constriction spasmodique des vaisseaux & des fibres de cette membrane. Les symptomes, les causes, la curation même de cette maladie, sont autant de raisons qui nous engagent à croire qu’elle est purement nerveuse sans la moindre congestion de matiere. Quelques auteurs, & entr’autres Juncker, n’ont pas fait difficulté de compter la migraine parmi les différentes especes de goutte, croyant avec quelque raison que c’est la même cause qui agit dans ces deux maladies. Cet écrivain animiste, souvent trop outré, pensant que l’ame est la cause efficiente de toutes les maladies, pour ne pas la faire agir sans motif, avance sans autre fondement, que la migraine consiste dans un amas de sang que l’ame avoit déterminé à la tête, dans le sage dessein d’exciter une hémorrhagie salutaire par le nez, mais qui n’a pas pû avoir lieu par quelque obstacle imprévu sans qu’il y ait de sa faute. Sans m’arrêter à réfuter ces idées absurdes, je remarquerai que l’hémorrhagie du nez est une évacuation très rare & très-indifferente dans les migraines.

Quoiqu’il n’y ait aucun des signes que nous avons détaillés, qui puisse être censé vraiment pathognomonique ; cependant leur concours, leur ensemble est si frappant, qu’il n’y a personne, même parmi les personnes qui ne sont pas de l’art, qui méconnoisse la migraine, & qui ne la différencie très-bien des autres douleurs de tete, qui occupent ordinairement toute la tête ou les parties antérieures, & qui ne sont le plus souvent qu’un sentiment de pesanteur incommode.

La migraine n’est pas une maladie qui fasse craindre pour la vie : le prognostic considéré sous ce point de vûe n’a pour l’ordinaire rien de fâcheux ; cependant si on l’irrite, si on la combat trop par des applications, par des topiques peu convenables, elle peut avoir des suites très-funestes, exciter des fievres inflammatoires, ou faire perdre la vûe, comme je l’ai vû arriver à une dame, qui ayant pris la douche sur la partie de la tête qui étoit affectée, les douleurs furent effectivement calmées, mais elles se firent ressentir avec plus de violence pendant près d’un an au fond de l’œil sans le moindre relâche, jusqu’à ce qu’enfin la malade perdit entierement l’usage de cet œil. Quelquefois sa goutte survenue aux extrémités dissipe la migraine ; d’autres fois elle se termine par la paralysie du bras, qui est d’autant plus à craindre que les douleurs y parviennent & y excitent un engourdissement. Assez souvent elle se guérit d’elle même par l’âge ; la vieillesse, le germe fécond d’incommodités, fait disparoître celle-là.

On ne doit dans cette maladie attendre aucun secours sûrement curatif de la Médecine : la migraine doit être renvoyée aux charlatans dont l’intrépidité égale l’ignorance ; ils donnent sans crainte, comme sans connoissance, les remedes le plus équivoques, & cependant, pour l’ordinaire, les succès se partagent à-peu-près. Quelques-uns tombent dans des accidens très-fâcheux, ou meurent promptement victimes de leur bisarre crédulité ; d’autres sont assez heureux pour échapper de leurs mains non-seulement sans inconvénient, mais même quelquefois parfaitement guéris : toutes ces maladies si rebelles exigent des remedes forts, actifs, qui operent dans sa machine des grands & subits changemens. Si le médecin instruit ne les ordonne pas, ce n’est pas qu’il ignore leur vertu, mais c’est qu’il connoît en outre le danger qui suit de près leur usage, & qu’il craint d’exposer la vie du malade & sa propre réputation ; motifs incapables de toucher l’effronté charlatan. Quelques malades se sont fort bien trouvés de l’artériotomie, ce même secours employé dans d’autres a été au-moins inutile ; & il est à remarquer que les saignées que quelques médecins regardent comme propres à calmer les douleurs violentes, ne font que les animer, elles rendent les accès de migraine plus forts & plus longs. Des vomissemens de sang ont été quelquefois critiques, & ont totalement emporté la maladie. Les paysans de Franconie se servent dans pareils cas, au rapport de Ludovic, d’un remede singulier ; ils mettent sur la partie souffrante de la tête un plat d’étain avec un peu d’eau, dans lequel ils versent du plomb fondu. Ce remede, accrédité chez le peuple, doit avoir eu quelques succès heureux ; qui cependant seroit tenté d’y recourir ? quel est le médecin qui dans nos pays osât proposer un semblable secours ? pour moi, je conseillerois à un malade de supporter patiemment ses douleurs pendant l’accès ; si les douleurs étoient trop aiguës, on pourroit, je pense, les calmer un peu par l’odeur des essences aromatiques, des esprits volatils, fétides, des remedes connus sous le nom d’anti-hystériques j’ai connu une dame qui, par l’odeur de l’eau de la reine d’Hongrie, étoit venue à bout de rendre supportables les douleurs de migraine dont elle étoit tourmentée. Les lavemens réitérés me paroissent d’autant plus convenables, que la constipation est un avant-coureur & quelquefois aussi la cause d’un accès. Les purgatifs cathartiques sont spécialement appropriés dans les maladies de la tête, ils conviennent principalement dans le cas où une indigestion a procuré le retour de la migraine. Hors du paroxysme, la cure radicale doit commencer par l’émetique : nous avons observé que le dérangement de l’estomac étoit une des causes les plus ordinaires de la maladie que nous voulons combattre ; mais ce n’est pas par son action seule sur l’estomac que l’émétique peut opérer quelque bon effet, c’est principalement par la secousse genérale qu’il excite. Je dois à ce seul remede la guérison d’une cruelle migraine dont j’ai été tourmenté pendant quelque tems ; il est à propos de seconder l’effet de l’emétique par les stomachiques amers, par les toniques, les martiaux, & sur-tout par le quinquina, remede souverain dans les maladies nerveuses, spasmodiques, & dans les affections de l’estomac. On pourroit aussi tirer quelque fruit de l’application des vésicatoires, mais plus ces remedes sont violens & décisifs, plus aussi leur usage demande de la prudence & de la circonspection. Lorsque la migraine est périodique, invétérêe, & sur-tout héréditaire, ces secours, quelqu’indiqués qu’ils paroissent, sont rarement efficaces. Lorsqu’elle est récente & qu’elle est la suite d’une excrétion supprimée, il y a beaucoup plus à espérer, on peut la guérir en rappellant l’excrétion qui avoit été dérangée. Mais de tous les secours, ceux sur lesquels on doit le plus compter, sont ceux qu’on tire du régime. Ceux qui sont sujets à la migraine doivent avec plus de soin éviter tout excés, se tenir le ventre libre, ne manger que des mets de facile digestion & qui n’échauffent point, se garantir des impressions de l’air froid, se dissiper, bannir les chagrins, &, s’il est possible, passer quelque tems à la campagne. Avec ces précautions, on peut éloigner les accès & en diminuer la violence. Mais sur-tout qu’on prenne garde à l’usage des topiques, toûjours incertains & souvent dangereux. (m)